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presque toujours guidés par un motif d'intérêt personnel, ils s'en dessaisissaient moyennant quelque argent que ces scélérats leur donnaient furtivement; ou s'ils les traduisaient devant les juges, c'était dans l'espérance d'obtenir une partie de l'amende à laquelle ces criminels étaient condamnés.

Parvenaient-ils à surprendre quelques filles publiques revêtues d'habits ou d'ornemens qui leur étaient interdits, c'était l'espoir d'une rançon, ou au moins d'une part dans l'amende, qui les portait à sévir contre elles.

Hors des cas qui lui offraient cet appât d'un lucre chétif, le surveillant agissait comme s'il n'eût eu rien à démêler avec les malfaiteurs, d'ailleurs trop nombreux et souvent trop puissans pour ne pas craindre de s'attirer leur haine commune par trop de sévérité : ils lui pardonnaient de faire quelquefois son métier, parce que les scélérats ont aussi pour adage qu'il faut que tout le monde vive.

On voyait s'organiser, sans qu'aucune force se levât pour les réprimer, ces compagnies qui désolaient le royaume, et qui, sous les noms de routiers, de trente mille diables, quinze mille diables, escorcheurs, pillaient, assassinaient, rançonnaient impunément.

Sans cesse prêtes à prendre parti pour ceux qui les payaient, ces troupes indisciplinées, commandées souvent par des grands seigneurs, étaient généralement composées de cadets et de bâtards de maisons nobles, et de leurs serviteurs.

Les escorcheurs parcouraient la France, cherchant du butin, faisant naître les occasions de s'enrichir : tout leur semblait bon à prendre, et les meilleurs moyens étaient les plus expéditifs et les plus violens.

La renommée du mal qu'ils pouvaient faire était telle, que les princes qui se faisaient la guerre invoquaient souvent leur appui.

On vit à leur tête le bâtard de Bourbon, le bâtard d'Armagnac, Antoine de Chabaunes, et Lahire, et Saintrailles, que la France comptait au rang de ses meilleurs capitaines.

Certes, au milieu de cette sanguinaire confusion, les criminels avaient de nombreuses chances d'impunité; aussi l'action de la justice était-elle nulle.

Lorsque ces scélérats curent disparu, le calme ne se rétablit pas en France; des sujets non moins sérieux d'agitation tourmentèrent de nouveau le royaume. Les dissensions religieuses servirent de motifs à tous les crimes. Ce n'était pas au temps de la ligue qu'on pouvait voir l'ordre et la justice marcher ensemble.

Richelieu, en étouffant les restes de la féodalité, concentra l'autorité dans ses mains, ou plutôt s'empara de la royauté. La fermeté de son caractère aurait pu seule restaurer les mœurs; mais, sans cesse occupé du soin d'établir et de consolider son pouvoir, il n'invoqua à son profit que la corruption, l'intrigue et la violence; au lieu de l'affermir par de bonnes lois, et par une création sage et forte de juges indépendans et amis de l'ordre.

L'espionnage devint, dans les mains de ce ministre habile, l'instrument le plus puissant et le plus dangereux. Il se servait des hommes les plus vils, il employait les moyens les plus odieux : le valet dénonçait son maître, le confesseur son pénitent, la femme son mari.

Sous Louis XIV, la France était infestée de voleurs et d'assassins.

Au commencement du règne de ce prince, on voyait encore à Paris un lieu appelé la Cour des Miracles, et qui, d'après Sauval, de toutes parts était entouré de logis bas, enfoncés, obscurs, difformes faits de terre et de boue, et tous pleins de mauvais

pauvres.

Les huissiers ni les commissaires de police ne pouvaient y pénétrer sans y recevoir des injures et des coups.

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« On s'y nourrissait de brigandages, dit le même » auteur; on s'y engraissait dans l'oisiveté, dans la gourmandise, et dans toutes sortes de vices et de » crimes: là, sans aucun soin de l'avenir, chacun >> jouissait à son aise du présent, et mangeait le soir » avec plaisir ce qu'avec bien de la peine, et souvent >> avec bien des coups, il avait gagné tout le jour; » car on y appelait gagner ce qu'ailleurs on appelle dérober: et c'était une des lois fondamentales de » la Cour des Miracles de ne rien garder pour le len» demain. Chacun y vivait dans une grande licence; » personne n'y avait ni foi, ni loi; on n'y connaissait ni baptême, ni mariage, ni sacrement. Il est vrai

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» qu'en apparence ils semblaient reconnaître un Dieu le père, qu'ils avaient volé dans quelque église, et » où tous les jours ils venaient adresser quelques » prières.... Des filles et des femmes, les moins lai»des, se prostituaient pour deux liards, les autres pour un double (deux deniers), la plupart pour » rien. Plusieurs donnaient de l'argent à ceux qui > avaient fait des enfans à leurs compagnes, afin » d'en avoir comme elles, d'exciter la compassion et » arracher des aumônes. »

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Cette bande de voleurs avait quelques lois, et ses chefs un langage particulier, appelé argot, langage qui s'est traditionnellement conservé, et qui existe encore parmi les habitans de Bicêtre et des bagnes, Le chef suprême portait, comme le chef des Bohêmiens, le titre de coësre. Les grades inférieurs du royaume argotique étaient ceux des cagoux et archisuppots de l'argot, des orphelins, des marcandiers, des rifodes, des malingreux et capons, des callots, des sabouleux, des hubains, des coquillarts et des courtaux de boutange.

Tous ces brigands gueusaient dans les départemens que le coësre leur avait assignés. Ils contrefaisaient les soldats estropiés, ou bien montraient au public leurs membres couverts d'ulcères factices; souvent ils se plaignaient de malheurs imaginaires, ou bien amassaient la foule pour aider leurs camarades à couper les bourses, que, selon la mode de ce temps, on portait pendues à la ceinture. Toutes les supercheries, tous les crimes, toutes les entre

prises hardies, étaient tentés par eux. La capitale était enveloppée de cette nuée de gens sans avcu, comme d'un vaste réseau.

La cour ferma long-temps les yeux sur ce monstrucux abus de la mendicité. Louis XIV se décida enfin à purger Paris de la Cour des Miracles, dont, suivant quelques historiens, les habitans s'élevaient jusqu'à quarante mille. Il institua l'hôpital général où tous les mendians devaient être renfermés. On pense bien que les voleurs n'allèrent pas s'y confiner en charte privée ; ils prirent la fuite. Mais Paris avait trop d'attraits pour eux: ils y revinrent bientôt après; et les vols, les assassinats, reprirent leur cours accoutumé.

Jusque-là les grands chemins, abandonnés aux brigands, n'étaient ni réparés, ni gardés; les rues de Paris, étroites, mal pavées et couvertes d'immondices, étaient remplies de coupeurs de bourses et de détrousseurs de passans. On voit, par les registres du parlement, que le guet de cette ville était réduit alors à quarante-cinq hommes mal payés, et qui, même ne servaient pas..

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On lit encore dans les registres du parlement, au

décembre 1662, six ans après l'établissement de l'hôpital général, un réquisitoire du procureur-général de cette cour, où il remontre « les désordres, » assassinats et volerics qui se commettent, tant de » jour que de nuit, dans cette ville et faubourgs. Le grand nombre de vagabonds et gens vulgairement » appelés filous, comme aussi certains gueux estro

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