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renvoyer aux districts pour le sanctionner. Mais j'observerai que ce règlement fut porté à l'assemblée sans que j'en eusse la moindre connaissance, et renvoyé aux districts sans qu'il m'eût été communiqué. L'assemblée s'est accoutumée, le plus aisément du monde, et dès le premier jour, à administrer toute seule, à m'oublier le plus parfaitement, et à agir comme si je n'en avais demandé la formation que pour me dépouiller entièrement. On ne concevait pas alors, et je ne sais si l'on conçoit aujourd'hui, la différence entre une assemblée législative ou réglémentaire et une assemblée. administrative. Dans la première, le président n'est qu'un de ses membres, on n'a point à considérer son absence ou sa présence; dans la seconde, le maire qui la préside, est un officier particulier de la commune : cette assemblée possède bien la plénitude des pouvoirs, mais son chef est son agent, et, pour ainsi dire, son pouvoir exécutif, qui doit être chargé de l'exécution de ses ordres et du maintien de ses règlemens. D'ailleurs, comme il est à la tête de l'administration, qu'il en connaît toutes les branches, et qu'il en tient tous les fils dans sa main, il a l'œil plus exercé et plus prompt pour apercevoir les inconvéniens et les dangers, que les autres membres qui n'ont pas les mêmes connaissances. Si le droit n'exige pas, la raison veut que l'on ne fasse point de grands et importans établissemens, ou qu'on ne décide point de grandes questions en son absence, ou du moins sans qu'il

ait été à portée de donner son avis et de faire ses observations : cette conduite n'a point du tout été suivie. On ne me communiquait même point, peut-être seulement par oubli, les résolutions prises, moyennant quoi je n'appris qu'indirectement et par le public la confection et la communication du règlement aux districts (1).

Samedi 1er août 1789.

L'assemblée fit aujourd'hui un acte où je crois le défaut de communication est très-remarquaque ble; elle crut s'apercevoir que cent vingt-deux membres re suffisaient pas aux détails de l'administration, et elle convoqua les districts pour en nommer chacun un de plus. Et même, dans la crainte que ce nombre de cent quatre-vingt-trois ne suffit pas encore, elle les invita à en nommer un de plus cha

lequel pourrait être appelé au besoin. C'était cependant moi qui avais provoqué les districts pour leur nomination, qui avais proposé deux députés; en reconnaissant la suprématie du pouvoir de l'assemblée, il me semble qu'elle ne l'aurait pas compromise en me communiquant son projet, en prenant sa délibération en ma présence et avec moi. Elle

(1) M. Naigeon pense et répète plusieurs fois, dans ses notes, que cette conduite des représentans avait pour but de dégoûter Bailly et de l'obliger à donner sa démission. C'est une question que nous n'entreprendrons pas de décider.

(Note des nouv. édit.)

aurait pleinement décidé; mais je lui aurais observé que les grandes assemblées administraient mal; que si cent vingt-deux personnes ne suffisent pas à la ville de Paris, elle ne sera jamais administrée; que ses membres pouvaient s'occuper dans des comités, et qu'il n'était pas nécessaire que les autres tinssent toujours une assemblée; que les grands objets sont seuls réservés à la totalité des représentans, et que tous les détails doivent être expédiés par les comités présidés par le maire; et si l'on veut jeter les yeux sur ce qu'a fait l'assemblée les jours suivans, dans ses procès-verbaux des 2 et 3 août, on verra que ces objets devaient aller à des comités particuliers, et ne méritaient pas la tenue d'une assemblée générale.

Ce jour, on a élu M. Thouret président de l'Assemblée nationale, pour succéder à M. de Liancourt. On sait que M. Thouret a refusé la présidence ; j'en découvre la raison dans un passage de la Gazette de Versailles. A la nouvelle du résultat du scrutin, «< une insurrection assez forte s'est fait >> apercevoir dans les bureaux et dans la cour, où >> beaucoup de personnes étaient réunies. Il paraît >> que ce choix n'est pas, à beaucoup près, agréa>>ble aux communes, dont plusieurs membres >> parlent de protestation et de destitution » (Mercredi 5 août, no 18, p. 152.) Il n'est pas question, pour destituer, de savoir si un choix est agréable. M. Thouret ne pouvait être, d'aucune manière dans le cas ni de la destitution ni de la protesta

tion (1). Mais remarquons que l'abbé Sieyes avait eu 402 voix, et Thouret 406. Il y avait donc un combat à mort; deux partis s'étaient choqués, et le parti de l'abbé Sieyes a fait tout ce bruit qui a engagé Thouret à refuser. L'assemblée a fait justice, en ne nommant pas l'abbé Sieyes.

