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ainsi que l'on peut dire, avec un publiciste américain, qu'il est impossible de déduire de ces interventions passées des règles de conduite fixes et absolues applicables à des circonstances analogues dans les temps modernes.

§ 145. La révolution française est, après le mouvement religieux du seizième siècle et la révolution d'Angleterre du dix-septième siècle, l'événement qui ait exercé la plus grande influence sur les destinées du monde, par conséquent sur l'organisation intérieure les relations et mutuelles des États.

Toutes les coalitions formées contre la France depuis 1789 jusqu'aux traités de 1812 et de 1813, ont eu pour motif les dangers que cette révolution faisait craindre pour la conservation de l'ordre monarchique en Europe et pour le maintien de l'équilibre des États. Le droit absolu d'ingérence était donc nettement soutenu par les puissances coalisées.

La France, au contraire, défendait non moins résolument la légitimité du principe de non-intervention, en s'appuyant sur la souveraineté et sur l'indépendance réciproque des nations. A l'issue des combats qui amenèrent la chute du premier Empire et la restauration des Bourbons, l'Angleterre, l'Autriche, la Prusse et la Russie, voulant consolider les résultats matériels de leur coalition, conclurent entre elles le 20 novembre 1815 cette alliance qualifiée de perpétuelle, sur laquelle les grandes puissances du continent, unies à la France, ont cherché plus tard (1818-1820) à édifier un système permanent d'intervention afin de protéger les monarques contre les tendances révolutionnaires de leurs peuples.

En résumé, les coalitions et les interventions du dix-huitième et du dix-neuvième siècle, comme celles des deux siècles précédents, ont eu pour fondement l'idée de conserver et de défendre les institutions traditionnelles battues par l'orage des révolutions.

Ce système d'ingérence perpétuelle, imaginé et préconisé par les puissances alliées, ne devait pas donner les résultats qu'on s'en promettait. D'une part, pour devenir efficace, il exigeait une unanimité de vues, un accord de pensées et de tendances qu'il était difficile de rencontrer chez tous les États. D'autre part, la révolution française avait été non pas vaincue, mais seulement normalisée pour ainsi dire; ses principes politiques avaient germé sur le continent, et songer à les étouffer partout, au besoin par la force des armes, était un rêve dont les événements qui suivirent le congrès d'Aix-la-Chapelle devaient démontrer l'inanité. En effet, l'Angleterre fut la première à résister aux prétentions de l'Au

Interven. tions a 11 et au XIX siècle.

XVII

Déclaration de l'Angleter

tervention.

triche, de la Prusse et de la Russie, et à s'opposer à la mise en pratique des résolutions arrêtées au congrès de Troppau et de Laybach pour comprimer les mouvements insurrectionnels qui en 1820 éclatèrent à Naples et sur d'autres points de l'Italie. Les gouvernements alliés basaient leur intervention sur « le droit, devenu une nécessité urgente, de prendre en commun des mesures de sûreté contre les États dans lesquels le renversement du gouvernement opéré par la révolte, ne dût-il être considéré que comme un exemple dangereux, aurait naturellement pour suite une attitude hostile contre les constitutions et les gouvernements légitimes. >> Ils allaient jusqu'à prétendre empêcher un souverain d'accorder ou, pour parler plus justement, de restituer à son peuple les libertés qui lui avaient été enlevées.

Plus intéressée que d'autres États à voir se propager au dehors les principes de sa constitution et ce qu'on appelle le système parlementaire, la Grande-Bretagne ne négligea rien pour signaler à ses anciens alliés les dangers de la voie dans laquelle ils étaient sur le point de s'engager. Elle ne se borna pas à refuser son concours pour imposer aux États secondaires un régime politique. que ses abus avaient fini par rendre intolérable; elle alla jusqu'à contester aux grandes puissances la légitimité du rôle de justiciers internationaux qu'elles prétendaient assumer, et ne voulut pas admettre comme principe du droit des gens les doctrines d'ingérence proclamées sur le continent.

§ 146. Les représentations verbales que ses agents auprès des du droit d'ingrandes cours européennes eurent ordre de faire à ce sujet n'ayant eu aucun résultat, le gouvernement anglais eut recours à une déclaration de principes, qui résumait ses vues sur la matière et qui offre à ce titre un grand intérêt. Dans cette déclaration, datée du 19 janvier 1821 et signée de lord Castlereagh (1), il est établi que si les évolutions politiques qui se produisent dans un pays peuvent créer un droit d'intervention en faveur des autres États, ce n'est qu'à la double condition que la sécurité et les intérêts essentiels de ces États soient réellement menacés d'une manière sérieuse, et qu'il existe une nécessité impérieuse et urgente.

