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attendre. On me dit qu'on y parlait d'une dépu→ tation au roi, formée d'un député de chaque district et de soixante personnes. M. Vicq d'Azir, premier médecin de la reine, vint me voir; il sortait de chez elle, et je lui racontai le vœu des habitans de Paris pour voir le roi, et l'utilité d'un voyage du roi à Paris dans cette circonstance, et je l'engageai d'en parler à la reine. Il me dit qu'il allait y retourner de ce pas. J'aurais pu aller au roi moi-même; mais, je l'ai dit, j'étais tout neuf, et je ne connaissais ni ma place, ni mes droits.

Je retournai à l'Assemblée à six heures. On y a reçu une lettre singulière, elle était du premier président du parlement, et adressée au président. La voici :

<< MONSIEUR LE PRÉSIDENT ,

» Le parlement m'a chargé de faire part à l'Assemblée nationale d'un arrêté qu'il vient de prendre ce matin. Je m'empresse de remplir cette mission, en vous envoyant une copie de l'arrêté. Je suis avec respect, etc.

>> BOCHART DE SARON. >>

Voici l'arrêté : « La cour, instruite par la ré>>ponse du roi, du jour d'hier, à l'Assemblée >> nationale, de l'ordre donné aux troupes de » s'éloigner de Paris et de Versailles, a arrêté que » M. le premier président se retirera à l'instant » par-devant ledit seigneur roi, à l'effet de le re

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>> mercier des preuves qu'il vient de donner de » son amour pour ses peuples, et de sa confiance » dans leurs représentans dont le zèle et le patrio» tisme ont contribué à ramener la tranquillité » publique ;

» Arrête que M. le président fera part de l'arrêté » de ce jour à l'Assemblée nationale. »

Le premier président avait porté lui-même l'arrêté au roi. Cette différence entre ces deux pouvoirs choqua vivement l'Assemblée. Les ducs d'Aiguillon, de Luynes, de Praslin, de La Rochefoucauld, MM. Duport, Dionis du Séjour, Freteau, de Saint-Fargeau, Filtz-Gerald, et d'Éprémesnil même, tous membres du parlement, s'élevèrent contre cette inconvenance, et, on peut dire, ce manque absolu de respect à la nation. M. de Clermont - Tonnerre dit que le parlement traitait de corps à corps avec la nation; MM. de Saint-Fargeau et Freteau observèrent que, dans un ordre de choses tout nouveau, les convenances pouvaient n'être pas tout-à-coup déterminées et aperçues. Mais on répliqua qu'il était facile d'imaginer ce qui était dû à une nation qui reprend ses droits et sa dignité, par une cour dont les pouvoirs émanent de la nation elle-même. M. le président fut chargé de faire connaître ce mécontentement à M. de Saron.

Sur les huit heures, on vint me demander de la part du premier valet de chambre du roi, et on me remit un billet du roi lui-même, par lequel

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il me témoignait le désir de me voir et de me parler.

y

Je me rendis aussitôt au château et à l'œil-deboeuf; je le trouvai rempli de monde : sur-le-champ tout ce monde m'entoura pour me demander des nouvelles; une grande alarme était répandue. On disait que les districts envoyaient une députation de 60 personnes, appuyée de vingt mille Parisiens. Je les tranquillisai, en leur disant que j'avais nouvelle des soixante députés, mais nullement de leur escorte; que même la députation n'étant pas venue, il y avait grande apparence qu'elle ne viendrait pas, du moins aujourd'hui. J'étais assez embarrassé, ne connaissant pas trop les formes de savoir comment je serais introduit auprès du roi. Je ne savais si le roi voulait qu'on sût qu'il m'avait mandé ; je craignais de m'ouvrir à personne sur cet objet. Enfin, j'imaginai de m'adresser au même premier valet de chambre qui m'avait fait passer le billet; je le trouvai, et il m'introduisit. Le roi me dit qu'il m'avait fait venir pour être instruit de l'état de Paris. Je lui dis ce que j'en savais; je lui exposai le vœu ardent des habitans de Paris. Il me répondit que son intention était d'y aller; je le vis très-affecté des meurtres auxquels le peuple s'était livré, et qui avaient souillé l'Hôtel-de-Ville. Je lui parlai du gouverneur de la Bastille; il me dit : « Ah! il a mérité son sort! » Mais il accordait ces différens sentimens, en pensant que la justice ne devait pas être exercée par

le peuple et par le meurtre, et il avait raison. Dans le désir de le déterminer à satisfaire le vœu de Paris, et à s'y montrer, je lui observai que, s'il avait quelque répugnance à venir dans ces circonstances à l'Hôtel-de-Ville, il était possible qu'il vint à Notre-Dame et aux Tuileries. Je m'avançais peut-être trop, et il est possible que le peuple n'eût pas été pleinement content. Mais il me répondit : « J'irai à l'Hôtel-de-Ville; quand on fait les choses, il faut les faire complétement. » C'était la première fois que je voyais le roi, et que je lui parlais seul. Je me retirai, et j'emportai une grande conviction de sa bonté naturelle qui me parut marquée, et dans sa douleur, et dans ses paroles, et dans l'accent de sa voix.

A peine étais-je sorti, qu'on me rappela. Je crus que le roi me redemandait. Je rentrai dans le cabinet; le roi n'y était plus. J'y trouvai M. de Breteuil avec M. d'Angevilliers et une autre personne. M. de Breteuil me conduisit à une croisée, et me dit : « J'ai su que vous étiez ici, et j'ai désiré de vous voir. » Je lui répondis que j'en étais bien aise, mais que je n'en étais pas moins affligé de l'occasion. Il me dit qu'il quittait Versailles le lendemain. Je lui dis qu'il voyait que les événemens avaient bien justifié ce que je lui avais écrit lundi dernier. Il me dit : « Vous voilà donc maire de Paris; je vous en félicite. » Il m'ajouta que le roi y allait le lendemain matin, et il fut étonné que le roi ne me l'eût pas dit. Je dirai, sans en

rougir, que je fus content de l'avoir vu sans avoir manqué à mon devoir, parce que je lui étais vraiment attaché; et je me retirai, en déplorant pour lui et son arrivée inconsidérée à Versailles, et sa retraite si nécessaire et si différente de celle qu'il avait faite un an auparavant. Je ne cache ici ni mes démarches ni mes pensées.

Il était neuf heures et demie. Je me retirai chez moi sans retourner à l'Assemblée, et je me décidai à partir le lendemain de grand matin pour Paris, afin d'y aller recevoir le roi.

Vers dix heures, à l'Assemblée, la nouvelle arriva du renvoi (1) de tous les ministres, et l'adresse qui le demandait fut changée en remercimens. M. l'archevêque de Vienne revint à l'Assemblée (il vit sans doute le roi après moi), en lui portant une lettre de rappel du roi à M. Necker. L'Assemblée, sensible à cette communication, et pleine d'estime pour ce ministre, ordonna de joindre à la lettre du roi une lettre de sa part, pour lui porter les témoignages de son estime, de ses regrets et de l'espérance de son retour (2). On arrêta une députation au roi, pour le remercier du renvoi des ministres. Elle allait partir,

(1) Ou plutôt de la démission.

(Note des nouv. édit.)

(2) On trouvera, dans les Mémoires de Necker, la lettre du roi et celle de l'Assemblée nationale, ainsi que quelques détails assez curieux, relativement à la première. La lettre de l'Assemblée à M. Necker se terminait par ces mots : « La nation, son roi et ses représentans vous attendent. » (Note des nouv. édit.)

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