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» n'étaient pas en sûreté. Serait-il donc nécessaire » de rassurer sur des récits aussi coupables, dé» mentis d'avance par mon caractère connu?

» Eh bien, c'est moi qui ne suis qu'un avec la nation, c'est moi qui me fie à vous. Aidez-moi

» dans cette circonstance à assurer le salut de l'État. Je l'attends de l'Assemblée nationale; le

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» zèle des représentans de mon peuple, réunis » pour le salut commun, m'en est un sûr garant; » et, comptant sur l'amour et la fidélité de mes sujets, j'ai donné ordre aux troupes de s'éloi>> gner de Paris et de Versailles. Je vous autorise >> et vous invite même à faire connaître mes dispositions à la capitale. »

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Ce discours n'était pas celui que j'avais fait; je m'en souviens peu, mais je crois que celui-ci vaut mieux. Il me semble que le début avait quelque chose de plus noble: on fut un peu choqué des représentans assemblés pour étre consultés sur les affaires de l'État; mais le reste enleva tous les suffrages et tous les cœurs. On vit avec plaisir bannir l'expression d'états-généraux, et le roi nommer l'Assemblée nationale. Ce discours fut interrompu plusieurs fois par les plus vifs applaudissemens ; mais surtout l'assertion je ne fais qu'un avec la nation et le beau mouvement, on vous a donné contre moi d'injustes préventions; eh bien, c'est moi qui ne fais qu'un avec la nation, c'est moi qui me fie à vous, causa des transports de joie : jamais souverain et despote n'a eu une pareille jouissance

à celle du monarque dans ce moment, et déjà constitutionnel. Ah! bon et digne roi, voilà la ligne que votre heureux naturel et votre cœur vous avaient tracée, pourquoi vous en a-t-on quelquefois écarté ?

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M. le président (1), au milieu des nombreux et bruyans applaudissemens qui ont interrompu et suivi le discours du roi a dit : « Sire, l'amour de » vos sujets pour votre personne sacrée semble » contredire dans ce moment le profond respect » dû à votre présence, si pourtant un souverain >> peut être mieux respecté que par l'amour de » ses peuples. L'Assemblée nationale reçoit avec >> la plus respectueuse sensibilité les assurances que >> Votre Majesté lui donne de l'éloignement des >> troupes rassemblées par ses ordres dans les murs » et autour de la capitale, et dans le voisinage de » Versailles; elle suppose que ce n'est pas simple>>ment un éloignement à quelque distance, mais » un renvoi dans les garnisons et quartiers d'où » elles étaient sorties, que Votre Majesté accorde » à ses désirs.

» L'Assemblée nationale m'a ordonné de rap» peler, dans ce moment, quelques-uns de ses » derniers arrêtés, auxquels elle attache la plus » grande importance. Elle supplie Votre Majesté » de rétablir dans ce moment la communication

(1) M. Le Franc de Pompignan, archevêque de Vienne.

(Note des nouv. édit.)

» libre entre Paris et Versailles, et dans tous les » temps une communication libre et immédiate » entre elle et Votre Majesté. Elle sollicite avec » instance l'approbation de Votre Majesté pour >> une députation qu'elle désire envoyer à Paris, » dans la vue et dans l'espérance qu'elle contri>> buera beaucoup à ramener l'ordre et le calme » dans votre capitale. Enfin, elle renouvelle ses >> représentations auprès de Votre Majesté >> les changemens survenus dans la composition » de votre conseil. Ces changemens sont une » des principales causes des troubles funestes qui » nous affligent, et qui ont déchiré le cœur de » Votre Majesté. »

sur

Le roi a répondu que, sur la députation de l'Assemblée nationale à Paris, on connaissait ses intentions et ses désirs, et qu'il et qu'il ne refuserait jamais de communiquer avec l'Assemblée nationale, toutes les fois qu'elle le jugerait nécessaire. Le roi s'est retiré, et suivant les expressions mêmes du procès-verbal, « l'Assemblée ne se lassant point d'exprimer au roi ses sentimens s'est, par un mouvement de reconnaissance et d'amour, portée tout entière sur les pas de Sa Majesté, et l'a conduite au château où le roi s'est rendu à pied, ayant l'amour de la nation pour garde, et ses représentans pour cortége. »

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Il est certain qu'en un instant le plus grand bien avait succédé rapidement au plus grand mal. De cet instant, si on avait encore à redouter les suites

de la révolution, on pouvait la regarder comme faite. Le roi avait reconnu la constitution de l'Assemblée nationale, et par conséquent tous les arrêtés qui, comme celui du 17, avaient été annulés dans la séance royale. Il reconnaissait au moins tacitement le vote par tête, la confusion des 'ordres; les qualités, les droits commençaient à être connus, il ne s'agissait plus que de fixer les pouvoirs par la constitution.

J'étais dans le fond de la salle quand le roi partit; je vis que je serais tout le dernier en le suivant, je fis le tour par la rue des Chantiers, et j'arrivai dans l'avenue assez tôt pour me trouver au premier rang de la bordure; quand les princes passèrent, M. le comte d'Artois s'avança vers moi, me prit la main, et me dit : « Eh bien, Monsieur Bailly, vous voyez qu'on a rempli une partie de vos intentions. » Je lui répondis : « Monseigneur, si vous avez contribué à cet événement, c'est le plus beau jour de votre vie. » Monsieur me dit quelques mots sur le bonheur de cette journée. Mais je vis par ce que me dit M. le comte d'Artois, que mon député avait été très-exact dans ce qu'il m'a dit (1). Je suis bien fâché de ne pas me souvenir de son nom pour lui en faire honneur. Mais il faut convenir aussi que, si M. le comte d'Artois a contribué à amener le roi à l'Assemblée, on était

(1) Voyez Tome I, pages 393 et 394.

loin de s'en douter à Paris, où l'on avait quitté la couleur verte, parce que c'était la sienne.

Le roi marchait à pied et sans garde; nous étions une vingtaine de députés qui formions une chaîne autour de lui, pour qu'il ne fût pas pressé par la foule nous étions partout entourés d'un peuple immense; les arbres, les grilles, les statues étaient chargés de spectateurs; la marche dura une heure et demie. Le temps était superbe, la paix revenue dans les cœurs, la joie sur tous les visages, le roi recueillait cette joie avec les bénédictions du peuple; il n'y a eu qu'un cri de vive le roi! jusqu'au château où la reine s'est montrée à un balcon, tenant le dauphin, et le présentant au peuple attendri. Jamais fête ne fut plus belle, plus grande et plus touchante; la foule disait: Il ne lui faut pas d'autres gardes. M. de Villeroi : « Je puis cesser mes fonctions, la nation les remplit. » M. de Vienne observait au roi que le chemin était long et pénible, et le roi, en montrant sa brillante et sensible escorte : « Il n'est pas fatigant. » On lui disait que ces acclamations rendaient hommage à son caractère; et il disait : « Comment a-t-il pu être méconnu? » On assure encore, mais je ne l'ai point vu, qu'une femme du peuple s'est jetée au cou du roi, et qu'il a voulu en être embrassé, et qu'il a dit à ceux qui voulaient la faire retirer : « Laissez-la venir. » La musique des Suisses joua, à son arrivée dans la cour du châl'air Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille? et cet heureux à-propos a été mille

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