Page images
PDF
EPUB

Indépendamment des secrets que les agens de police obtenaient par l'exercice le plus actif de leurs sales fonctions, les mattresses de maisons étaient obligées à l'envoi de notes spéciales, destinées à aider la rédaction ou à augmenter les faits du journal du lieutenant-général de police.

Voici l'extrait d'une des notes de la Dufrêne, fameuse appareilleuse du temps:

«Du 20 juin 1753. M. Cot..., mathématicien du » roi, demeurant à Versailles, âgé d'environ quarante » ans, marié. Il est entré à six heures et sorti à huit; »il a vu la petite Raton de chez madame Huguet.

»Du 21. M. de la R....., gouverneur de la ménagerie du roi, chevalier de Saint-Louis, âgé d'envi» ron quarante ans, garçon. Il a vu la petite Adélaïde, qui demeure au roi Salomon, rue Saint» Honoré.

H

Du 22. Le baron de Ram...., chevalier de Saint» Louis, demeurant rue Hautefeuille, âgé d'environ >> soixante-dix ans. Il a vu la nommée Victoire, qui » demeure chez moi. Il est entré à six heures et sorti

» à sept.

[ocr errors]

Le prieur de Sézanne, en Brie, demeurant rue «Thérèse, butte Saint-Roch, âgé d'environ trenteeinq ans. Il s'habille quelquefois en petit-maître, » en épée; il a vu la nommée Victoire : il est entré » à huit heures et sorti à neuf.

D

»Du 23. M. le baron d'Urs, vivant de son bien, demeurant place Vendôme, âgé d'environ quarante»> cinq ans, garçon ; il a vu la nommée d'Arby, de

» meurant près du Luxembourg : il est entré à sept D heures et sorti à neuf.

M. de Crem...., grand chevalier de l'ordre des » Cordons-Rouges, lieutenant-général des armées du »roi, frère de M. de La Boss........, trésorier des états » de Bretagne, demeurant avec lui, rue des Capu» cines, près de la place Vendôme, âgé d'environ cinquante-cinq ans ; il a vu la nommée Adélaïde, » qui demeure au roi Salomon il est entré à neuf >> heures du soir, sorti à dix et demie.

>>

» Du 24. M. de Ger....., cordon-rouge, trésorier » de la marine, garçon, âgé d'environ trente ans, de» meurant place Vendôme; il a vu la Victoire : il est » entré à huit heures, sorti à neuf.

»Du 25. M. de P..... d'Arg..... est venu à dix heu>> res du soir; il..... (1) par Victoire.

» On a oublié du jeudi.

» M. la Ser.., ambassadeur de Portugal, demeu» rant rue Richelieu, âgé de trente-six à quarante ans ; >> il a vu Agathe, de chez la Desportes : il est entré à >> huit heures et sorti à neuf. »

Signé, femme DUFRÊNE (2).

(1) Le lieutenant-général de police lisait souvent des mots techniques qui ne paraissaient pas trop blesser sa pudeur, puisque toutes les notes de ces femmes en contiennent un assez grand nombre.

(2) La Bastille dévoilée, 3a liv., pag. 154.

Une reconnaissance sans bornes devint le prix d'une condescendance sans limites.

En 1755, le gouvernement ayant l'intention d'augmenter la population des colonies, et en même temps d'arrêter les effets de la mendicité en France, le lieutenant- général de police de Paris reçut l'ordre de faire ramasser les vagabonds, et surtout les enfans errans dans les rues. « Cette mesure, mala>> droitement exécutée, excita une grande rumeur » parmi le peuple, et il se répandit que les enfans qu'on enlevait ainsi étaient secrètement égorgés » pour faire un bain de sang au dauphin, tombé, di»sait-on, dans une espèce de paralysie.

