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» M. le marquis de La Fayette, acceptant cet >> honneur avec tous les signes du respect et de la >> reconnaissance, a tiré son épée; il a fait ser>>ment de sacrifier sa vie à la conservation de >> cette liberté si précieuse, et dont on daignait » lui confier la défense.

>> Au même instant toutes les voix ont proclamé » de même M. Bailly prévôt des marchands.

>> Une voix s'est fait entendre et a dit: Non » pas prévôt des marchands, mais maire de Paris. >> Et, par une acclamation, tous les assistans ont )} répété: Oui, maire de Paris.

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>> M. Bailly s'est incliné sur le bureau, les yeux baignés de larmes, et le cœur tellement op» pressé, qu'au milieu des expressions de sa re>> connaissance, on a seulement entendu qu'il » n'était pas digne d'un si grand honneur, ni ca» pable de porter un tel fardeau.

>> La couronne qui venait de récompenser l'élo» quence patriotique de M. le comte de LallyTollendal, s'est trouvée tout-à-coup sur la tête » de M. Bailly; et, malgré la résistance opiniâtre >> de sa modestie, la main de M. l'archevêque de >> Paris a retenu cette couronne sur sa tête » comme un hommage à toutes les vertus de » l'homme juste qui avait le premier présidé l'As» semblée nationale de 1789, et jeté les pre>> miers fondemens de la liberté française. » (T. I, p. 459.)

J'observe que, malgré ce récit du procès-verbal,

je crois, suivant ma mémoire et le témoignage de quelques électeurs, avoir été nommé le premier et avant M. de La Fayette. La place de prévôt des marchands était vacante; le peuple devait se hâter d'y nommer, pour rentrer dans ses droits et pour qu'on ne le prévînt pas.

Je ne sais pas si j'ai pleuré, je ne sais pas ce que j'ai dit; mais je me rappelle bien que je n'ai jamais été si étonné, si confondu et si au-dessous de moi-même. La surprise ajoutant à ma timidité, naturelle, et devant une grande assemblée, je me levai; je balbutiai quelques mots qu'on n'entendit pas, que je n'entendis pas moi-même, mais que mon trouble, plus encore que ma bouche, rendit expressifs, et qui signifiaient ce que le procès-verbal me fait dire. Un autre effet de ma stupidité subite, c'est que j'acceptai sans savoir de quel fardeau je me chargeais; j'ignorais, à la vérité, que le soin si difficile des subsistances, depuis le départ de M. Necker, fût entre les mains de la municipalité et des électeurs; j'ignorais absolument que M. de Crosne eût donné sa démission, et que la police leur fût également remise. Je crus tout bonnement être prévôt des marchands, sous le nom de maire de Paris. Je savais que cette place n'était point pénible, je savais avec quelle facilité. elle avait été souvent remplie; et je ne fus frappé que de l'honneur qu'on me faisait, sans en apprécier le fardeau. Si je l'avais connu, j'aurais tenté de m'y refuser. J'ai su depuis que j'aurais mal

réussi, ma répugnance aurait été mal interprétée ; cette assemblée de citoyens de toutes les classes nourrie d'inquiétude et de défiance, depuis quatre jours, se livrait aisément au soupçon. M. de Rochechouart, un de mes collègues, et député de Paris, me dit le lendemain que ceux qui étaient autour de lui, et qui n'entendaient pas mon remercîment, disaient, d'un ton plus qu'animé : « Estce qu'il n'accepte pas? »

Avant de se séparer, on a nommé plusieurs électeurs, MM. de La Vigne, du Veyrier, de Leutre Chignard, des Roches, Boucher, Tassin, Lecouteulx de la Noraie, Ganilh, et le marquis de La Salle, pour rendre compte en détail, aux députés de l'Assemblée nationale, de tout ce qui avait été fait, et concerter avec eux ce qu'il y avait à faire pour la tranquillité de la capitale. Je ne fus point instruit de cette commission ni de la conférence et je n'y eus, par conséquent, aucune part, quoiqu'à ce moment chef de la ville de Paris; mais le trouble et la précipitation justifient suffisamment toutes ces omissions.

Au moment où la députation est sortie pour se rendre à Notre-Dame, je ne sais comment j'en ai été séparé. Je me suis trouvé seul avec M. Pitra, électeur, qui ne m'a point quitté. Comme je descendais l'escalier de l'Hôtel-de-Ville, je fus abordé par un grand et bel homme, dans un négligé, suite nécessaire des événemens de la veille, qui me dit : « Monsieur, je suis un de ceux qui ont pris la

Bastille, et un des premiers qui aient paru à l'assaut; je vous demande la permission de vous donner le bras. » C'était le brave Hulin que je ne connaissais, pas alors, et que la postérité connaîtra (1). J'acceptai en le remerciant, et il voulut bien être le soutien du nouveau maire, comme il avait été le défenseur de la ville de Paris. Je marchai donc entre ces deux citoyens, extrêmement pressé. M. Pitra ordonna à un détachement de Suisses de m'accompagner et de m'ouvrir le passage. M. Pitra m'annonçait aux citoyens, et disait au peuple : « Voilà votre maire; voilà le nouveau maire de Paris; » et il me valut une acclamation générale tout le long de ma route, et l'empressement des citoyens qui voulaient voir et le premier président de l'Assemblée nationale et leur nouveau magistrat, d'autant plus nouveau, d'autant plus cher, qu'il était leur ouvrage. Plusieurs femmes sont sorties de la foule pour l'embrasser; tous criaient : Vive M. Bailly! vive notre maire! Je ne sais s'il y a trop de vanité à rapporter ces faits qui ont eu tout Paris pour témoin; mais, s'il y en a, il faut l'excuser; car l'affection, l'estime et l'empressement publics sont le plus digne, le seul prix des services qu'on s'est efforcé de rendre à la patrie.

En passant devant les Enfans-trouvés, un nombre de ces enfans choisis étaient rangés sur les

(1) Aujourd'hui comte et lieutenant-général.

(Note des nouv. édit.)

H

marches de l'église. Quand ils m'aperçurent, ils me tendirent les bras, leurs innocentes voix se mélèrent aux acclamations générales; ces voix si pures semblaient ajouter quelque chose de céleste aux bénédictions de la multitude. Je fus profondément ému; je donnai des larmes à ces touchantes victimes, et je traversai la rue pour porter mon offrande à la charité publique ; j'aurais voulu les serrer sur mon sein: je me promis bien de m'occuper de l'amélioration de leur sort; mais les troubles ne m'en ont laissé ni le temps, ni le pouvoir, ni les moyens. J'arrivai à Notre-Dame, dans cette espèce de triomphe, le premier dont un citoyen, né dans ce qu'on appelait jadis l'obscurité, ait été honoré. Mais M. Pitra me tenant la main, M. Hulin me soutenant l'autre bras marchant entre quatre fusiliers, je trouvai qu'au milieu de ce triomphe je ressemblais assez à un homme que l'on conduisait en prison.

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Le peuple, assemblé autour de Notre-Dame, au moment de l'entrée et de la sortie des députés, demanda avec instance le rappel de M. Necker.

J'assistai au Te Deum, et je ressortis de NotreDame encore seul, et conduit comme j'avais été amené. On me fit suivre le quai des Orfévres, au lieu de passer par le Pont-au-Change. On me persuada que l'affluence du peuple interceptait le passage, et l'on me fit prendre par le Pont-Neuf. J'en découvris bientôt la raison. Je trouvai, devant Henri IV, une compagnie de grenadiers des gardes

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