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rellement la part du cultivateur, la portion qu'il prélève sur les produits croît à mesure que décroît celle du propriétaire foncier. Dans la condition la moins favorable le colon partiaire obtient par exemple le 1/5 ou le 1/3 du produit. S'il partage par moitié, il devient le métayer proprement dit (1). Ce partage par moitié assez conforme à la nature des choses est une coutume générale qui domine toutes les autres, non seulement en France, mais en Italie et dans les divers pays où se pratique la culture à portion de fruits. La loi nouvelle, dans son article 2, l'a érigée en règle de droit commun. « Cette règle, dit le rapport de M. Million, est d'autant plus acceptable qu'elle se prête aussi bien que le partage en proportions compliquées à une exacte rémunération du travail du colon, et que, par sa combinaison avec les conditions secondaires qui peuvent dériver de l'usage des lieux ou de la convention, elle se plie, selon M. de Gasparin (2), « à toutes les situations et à tous les domaines en particulier. »>

L'article 2 soumet au partage les « fruits et produits ». Cette rédaction a eu pour but d'indiquer d'une façon bien précise que la règle est le partage général (3), qu'il doit comprendre, sauf dérogation résultant de la convention ou de l'usage, tout ce que rapporte le domaine (M. Million, Rapport à la Chambre).

L'article 3 détermine les principales obligations du bailleur. Il l'oblige notamment à faire aux bâtiments toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires. Il en excepte cependant les réparations locatives qui demeurent à la charge du colon, à moins de convention ou d'usage contraire. Il était indispensable de s'expliquer spécialement sur ce dernier point. Dans certains pays, en effet, les métayers sont, comme les fermiers, astreints à toutes les réparations locatives, mais dans beaucoup d'autres i en est autrement : l'usage ne met à leur charge que les menues réparations de la portion des bâtiments qui est consacrée à leur habitation; ils ne contribuent, en ce qui concerne les bâtiments d'exploitation, à aucune réparation de quelque nature qu'elle soit. Le bénéfice de cet usage leur demeure réservé (Rapport de M. Clément au Sénat.)

L'article 4 consacre les obligations du preneur qui sont au nombre de quatre principales: — 1o Il est tenu d'user de la chose louée en bon père

(1) Dans certains pays où le métayer concourt pour une part plus large à la production, sa situation sera le rebours de celle du colon partiaire, en ce sens qu'il prendra alors plus que le maître. Dans les Landes le métayer a souvent les 3/5 du produit. En Provence le cultivateur qui défriche prend jusqu'aux 6/7 du produit.

(2) Le Métayage, p. 41.

(3) Dans un article spécial (art. 51) le projet primitif du gouvernement consacrait une double exception au principe du partage en attribuant au preneur «la jouissance exclusive des jardins annexés à son habitation et la faculté de profiter pour son usage personnel de l'émondage des haies existant sur la propriété et de l'émondage des arbres, suivant l'usage des lieux. » La commission du Sénat a fait repousser cette disposition; elle a pensé qu'il était plus naturel de laisser purement et simplement sous l'empire de la convention et de l'usage les particularités fort diverses qui se rattachent au mode de partage des fruits et à l'attribution de certains produits à l'une ou à l'autre des parties.

