Page images
PDF
EPUB

naît les grandes bases; il possède les grands principes. Les sciences exactes nuiront-elles à des travaux où le calcul fait presque tout? les comptes, les approvisionnemens, les achats, les répartitions, la population ne sont-ils pas des objets qui appartiennent aux sciences exactes? l'homme qui s'est occupé de ces études jusqu'à cinquante ans, n'est-il pas étranger aux intrigues, aux cabales, pliera-t-il tout-à-coup son ame aux plus indignes manœuvres?

M. Bailly a cherché, le 30 août, à attirer à lui toute l'autorité municipale.-M. le maire écrivit à cette époque aux soixante districts, pour leur présenter le plan municipal; il leur disait à la fin de sa lettre : « Je crois que les assemblées ne peuvent point administrer; que le corps législatif, réuni à certains intervalles pour se faire rendre compte de l'exécution des lois, ne doit point arrêter ni gêner le pouvoir exécutif dans sa marche; je crois que ce pouvoir doit être un, et que, si une partie doit être distribuée entre différens coopérateurs, il faut établir dans le chef une supériorité d'influence qui conserve cette unité. »

Voilà, selon l'ami du peuple, une prétention au despotisme, qui annonce une telle disposition d'ame, qu'elle mérite la destitution de M. Bailly. J'ai bien peur que cet ami du peuple ne soit un ami indiscret, et que, pour faire preuve de zèle, il ne viole les règles de la justice et n'obscurcisse les principes auxquels tiennent le bonheur et la tranquillité du peuple. Cette unité de pouvoir, réclamée par M. Bailly, a-t-elle pour unique but le désir de dominer? Il faut le juger par la pièce dont on argumente contre lui.

« Vous jugerez, Messieurs, le plan qui vous est soumis; je ne vous observerai point que, dans ce plan, le maire n'a pas l'influence qui semble devoir lui appartenir. Je pourrais paraître intéressé à cette observation; vous avez les lumières comme le pouvoir; c'est à votre sagesse à juger et à ordonner; je n'ai pas l'ambition de commander; j'étais à ma place, et j'avais des nuits plus tranquilles quand je ne faisais qu'obéir; mais je tiens à la vérité et aux principes d'où peut dépendre le bonheur public. »

Ces principes ne sont peut-être qu'un prétexte pour masquer une ambition cachée; examinons donc et la manière dont M. Bailly déduit ces principes, et ces principes en eux-mêmes: notre discussion intéresse déjà plus le peuple que M. Bailly.

« La puissance législatrice réside en vous, Messieurs (les dis

tricts); le pouvoir excéutif résidera dans l'administration municipale; mais autant il est nécessaire que le corps législatif soit nombreux, et que la loi à laquelle tous doivent obéir soit l'ouvrage de tous, autant il est essentiel que la force exécutive, qui doit toujours être en action, qui ne doit jamais être arrêtée ni retardée dans sa marche, soit la moins divisée et la plus concentrée qu'il est possible, surtout dans une grande ville où le pouvoir, toujours enchaîné par la loi seule, doit avoir d'autant plus de liberté et d'activité. »

M. Bailly n'a pas créé ces principes pour lui ni pour sa place; ils sont dans l'ordre immuable de la vérité. Plus la chose à administrer est étendue, plus le pouvoir doit être concentré : c'est là tout le résultat de ce profond chapitre du Contrat social, intitulé : Du principe qui constitue les diverses formes de gouver

nement.

« Plus les magistrats sont nombreux, dit Jean-Jacques, plus le gouvernement est faible; c'est une maxime fondamentale. Plus le peuple est nombreux, plus la force réprimante doit augmenter; d'où il suit que le rapport des magistrats au gouvernement doit être inverse des sujets au souverain; tellement que le nombre des chefs diminue en raison de l'augmentation du peuple; l'expédition devient plus lente à mesure que plus de personnes en sont chargées. >>>

On voit donc que si Rousseau, qu'on ne soupçonnera pas d'aristocratie, eût été maire de Paris, il aurait tenu aux districts le même langage que M. Bailly; il eût été convaincu, comme lui, de la nécessité de resserrer le gouvernement municipal, pour lui donner plus de force dans une ville immense et dans la crise la plus terrible.

Nous avouons que le gouvernement municipal ne peut acquérir de la force qu'aux dépens de sa rectitude; mais plus le pouvoir serait resserré, plus il faudrait être scrupuleux sur le choix de ceux à qui on le remettrait. En convenant que M. Bailly possède toutes les vertus domestiques, l'ami du peuple a dit pourquoi un grand pouvoir serait moins dangereux entre ses mains.

Mais il est possible que le choix tombe un jour sur un mauvais citoyen, et que cette étendue du pouvoir exécutif devienne funeste à la liberté. D'abord il est juste de supporter la peine d'un mau

vais choix, et la vengeance du peuple est plus facile et plus sûre, lorsqu'il ne peut douter quel est l'auteur de ses maux. L'opinion publique a bien plus de prise sur un administrateur unique, et qui répond de tout, que sur une nombreuse collection d'administrateurs qui rejettent leurs fautes les uns sur les autres; qui, vertueux, n'ont aucune gloire ; et qui, coupables, se cachent et se perdent dans la foule.

C'est à la trop grande division du pouvoir exécutif que nous devons attribuer et l'anarchie, et le défaut de subsistances; il n'est pas douteux que nous aurions du pain abondamment, si le maire n'eût pas été jusqu'ici un personnage de représentation.

:

Voilà tout ce que nous avions à dire pour la défense de M. Bailly. Nous ne disons pas qu'il faille se livrer aveuglément à lui; nous ne le dirions pas pour nous-mêmes mais il nous paraît que, dans les imputations de l'ami du peuple, il n'y a rien qui doive lui faire perdre la confiance dont il a été honoré par un vœu unanime.

FIN DES ÉCLAIRCISSEMENS HISTORIQUES ET DES PIÈCES OFFICIELLES.

« PreviousContinue »