Lord Castlereagh ajoute qu'à ses yeux le droit d'intervention ne saurait se définir en termes généraux, ni s'appliquer indistinctement à tous les mouvements populaires; qu'il doit s'accommoder à ces mouvements et être un moyen particulier, sui generis, selon les

(1) V. State papers, vol. IX, p. 1160.

circonstances, sans que pour cela il soit permis de l'ériger en principe général et permanent pour en faire la base d'une alliance ou d'un traité. Lord Castlereagh complétait la pensée du cabinet de Londres en disant que l'exercice du droit d'intervention est une dérogation aux principes du droit des gens, dérogation que des circonstances exceptionnelles peuvent seules légitimer; les gouvernements manquent à leurs devoirs réciproques, vont au-devant des dangers et s'exposent aux plus graves inconvénients en se liant d'avance par des engagements qui n'appartiennent pas au domaine fixe et permanent des relations internationales.

Intervention française

§ 147. Ces sages principes furent méconnus par les alliés, et les révolutions de Naples et du Piémont furent étouffées dans le sang, en Espagne. par suite du concours des armées autrichiennes. Ils ne devaient pas être mieux suivis en 1822 au congrès de Vérone, qui servit de point de départ à l'intervention française en Espagne. Malgré l'insuccès de ses protestations antérieures, le gouvernement anglais fit de nouveau entendre sa voix. Dans une note adressée aux alliés en mai 1823, lord Castlereagh soutint qu'un État n'a pas le droit d'exiger d'un autre État qu'il change sa constitution, bien moins encore celui de le menacer, en cas de refus, d'un recours à la force. Il faisait remarquer avec raison que la révolution espagnole n'avait exercé aucune influence en dehors du territoire où elle s'était produite; que la France n'avait à redouter ni d'être envahie ni de voir corrompre son armée ou renverser ses institutions politiques; que dès lors, et aussi longtemps que la lutte et l'agitation ne dépasseraient pas les Pyrénées, il ne voyait aucun motif qui pùt justifier une intervention destinée à replacer la Péninsule sous une forme de gouvernement que la nation repoussait.

Revenant, à cette occasion, sur les principes différents appliqués au commencement du siècle et en particulier sur l'esprit des grandes coalitions qui avaient un moment réuni toutes les puissances contre la France, lord Castlereagh n'eut pas de peine à démontrer que l'unique but poursuivi par les alliés était de repousser la propagation à main armée de principes politiques nuisibles à leurs intérêts, et de délivrer le continent d'une domination militaire injuste et oppressive; que ce double résultat ayant été obtenu, on devait s'en tenir à la situation créée par les traités de 1815 pour la protection réciproque des États et de l'intégrité de leurs territoires respectifs. Cet ensemble de considérations amena le gouvernement anglais à contester à la fois l'opportunité et la

légitimité d'une nouvelle coalition monarchique ayant pour objet de reconstituer un centre commun d'action, destiné soit à immobiliser le monde dans un seul et même mode de gouvernement, soit à exercer un contrôle permanent et perpétuel sur les affaires intérieures des États secondaires.

La doctrine qui dérive des deux déclarations que nous venons d'analyser est des plus concluantes, et elle acquiert toute l'autorité d'un précédent incontestable par la position prééminente de la nation qui l'a proclamée. Nous la résumons en disant que pour le gouvernement anglais l'intervention est légitime en principe; mais elle ne peut servir de base à un système fixe de droit international, ni s'appliquer indistinctement de la même manière et sous la même forme à tous les cas particuliers qui se rencontrent dans la pratique.

Vers la même époque, l'Europe et l'Amérique voyaient également surgir la grande question de l'indépendance des anciennes possessions transatlantiques de l'Espagne.

Engagée sur les champs de bataille depuis les premières années du siècle, cette lutte entre les colonies et la métropole touchait à sa fin en 1823; il ne restait qu'à en consolider les résultats par une consécration internationale.

