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me dirent qu'ils avaient des ordres de leurs chefs pour n'en point recevoir des députés à l'Assemblée nationale. J'arrivai, à cinq heures, à Versailles, où je trouvai madame Bailly dans une mortelle inquiétude. Elle était instruite que la plupart des députés étaient arrivés vers minuit, et elle ne doutait pas qu'au milieu d'une ville qui avait été le théâtre de tant de mouvemens et de désordres, il ne me fût arrivé quelque malheur. Je lui appris ma nouvelle dignité dont elle fut peu satisfaite, et je me couchai pour prendre quelques heures d'un repos dont j'avais un pressant besoin, après la journée la plus fatigante et la plus agitée que j'aie eue dans ma vie.

Jeudi 16 juillet. Je me rendis à la salle à dix heures du matin. A l'ouverture de la séance, M. l'archevêque de Paris a rendu un premier compte de notre députation de la veille. J'ai eu ensuite la parole, et j'ai fait part de ma nomination à la place de maire de Paris. J'ai dit à l'Assemblée que je n'avais accepté que provisoirement, et en supposant et la compatibilité et son agrément; qu'il me semblait que les fonctions de député et de maire pouvaient n'être pas regardées comme incompatibles, puisque toujours jusqu'ic, ou du moins le plus souvent, le prévôt des marchands de Paris avait été député-né aux états-généraux. Ma nomination fut fort applaudie et par l'Assemblée et par le nombreux concours de spectateurs qu'attirait la curiosité du récit des événe

mens de la veille. M. Mounier prit la parol pour l'affirmative, et assura la compatibilité : ains elle fut reconnue, et ma nomination approuvée M. Mounier ajouta le récit de notre députation (1) Le président, quand il eut fini, proposa la men tion au procès-verbal; elle fut adoptée unanime ment. (Point du Jour, 17 juillet, no 26, p. 214. J'ai été étonné de trouver la mention du récit de M. Mounier, et rien sur ma nomination : c'est u oubli des secrétaires. J'en ai été fàché, car depuis, à Paris, on a cherché à me faire quelques tracasseries; on a voulu alléguer l'incompatibilité, et, si cela avait été plus loin, j'aurais pu avoir besoin du procès-verbal. M. de Tollendal relut son discours, et l'Assemblée ordonna que ce discours ainsi que le récit de M. Mounier, seraient annexés au procès-verbal. Un de Messieurs de la noblesse a dit que plusieurs membres de son ordre, étant absens et réunis dans ce moment, demandaient qu'on suspendit toutes délibérations importantes jusqu'à ce qu'ils fussent rentrés. Cependant Mirabeau, toujours à la poursuite des ministres, comme il avait poursuivi les troupes, proposa de faire une

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(1) Suivant le journal le Point du Jour, M. Mounier termina ce discours en proposant d'élever une statue au roi sur les ruines de la Bastille. Il faut observer qu'une motion pareille fut faite à l'assemblée des électeurs de Paris, par M. de Corny, le jour où le roi se rendit dans la capitale, appelé par les vœux de tous les citoyens.

(Note des nouv. édit.)

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le

adresse pour le renvoi des ministres actuels (1). M. Mounier soutint l'Assemblée n'avait pas que droit d'influer sur le renvoi des ministres. M. Mounier oubliait que le roi nous avait consultés, et que la consultation autorise l'avis. Mirabeau combattit victorieusement: on lui objecta que ce serait confondre les pouvoirs; il répondit : « Vous » oubliez que ce peuple, à qui vous opposez les >> limites des trois pouvoirs, est la source de tous » les pouvoirs, et que lui seul peut les déléguer; » vous oubliez que c'est au souverain que vous disputez le contrôle des administrateurs; vous » oubliez enfin que nous, les représentans du sou» verain, nous devant qui sont suspendus tous les pouvoirs, et même ceux du chef de la nation, s'il >> ne marche point d'accord avec nous; vous oubliez » que nous ne prétendons point à placer ni dépla» cer les ministres, en vertu de nos décrets; mais >> seulement à manifester l'opinion de nos commet» tans sur tel ou tel ministre. Vous avez le droit de >> les poursuivre ; vous créerez un tribunal pour les punir, et jusque-là vous vous réduirez au silence. >> Se taire ou punir, obéir ou frapper, voilà votre système; et moi, j'avertis, avant de dénoncer; je récuse avant de flétrir; j'offre une retraite à » l'inconsidération ou à l'incapacité avant de les

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(1) Mirabeau lut même un projet d'adresse fort étendu, et qui fut vivement applaudi par une grande partic de l'Assemblée. (Note des nouv. édit.)

>> traiter de crimes. Qui de nous a plus de mesur >> ́et d'équité? >>

J'ai rapporté ces idées, parce qu'elles sont par faitement justes, et que Mirabeau, par ce peu d paroles, éleva tout-à-coup l'Assemblée à la hauteur et des vrais principes et de ses importantes fonctions. M. de Clermont-Tonnerre a proposé en demandant le renvoi des ministres, de faire part au roi de la nomination de M. de La Fayette et de la mienne, afin que la sanction du roi joignît une nouvelle couronne au choix du peuple. La discussion a été interrompue par la nouvelle que M. de Broglie et M. le garde-des-sceaux avaient donné leur démission. Il a lu ensuite, au nom des membres de la noblesse qui s'étaient momentanément absentés de l'Assemblée, la déclaration suivante : «Messieurs, la fidélité que plusieurs membres de >> la noblesse devaient à leurs commettans, ne leur » a pas permis jusqu'à présent de prendre part à » vos délibérations. Mais les circonstances actuelles >> sont si intéressantes pour le bien public, sont >> trop impérieuses pour ne pas les entraîner; per>> suadés qu'ils ne font que prévenir le vœu de >> leurs commettans auxquels ils vont en rendre » compte, ils ont l'honneur de vous annoncer » qu'ils donneront leurs voix sur les objets qui » vont occuper l'Assemblée nationale. »

Les députés de la noblesse de Paris, liés par leur mandat au vou de la majorité de la noblesse sur le vote, ont fait la même déclaration. M. le

cardinal de La Rochefoucauld a fait la même déclaration au nom des membres du clergé qui s'abstenaient de délibérer. M. l'abbé de Montesquiou a reconnu que la minorité du clergé s'était trompée, et qu'ils en faisaient avec plaisir l'aveu à la nation. Et il a été constaté sur le procès-verbal de ce jour, que tous les membres de l'Assemblée, dont les pouvoirs ont été vérifiés, avaient voix délibérative. Ainsi l'Assemblée s'est trouvée complète, pleine et entière; comment ceux qui en ce moment ont tout adopté, et le passé et l'avenir, ont-ils jamais osé réclamer!

1..

On a reçu une lettre de M. de Broglie qui annonçait, au nom du roi, que toutes les troupes qui se trouvaient dans Paris partiraient aujourd'hui pour se rendre dans leurs garnisons respectives.

Ensuite on a repris la discussion sur les ministres, et enfin il a été arrêté que l'adresse pour demander leur renvoi et le rappel de M. Necker serait portée au roi.

L'après-midi je vis plusieurs personnes venues de Paris, qui me dirent que l'on y désapprouverait infiniment que je demandasse la confirmation du roi; que le peuple devait être libre de nommer ses magistrats, et que le pouvoir exécutif ne devait pas y intervenir. Je pensai en conséquence qu'il était sage de m'abstenir de toute démarche à cet égard. Comme la place était nouvelle, et qu'elle n'était par conséquent assujettie à aucune forme réglée, je n'étais pas obligé d'agir, et je pouvais

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