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fois imité depuis. J'avais conduit le roi jusqu'au château; je revins à la salle, extrêmement fatigué, et mes habits trempés par les efforts continus pour soutenir la foule et l'empêcher de presser le roi. Mais j'oubliai tout, enivré d'un bonheur inattendu et qui terminait les inquiétudes les plus cruelles. Les gardes-du-corps ont fait prier l'Assemblée de permettre qu'un de leurs détachemens accompagnât, comme garde d'honneur, la députation à Paris. L'Assemblée pensa que les représentans du peuple, des messagers de paix, ne devaient point paraître, au milieu de leurs commettans et du peuple, avec un appareil de forces militaires; elle fit remercier les gardes du roi de leur offre, et chargea son président de leur écrire pour les féliciter sur cet acte de patriotisme, et les assurer des sentimens de l'Assemblée nationale. Les choses ont bien changé depuis; mais ce que je puis et ce que je dois dire, c'est que, pendant toute ma présidence (d'avril à juillet), je n'ai éprouvé personnellement de la part du guet que des marques d'honnêteté et de considération. L'Assemblée se sépara; les esprits agités avaient besoin de se reposer. Elle s'ajourna à huit heures du soir, en cas que l'état des choses à Paris exigeât d'y envoyer des courriers. Je ne me donnai pas le temps de diner, et je me disposai à partir: madame Bailly ne se souciait pas que j'y allasse; mais elle ne me dissuada pas. J'étais curieux du spectacle de cette ville, si tourmentée et si changée en deux jours;

peut-être aussi, et il faut dire tout, qu'après une présidence qui avait été applaudie, je n'étais pas fàché de me montrer à mes concitoyens. Je nc rougis point d'un motif trop naturel pour être blamé ; ma destinée encore voulait que j'y fusse, et peut-être que si tout l'avenir avait été ouvert devant moi, je n'y aurais pas été. Je demandai à M. le duc d'Orléans pourquoi, député de Paris, il n'était pas de la députation; il me répondit vaguement, et, sur ce que j'insistai, il ajouta : « Il n'est pas convenable que j'y paraisse, on n'y verrait que moi. »

Le rendez-vous était chez M. de Montesquiou, aux écuries de Monsieur. Nous partîmes tous de là avec un grand nombre de voitures précédées des gardes à cheval de la prévôté de l'hôtel, et au milieu de tout Versailles assemblé pour ce départ qui était une fête publique. Nous partimes par le plus beau temps, et notre voyage fut continuellement un triomphe. Nous rencontrâmes à plusieurs endroits des troupes qui se retiraient, la route était couverte de monde, et partout les cris de vive la nation! s'élevaient à notre passage. Nous arrivâmes ainsi à la place Louis XV, où nous mêmes pied à terre pour traverser les Tuileries.

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Avant de parler de notre entrée à Paris, il faut que je dise ce qui s'était passé dans la journée. Le comité permanent avait décidé de se partager en bureaux pour veiller plus soigneusement et avec plus de suite aux différentes parties de l'adminis

tration. MM. du Veyrier et Chignard ont été chargés de la police; MM. Gibert, Boucher et Legrand de Saint-René, des subsistances. Le premier soin de ce dernier bureau a été d'ordonner une visite chez les boulangers, pour connaître et la quantité de leurs farines et celle de leur consommation journalière; il a envoyé des électeurs à la Halle pour y constater la quantité de grains et farines, et en surveiller la distribution; il a résulté de ces recherches la fâcheuse assurance qu'il n'y avait dans Paris que de quoi nourrir pendant trois jours ses habitans. On a demandé des renseignemens à M. de Montaran, qui s'est rendu sur-le-champ au bureau des subsistances. M. Santerre, électeur (1), s'est présenté au comité permanent, et a dit qu'il avait été nommé la veille commandant-général du faubourg Saint-Antoine. Il a exposé les services qu'il avait rendus à la chose publique, et a demandé que cette nomination fût confirmée. M. de La Barthe s'est également présenté, et a dit qu'il s'était formé au Palais-Royal une troupe de jeunes gens de bonne volonté, sous le nom de Volontaires du Palais-Royal, au nombre de quinze cents; qu'ils l'avaient nommé leur capitaine; le comité a confirmé ces deux nominations, mais avec la condition expresse qu'ils seraient sous les

(1) Celui qui a joué un si grand rôle en 1792 et 1793, comme commandant de la garde nationale de Paris.

(Note des nouv. édit.)

ordres de M. de La Salle, commandant-général. L'assemblée des électeurs s'étant formée sur les huit heures du matin, M. Moreau de Saint-Merry a lu une lettre par laquelle M. de Crosne, lieutenant de police, faisait part à l'Assemblée de la démission qu'il avait adressée au roi de sa place et de ses fonctions. Ainsi, l'administration de la police, comme le soin de l'approvisionnement, se trouvèrent dans les mains des électeurs; et ces administrateurs nouveaux furent plus étonnés que surchargés du fardeau qui leur était imposé. M. de Crosne offrait ses lumières et ses services pour les subsistances. Deux électeurs furent chargés d'aller le remercier, accepter ses offres, et lui porter, dans un arrêté, les sentimens d'estime de la ville de Paris. L'Assemblée a ordonné que le paiement des rentes serait repris comme à l'ordinaire; elle a aussi ordonné, et très-sévèrement, que le paiement des droits d'entrée serait rétabli, et que la milice parisienne veillerait à la perception et à la sûreté des deniers. Elle a fait acheter tous les fusils que l'on pourrait trouver, afin d'arracher, par l'appât de ce profit, les armes d'une infinité de gens sans aveu qui s'en étaient emparés. Non seulement on avait nommé des commissaires pour examiner les lettres de la poste, amassées à l'Hôtel-de-Ville, mais on y amenait sans cesse tous les courriers arrêtés et saisis aux barrières. Il était indispensable de rétablir la circulation; et, sur la demande de M. d'Ogny, elle a envoyé des commissaires, chargés de veiller au

départ, à l'arrivée des courriers, et à la distribution des paquets. Défenses furent faites aux barrières de les y arrêter désormais. On invita les districts à envoyer chacun deux députés à la Ville, tant pour la correspondance avec eux, que pour multiplier les lumières. Un objet important, c'est que les ouvriers avaient tous quitté leurs maîtres pour garder la ville. La ville était bien gardée, mais les ateliers étaient déserts, les boutiques fermées; il n'y avait plus de travail, et les généreux citoyens, devenus guerriers, manquaient de pain. Dans ces circonstances impérieuses, on osa prendre l'arrêté suivant : « Le comité, voulant pourvoir >> efficacement à la subsistance des malheureux >> habitaus de la capitale, et à la paie des citoyens >> employés au service de la patrie, qui sont hors » d'état d'y employer gratuitement leur temps, » invite MM. les présidens des assemblées d'ou>> vrir des souscriptions qui seront fixées à la » moitié d'une année de capitation. Chaque dis>>trict nommera ses trésoriers et ses receveurs >> particuliers, qui verseront ensuite dans les mains » de M. Camet de Bonardière, caissier de la ville, » que le comité a nommé trésorier-général. » On voit avec plaisir comment l'ordre se rétablissait peu à peu, après une si grande commotion et même avant qu'elle fût cessée.

Le bruit qu'il se faisait des préparatifs à SaintDenis, pour mettre le siége devant Paris, les lettres saisies des officiers qui y étaient cantonnés,

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