Affranchie des liens dynastiques qui enchaînaient jusqu'à un certain point la liberté d'action et d'appréciation de la France, la Grande-Bretagne put, dans ce grand débat colonial, adopter une politique en harmonie avec le libéralisme de ses institutions et conforme d'ailleurs aux intérêts vitaux de son commerce et de son industrie.

Lorsque l'ambassadeur de France à Londres, le prince de Polignac, le mit en demeure d'exposer la ligne de conduite qu'il comptait suivre, M. Canning, dans une correspondance qui mérite tout particulièrement de fixer l'attention, ne craignit pas de déclarer que l'Angleterre n'entrerait dans aucun concert tendant soit à refuser ou à différer la reconnaissance des colonies espagnoles, soit à engager leur métropole à ajourner indéfiniment la solution d'une question si grave.

Malgré leur importance, ces déclarations sont cependant dominées par celles que fit à la même occasion le cabinet de Washington et qui constituent la célèbre doctrine de Monroe, dont nous allons nous occuper plus en détail *.

* Wheaton, Elém., pte. 2, ch. 1, §§ 11; Wheaton, Hist., t. I, pp. 110114; t. II, pp. 219-239, 252-260; Vattel, Le droit, livre II, ch. tv, §§ 54,

§ 148. Le développement de la puissance des deux Amériques, les progrès de toute sorte réalisés en si peu de temps par les divers États qui ont surgi dans le Nouveau Monde, et converti les anciennes et vastes colonies espagnoles en autant de grandes républiques ou d'empires, comme celui du Brésil, dont la constitution diffère tant de celles des monarchies européennes, ont, dès son apparition même, éveillé l'attention sur la portée de ce que dans le monde politique et diplomatique on désigne sous le nom de doctrine de Monroe. L'importance hors ligne de cette doctrine est devenue bien plus saillante encore en présence de l'attitude que dans plus d'une occasion les gouvernements de l'Europe ont adoptée à l'égard des États américains, de la conduite suivie par la France et par l'Angleterre lors de la lutte gigantesque qui a récemment ensanglanté les États-Unis, enfin de l'intervention française dans les affaires intérieures du Mexique.

Tous les peuples du Nouveau Monde ont successivement trouvé dans la célèbre doctrine des États-Unis de puissants arguments pour la défense des droits ou des prétentions qu'ils avaient à soutenir dans leurs relations diplomatiques avec les États du vieux continent. D'un autre côté, il n'est presque aucun publiciste américain qui, en traitant des questions de droit international et en déterminant les liens politiques qui doivent unir l'Amérique et l'Europe, ait émis le moindre doute sur la parfaite légitimité et la haute sagesse des principes proclamés par le président Monroe, lesquels sont devenus, du reste, à la fois un bouclier, une arme de combat et une règle de conduite pour les gouvernements américains : c'est au nom de ces principes, en effet, que, suivant le point de vue adopté, on a affirmé le droit de ces peuples de jouer un rôle dans les grands événements européens, que l'on a repoussé toute intervention étrangère dans les États transatlantiques, que l'on a constitué un grand parti politique qui donne en quelque sorte l'impul

56, 57; liv. III, ch. 1, § 50; Martens, Précis, § 74; Phillimore. Com., vol. I, pte. 4, pp. 433-483; Kent, Com., vol. I, pp. 22, 23; Kluber, Droit, § 51; Heffter, §§ 44-46; Bluntschli, Le droit, § 474; Manning, pp. 97, 98; Wildmann, vol. I, p. 47; Bello, pte. ì, cap. 1, § 7 ; Riquelme, lib. I, tit. 2, cap. XXIV; Halleck, ch. Iv, § 4; ch. XXIV, § 12; Huber, De jure, lib. III, cap. VII, §4; Pando, p. 74; Dalloz, Répertoire, V. Droit des gens, n's 86 et seq.; Vergé, Martens, t. 1, pp. 202 et seq.; Berriat Saint-Prix, Théorie, pp. 164 et seq.; Pinheiro Ferreira, Vattel, liv. II, ch. iv, § 56; Guizot, Mémoires, t. IV, pp. 4, 5; Pradier-Fodéré, Vattel, t. II, pp. 27 et seq., 308; Ott, Klüber, § 51, note c; Hautefeuille, Le principe de non-intervention; Funck Brentano et Sorel, Précis, ch. XI. Hall; int. law., p. 242.

Doctrine de Monroe.

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