Hier, M. Petit, secrétaire de la mairie, était entré en fonctions auprès de moi. Aujourd'hui, un électeur, en qui j'avais beaucoup de confiance

(1) Le lecteur a pu voir, dans les Mémoires de Ferrières ( Tom. I. Liv. III), l'explication que cet historien donne de la démission de Thouret. Ferrières pense que Thouret était alors dévoué à la cour, et que le parti populaire le regardait comme une créature de l'aristocratie. Il ajoute que sa nomination fut sur le point d'occasioner des mouvemens violens et une scission effrayante. Cette explication diffère entièrement de celle de Bailly.

S'il nous était permis d'avoir une opinion dans cette circonstance, nous avouerions qu'elle se rapprocherait beaucoup plus de celle de Bailly que de celle de Ferrières. Il nous paraît peu constant que Thouret ait jamais embrassé le parti de la cour: avocat distingué de Rouen, avant la révolution, Thouret s'était toujours fait remarquer par une noble indépendance. Toute sa carrière politique prouve que ce seul sentiment régnait dans son cœur. Il semble donc qu'on l'accuse à tort de s'être vendu à aucun pouvoir quelconque. Il paraît beaucoup plus convenable de penser que sa nomination ne fut désagréable au parti populaire qu'en raison du désir qu'avait ce parti d'obtenir l'élection de l'abbé Sieyes. Notre opinion est encore confirmée par les Deux amis de la liberté qui présentent Thouret comme un député aussi distingué par son patriotisme que par ses talens, et qui couvrent d'une juste improbation les intrigues dirigées alors contre cet honorable citoyen. Thouret, en donnant sa démission à l'ouverture de la séance du 3 août, prononça quelques phrases dont on remarqua, dans. le temps, la sagesse et la convenance: « C'est en sentant tout le prix de l'honneur que vous m'avez déféré, dit-il, et qui ne pour

m'apprit que la veille on avait parlé au PalaisRoyal du choix que j'avais fait de M. Petit; on s'était étonné que j'eusse pris pour secrétaire celui de M. de Flesselles; on le déclara suspect. On ne peut disconvenir que les soupçons qui avaient frappé ce magistrat, n'eussent enveloppé plus plus ou moins tout ce qui l'entourait. Il y aurait eu de l'imprudence à moi, en débutant dans ma place, de risquer de me rendre suspect en maintenant ce choix; cela me fit beaucoup de peine ; je l'annonçai à cet honnête homme, avec les ménagemens convenables; il sentit mes raisons, ne m'en sut pas mauvais gré, et n'a jamais laissé échapper une occasion de me marquer de l'estime : il a acquis la mienne. Je jetai les yeux, pour le remplacer, sur un jeune électeur, membre du comité des subsistances, M. Boucher (1); je pensais que les places

pour sa

rait pas m'être ravi, que j'ai le courage de me refuser à sa jouissance, quand, sous d'autres rapports, il eût peut-être été excusable de penser que le courage était de l'accepter. J'aurai encore assez de force en cet instant; je prendrai assez sur moi-même crifier aux majestueux intérêts de votre séance des détails dont l'objet me serait personnel. Je sens bien que l'individu doit disparaître où les soins de la cause publique ont seuls le droit de se montrer et de dominer. Qu'il me soit seulement permis de dire que je suis capable et digne de faire à cette grande cause tous les sacrifices à la fois, et que c'est à ce double titre que je viens vous demander de recevoir mes remercîmens et ma démission. » (Note des nouv. édit.) (1) Cet honneur qu'il obtint de Bailly lui coûta cher; il fut condamné à mort le 8 thermidor an II, enveloppé dans la disgrâce de son protecteur. (Note des nouv. édit.)

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