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La Touraine ne le posséda guère plus d'un an ; car le régent le rappela à ses anciennes fonctions de lieutenant-général de police, par lettres du 26 avril

1722.

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D'Argenson rendit à son protecteur un service dont son cœur dut lui faire apprécier toute l'importance.

Le plus inepte de tous les maréchaux de France, Villeroi (1), était gouverneur de Louis XV. C'est lui qui disait à ce prince enfant, en le faisant approcher d'une des fenêtres des Tuileries: «Voyez-vous, mon maître, tout ce peuple vous est soumis; tout ce que vous apercevez vous appartient.» Point de précautions insultantes qu'il ne crût devoir prendre pour prévenir toute tentative criminelle sur la personne de son royal élève; poussant même le zèle, ouvertement et constamment, jusqu'à manifester les plus indignes soupçons à l'égard du régent.

Par une prudence portée à l'excès, et qui prouve le prix qu'il attachait à l'opinion du peuple, le duc d'Orléans n'avait jamais montré au maréchal de mécontentement ni de colère.

Mais le terme de la majorité de Louis XV approchant, le prince, après le travail ordinaire, qui venait d'avoir lieu à Versailles (12 août 1722), en

(1) Saint-Simon a dit : « C'était un homme fait exprès pour présider à un bal, pour être le juge d'un carrousel, et, s'il avait cu de la voix, pour chanter à l'Opéra les rôles de héros; fort propre encore à donner les modes, mais à rien du tout audelà.»

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présence du maréchal, supplia le roi de passer dans un arrière-cabinet, pour y recevoir la communication de quelques affaires secrètes. Villeroi s'y opposa nettement: en vain le régent, avec une modération insidieuse, lui représenta qu'à la veille du jour où le jeune monarqué allait prendre les rênes de son empire, il était temps que le dépositaire de son autorité lui en rendit compte sans réserve, mais sans témoin, le maréchal ne céda point encore à ces paroles. Alors le régent se contenta de lui dire que la présence du roi ne permettait pas de donner de suite à cette explication, et il se retira sur-le-champ.

D.

Villeroi, étourdi du coup, crut cependant devoir reprendre, dès le lendemain, son air de confiance inaltérable. Il se présenta chez le régent; on lui dit qu'il est enfermé, et qu'il y a défense d'ouvrir à personne. Il réplique que cette défense ne peut regarder un homme comme lui, et il veut forcer la porte; mais à l'instant paraît le marquis de La Fare, capitaine des gardes du régent, qui lui demande son épée. Le maréchal s'écrie et veut résister on l'entoure, on le pousse on le fait tomber dans une chaise à porteurs, qui était là tout exprès; et, par une des portes qui donnent sur la terrasse, on l'enlève et on lui fait descendre l'escalier de l'Orangerie. Un carrosse à six chevaux l'attendait; on l'y jette, et deux officiers, des mousquetaires y montent avec lui. On lui signifie, qu'on va le mener à sa terre de Villeroi. »

L'abbé Fleury, précepteur du roi, avait fait au maréchal la promesse de quitter la cour lorsque ce

lui-ci s'en éloignerait aussitôt qu'il eut appris le départ de Villeroi, le précepteur se retira à Issy.

Privé tout à coup des deux personnes qu'il s'était accoutumé à voir à toute heure et à aimer, le roi se livra au désespoir; et si la peine que le roi éprouvait 'eût pu transpirer au dehors, il n'est pas douteux que la calomnie et la méchanceté n'eussent envenimé la conduite du régent.

Cependant le roi continuait de se chagriner, ce qui causait au régent un embarras extrême.

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Pour mettre fin à tous ces ennuis, d'Argenson prit sur lui d'expédier, en son nom, un ordre formel et absolu au prélat de revenir, comme si son départ 'était ignoré du duc d'Orléans. Le précepteur fut intimidé, et revint sur-le-champ. Quant à Villeroi, l'évêque de Fréjus le fit aisément oublier.

C'est probablement ce trait de d'Argenson qui a fait dire au régent que le lieutenant de police était propre aux commissions les plus délicates.

Toujours disposé à lui donner de nouvelles marques de sa confiance, le prince le nomma, le 22 septembre 1723, son chancelier-garde-des-sceaux, chef de son conseil, et surintendant de ses maison et fi

nances.

Après la mort du régent (2 décembre 1723), d'Argenson conserva auprès du fils les emplois qu'il tenait de la bienveillance du père; mais il abandonna la lieutenance-générale de police le 2 janvier 1724, fonction dans laquelle il avait montré beaucoup de fermeté pour terminer les querelles du jansénisme.

Débarrassé de sa police, d'Argenson reçut de la duchesse douairière la mission d'aller demander, pour son fils, une princesse de Bade; il partit, et revint sans avoir réussi.

Comme il passait à Weissembourg, où le roi Stanislas s'était réfugié, il se fit présenter à ce monarque déchu. La vue de la princesse Marie Leczinseka lui fit naître la pensée de l'unir au jeune duc d'Orléans: et ce mariage aurait pu avoir lieu, sans doute, si les obstacles qui se présentaient à la cour de Bade n'eussent été promptement aplanis (1).

Ce que les historiens n'ont pas généralement admis, et ce qui paraît vrai pourtant, c'est que le roi Stanislas dut à d'Argenson l'élévation de sa fille sur le trône de France.

M. le duc de Bourbon ), prémier ministre de Louis XV, gouvernait le pays, et se laissait gouverner lui-même par sa maîtresse, la marquise de Prie. Il s'agissait de marier le roi. Tous deux, pour conserver l'exercice du pouvoir, avaient renvoyé l'infante et refusé la princesse Elisabeth de Russie.

A son retour de Bade, d'Argenson leur fit un éloge très-pompeux des grâces et de la douceur de Marie Leczinscka, de telle sorte qu'il leur inspira le projet de la donner à Louis XV, persuadés surtout qu'elle ne serait pas un sujet de crainte pour eux.

(1) Le 18 juin 1724, Louis d'Orléans épousa Auguste-MaricJeanne de Bade. Elle mourut le 8 août 1726, âgée de moins de

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Le duc d'Orléans, chargé d'épouser, par procuration, la réine future, se fit accompagner à Strasbourg par son chancelier, qu'il aimait sincèrement.

Revenus à Paris, le duc d'Orléans, surnommé le Pieux, alla dévotement s'enfermer dans l'abbaye Sainte-Geneviève, et d'Argenson, dans sa maison de Neuilli (1).

Le comte d'Argenson, qui aimait les sciences, les arts et les plaisirs, faisait de sa maison de Neuilli, le rendez-vous des gens du monde instruits et des savans ou littérateurs les plus aimables. La Fare, Chaulieu, le jeune Arouet, y venaient faire des soupers et des vers.»

L'Académie des sciences le reçut au nombre de ses membres honoraires, le 1er août 1726.

Ce qui laissera le souvenir de ce magistrat, c'est. qu'il a contribué, comme conseiller-d'état, à la rédaction des lois et ordonnances dont s'était chargé d'Aguesseau.

Cet illustre chancelier, juge éclairé du mérite de ses collaborateurs, lui confia, en mars 1737, la direction de la librairie. Il fit renouveler et exécuter les réglemens, nomma des censeurs habiles, leur procura des récompenses, ranima leur zèle et leur exactitude. Il encouragea les auteurs et les libraires. Cette place, qui embrassait la surveillance des livres étrangers, et de ceux qui s'imprimaient ou se répandaient en

(1) Cette maison appartient au duc d'Orléans actuel...

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