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doux, dans le secret des familles, et dont l'action, inoins sentie, se laissât moins apercevoir.

La police avait été souvent mise à la place de la justice; mais qui s'en plaignit jamais? N'était-on pas trop heureux, sous le gouvernement absolu de Napoléon, de jouir d'une sécurité parfaite, dans sa personne, dans ses amis, dans ses biens?

On n'a pas oublié que ce fut à ces époques où la guerre appelait l'empereur aux extrémités de l'Europe, que Fouché tenait véritablement les rênes de l'État dans ses mains, et maintenait toutes les par ties de l'empire dans une paix profonde.

Vainqueur de l'Autriche et de la Russie à Austerlitz, Napoléon revint en France après la paix de Presbourg (25 décembre 1805), et conféra à Fouché, en récompense de ses services, le titre de duc d'Otrante et une dotation dans les États de Naples.

Il est difficile de ne pas voir dans cet acte de haute satisfaction impériale, la preuve incontestable que Fouché avait été loyal et fidèle à l'empereur, et que Napoléon ne redoutait pas son ministre, comme on s'est plu à le répéter dans certaines coteries: un prince aussi fort et aussi sévère n'eût point souffert d'autorité rivale.

On a dit aussi que Fouché avait conseillé à Napoléon de renoncer à ses projets sur l'Espagne ; c'est à tort: Talleyrand, que l'empereur appelait le Fouche des salons, peut revendiquer l'honneur de ces conseils.

La derniere marque de confiance que l'empereur ait donnée à Fouché, c'est de lui confier, lors de la campagne de 1809, le département de l'intérieur avec celui de la police: Fouché cessa bientôt d'être digne des bontés de son maître.

Au retour de cette campagne, Napoléon lui retira le portefeuille de l'intérieur, et quelques mois plus tard (3 juin 1810), il l'éloigna entièrement de lui. La haine de Lucien et de la famille motiva sa première disgrâce; la seconde repose sur des causes graves que je vais indiquer.

Si, avec la connaissance de ces faits, et surtout avec celle du caractère de Napoléon, quelques hommes s'obstinaient encore à croire que le prince sacrifiait de nouveau son ministre à quelque sentiment de jalousie ou de peur, il faudrait leur refuser les plus légères facultés de l'intelligence.

Profitant de l'éloignement du chef de l'État, appelé à punir une agression de l'Autriche, les Anglais dirigèrent une expédition contre les îles de la Zélande et Anvers. Bernadotte, que nos soldats ont vu, dans les champs de Leipzig, à la tête d'une armée ennemie, Bernadotte se trouvait à Paris. Fouché l'opposa aux Anglais, et ce général fut assez heureux pour débarrasser les parties de la Belgique qu'ils avaient assaillies.

A cette époque, Bernadotte était mécontent, et l'adroit ministre l'avait aisément deviné; mais, quoique celui-ci ne pût aspirer à une plus haute fortune, le besoin de grands mouvemens politiques agitait

constamment son âme : il amena donc Bernadotte à goûter le projet qu'il avait formé pendant les succès de ce général en Belgique, de l'élever au trône impérial, en cas de mort de Napoléon, ou si les événemens pouvaient autoriser un jour une tentative à cet égard.

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A la première nouvelle du débarquement des Anglais à Walcheren, Fouché avait fait lever une garde nationale assez nombreuse, et, dans une circulaire à ce sujet, il avait dit : «Prouvons à l'Europe que si >> le génie de Napoléon peut donner de l'éclat à la » France, sa présence n'est pas nécessaire pour repous>> ser nos ennemis. » Le ministre était trop maître de lui pour s'être laissé emporter par un petit mouvement d'amour-propre : c'était l'expression involontaire d'une pensée secrète. Quand l'empereur revint il licencia cette garde nationale.

Fouché s'était rapproché de Lucien. Il le fit prévenir, à Rome, que son frère était décidé à le faire arrêter, et qu'il n'avait d'autre ressource, pour échapper à ce danger, que de fuir aux États-Unis, ce qu'il fit en effet. En ́admettant que tel fut le dessein de Napoléon, son ministre devait-il le trahir?

Dans un conseil privé tenu aux Tuileries, relativement au mariage de l'empereur avec Marie-Louise d'Autriche, Fouché, appelé à donner son avis, s'était prononcé pour une alliance avec la Russie. Point de reproches à lui faire s'il se fût borné là; mais il alla prévenir l'impératrice Joséphine de l'affaire qui s'était traitée au conseil.

L'empereur, dans le même temps, avait essayé des négociations de paix avec l'Angleterre, par l'entremise d'une maison de commerce de Hollande. Fouché l'ignorait. Celui-ci, de son côté, s'imagina d'intriguer auprès du marquis de Welesley: il lui envoya un vieil officier irlandais, nommé Fagan, créature du fournisseur Ouvrard. Frappé du peu d'accord qui devait naturellement exister dans les propositions des deux agens, et ne pouvant en soupçonner le motif, le ministre britannique les considéra comme également suspects, et les fit chasser d'Angleterre l'un et l'autre. Surpris de cette brusque conclusion, Napoléon employa sa contre-police à découvrir la vérité, et ne tarda pas à l'apprendre.

On voit maintenant que Fouché, ramené par un penchant irrésistible à ses anciennes habitudes, remuait, agitait, tourmentait, intriguait par plaisir, par goût, par besoin; qu'alors il était déplacé dans la direction d'un ministère impérial, et qu'il ne pouvait plus que déplaire à l'empereur.

Cependant Napoléon, ne voulant pas qu'un de ses serviteurs, même ingrat, pût l'accuser de méconnaître des services passés, nomma Fouché gouverneur de Rome.

Voici la lettre de remercîment que lui écrivit l'exministre:

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« Sire,

J'accepte le gouvernement de Rome, auquel » V. M. a la bonté de m'élever pour récompense des

faibles services que j'ai été assez heureux de lui >> rendre. Je ne dois pas cependant dissimuler que » j'éprouve une peine très-vive en m'éloignant d'elle: je perds à la fois le bonheur, et les lumières que je » puisais chaque jour dans ses entretiens. »

Le duc d'Otrante se retira à Ferrières, terre qu'il possédait à six lieues de Paris, en attendant l'expédition de ses lettres de nomination. Il y était à peine installé que les conseillers-d'état Réal et Dubois, et le général Berthier, reçurent l'ordre de s'y rendre pour réclamer du ministre déchu les ordres et instructions émanés du cabinet impérial. Il remit quelques papiers insignifians, déclarant avoir brûlé les

autres.

Au retour de ses envoyés, l'empereur entra dans une grande colère. Fouché, l'ayant appris, craignant pour sa liberté, se sauva, n'emmenant avec lui que son fils aîné, accompagné d'un gouverneur. Il tráversa la France en toute hâte, se rendit à Florence, où il séjourna quelque temps, s'embarqua à Livourne, redescendit à terre, refusa un capitaine anglais qui s'offrait de le conduire en Angleterre, et revint au sein de sa famille, à Aix, chef-lieu de la sénatorerie dont il était titulaire. Pour acheter le repos de cet exil, en quelque sorte volontaire, il livra les papiers que réclamait l'empereur, moyennant l'assurance qu'il ne serait inquiété pour aucun des actes de son ministère.

Fouché vécut tranquille en Provence. Après les dé

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