[ocr errors]

Soit qu'on crût à cette absurdité, soit qu'on eût l'air d'y ajouter foi pour exercer quelque vengeance contre un magistrat détesté, il se forma un attroupement considérable devant l'hôtel de la police, situé alors rue Saint-Honoré, près de Saint-Roch; on cassa toutes les vitres, on massacra un exempt sur les marches de l'église.

Effrayé du danger qui le menaçait, Berryer se sauva par une porte de derrière. Sa femme, au contraire, fit ouvrir les grandes portes de l'hôtel, et parut en peignoir sur son balcon. Cet acte de courage imposa aupeuple; il se retira. Mais en voyant le parlement sévir contre Berryer, et ne le punir autrement que par la recommandation d'être à l'avenir plus circonspect, il resta persuadé que le lieutenant-général de police était plus coupable qu'il ne l'avait pensé d'abord; et la cour, en sacrifiant le favori de madame de Pom

padour ne servit pas moins que le parlement à tromper les esprits.

La bienveillance de la marquise n'abandonna point Berryer dans sa disgrace. Elle le fit nommer conseiller-d'état, puis conseiller au conseil des dépêches, où il lui avait paru utile de tenir un homme de confiance. En 1758, aidée du duc de Choiseul, elle le porta au ministère de la marine. Aussi déplacé dans ses nouvelles fonctions qu'il l'avait été à la tête de la police, Berryer ne fit rien pour retirer la marine de l'oubli où elle était tombée.

« Le court et pitoyable essai de M. de Massiac dégoûta de confier la marine à un homme du métier. On en revint aux maîtres des requêtes, et M. Berryer l'obtint. Chacun fut confondu d'étonnement à cette nouvelle on se demandait si l'on voulait absolument achever notre perte, avec un pareil ministre, dans la crise importante où les colonies et les affaires maritimes se trouvaient. Ce personnage, sorti de la police depuis peu, n'avait jamais annoncé aucun deş talens qu'exigeait la place délicate où on l'élevait. Il était d'ailleurs sans humanité, dur, brusque, grossier même : il s'était fait détester partout où il avait passé, et n'avait d'autre mérite qu'un dévoûment servile envers la favorite, et une abjection profonde auprès de ceux dont il avait besoin. Elle l'avait fait introduire au conseil des dépêches, et peu après au conseil-d'état, pour y avoir une voix de plus à elle, et surtout un espion en état de lui rendre compte de tout ce qui s'y passerait. Il avait observé que le maré

chał due de Belle-Isle y tenait le haut-bout, en était l'oracle, et il lui avait fait sa cour. Celui-ci....crut avoir trouvé l'homme qui lui convenait en M. Berryer, c'est-à-dire un agent actif et docile, qu'il mettrait en mouvement comme il voudrait, et qui se prêterait aveuglément à ses diverses impulsions. Il se trompa : le nouveau secrétaire-d'état avait beaucoup d'ignorance, mais davantage encore de présomption et d'entêtement. Bas quand il avait eu besoin de capter le suffrage de son bienfaiteur, il devint, selon l'usage, insolent quand il crut pouvoir s'en passer. Minutieux par caractère et par la place qu'il avait remplie long-temps, il s'occupa de petites réformes, au lieu de seconder efficacement les mesures rigoureuses que prenait le maréchal dans son département, car la guerre et la marine devaient se prêter la main, ne pouvaient réussir l'une sans l'autre, et celle-ci fit échouer, par son défaut d'harmonie, les savantes combinaisons de l'autre.

» M. Berryer, parvenu au ministère avec la prévention, trop fondée, il est vrai, des déprédations énormes qui se commettaient dans son département, n'eut pas l'esprit de sentir qu'il fallait remettre à un temps plus opportun à remédier aux abus; qu'il fallait songer au point capital et urgent de la conservation des colonies, qui en étaient le théâtre principal, et que ce n'est pas lorsque la maison brûle qu'on doit se distraire du soin d'éteindre le feu pour empêcher les voleurs de détourner quelques effets. Etant à la pólice, il n'avait connu pour ressorts de son administra

« PreviousContinue »