de famille, en suivant la destination qui lui a été donnée par le bail. C'est la reproduction de l'article 1728 du code civil; mais la suppression des mots : «< ou suivant celle présumée d'après les circonstances, etc., »> qui figure dans cet article, indique que l'obligation du colon est ici plus étroite que celle du fermier. - 2o Au colonat partiaire sont rendus applicables les articles 1730, 1731 et 1768 concernant l'état de lieux et l'obligation imposée au preneur d'avertir le propriétaire des usurpations qui peuvent être commises sur le fonds. 3o Le paragraphe 2 de l'article 4 est relatif à la responsabilité du preneur en cas de dommage arrivé à la propriété pendant sa jouissance; il est, en ce qui touche la conservation de la chose confiée à ses soins, laissé dans les conditions du droit commun (cf. art. 1137, 1302, 1315 C. civ.). Ainsi se trouve tranchée la grave controverse qui existait entre les auteurs et les divers monuments de la jurisprudence (1) sur l'étendue de la responsabilité du colon en cas d'incendie. Les uns, voyant dans le métayage un bail, prétendaient appliquer à ce contrat l'article 1733 du code civil (2) qui, en cas d'incendie, contient une présomption légale de faute contre le locataire. Les autres, faisant prédominer le caractère de société, repoussaient l'application de la règle édictée en cas de louage. C'est à cette dernière opinion que se range l'article 4 de la loi du 18 juillet 1889. La rigueur de l'article 1733 à l'égard du fermier s'explique par la nécessité d'assurer la conservation des bâtiments à laquelle le propriétaire n'a aucun moyen de veiller dans le bail ordinaire (3). Mais la situation du colon n'est pas la même. Il occupe les lieux dans un intérêt qui lui est commun avec le propriétaire, si bien que celui-ci reste dans certains pays chargé des réparations même locatives à faire aux bâtiments d'exploitation. D'un autre côté, le propriétaire ne se dépouille pas entièrement de la jouissance, il conserve un droit de surveillance et même de direction générale. Il n'y a donc pas lieu d'appliquer au colon la disposition exceptionnelle de l'article 1733 (4). —4° Enfin le dernier paragraphe de l'article 4 consacre une obligation plus spécialement imposée au colon partiaire, celle de «< se servir des bâtiments d'exploitation qui existent dans les héritages qui lui sont confiés, et de résider dans ceux qui sont affectés à l'habitation ». Une partie de l'obligation dont il s'agit existait déjà d'après l'article 1767 qui déclare « tout preneur tenu d'engranger dans les lieux à ce destinés d'après le bail »; mais cette disposition a surtout pour but d'assurer au propriétaire l'exercice utile de son privilège sur les récoltes. Il est impor

(1) V. Riom, 19 nov. 1884 (Sirey, 1885, 2,125. Journal du Palais, 1885, 1, 697. Dalloz, 1886, 2,1, et la note).

(2) Le Sénat, lors de la seconde délibération de la loi nouvelle, a rejeté un amendement en ce sens proposé par M. de Gavardie.

(3) Latreille, Revue critique de législation et de jurisprudence, t. XXIV (1864), p. 56.

(4) Un excès contraire avait même conduit quelques membres de la commission du Sénat à demander que le preneur fût exonéré de la responsabilité à moins qu'on ne prouvât contre lui que l'incendie avait eu lieu par sa faute. Mais cette opinion a été sagement écartée.

tant, à un autre point de vue encore, que le colon habite la maison de la métairie et se serve des bâtiments d'exploitation: c'est à la fois une garantie de la régularité du partage des fruits et de la conservation des bâtiments. (Rapports de MM. Clément et Million.)

L'objet de l'article 5 est de poser les règles générales qui doivent présider aux rapports du colo n partiaire ou métayer avec son bailleur. Lorsqu'il s'agit d'un véritable bail à ferme, le preneur a, moyennant un certain prix, la jouissance exclusi ve des biens loués qu'il administre et cultive à son gré; le propriétaire reste étranger à l'exploitation et n'a pas d'autre droit que celui de surveiller l'exécution des engagements pris envers lui par le fermier. Dans le bail à métairie, au contraire, le propriétaire demeure intéressé à l'exploitation de la terre et à son rendement annuel. Aussi la loi, d'accord avec une pratique constante fondée sur la nature même des choses, lui reconnaît un droit de direction (1). « On conçoit d'ailleurs, dit M. de Gasparin (2), que les directions du propriétaire ne peuvent jamais être que fort générales et concernent seulement la conduite du domaine dans son ensemble; elles ne pourraient être détaillées et de chaque moment sans beaucoup d'inconvénients. » Le métayer en effet est un associé; à ce titre il a sa part d'initiative dans l'œuvre commune. Du reste, le droit d'immixtion du propriétaire est déterminé par la convention et, à défaut, par l'usage des lieux. A moins de convention contraire, les droits de chasse et de pêche restent au propriétaire (3).

On agitait jusqu'ici la question de savoir si la mort du colon mettait fin au bail à métairie. La négative était enseignée par les jurisconsultes qui assimilaient le colonat partiaire au bail; ils invoquaient l'article 1742 du code civil d'après lequel le bail n'est pas résolu par la mort du preneur (4). Ceux au contraire qui voyaient dans le colonage une société, s'appuyaient, pour soutenir l'affirmative, sur l'article 1865, 3o, du code civil aux termes duquel la société est dissoute par la mort de l'un des associés. L'article 6 de la loi nouvelle a tranché la question dans le sens le plus conforme à la pratique, c'est-à-dire par une distinction entre le cas de la mort du bailleur et celui de la mort du preneur; il décide que la mort du bailleur est sans effet sur le bail à métairie, mais que la mort du colon y met fin (5). « C'est, dit le rapport de M. Clément au Sénat, la co nséquence naturelle du principe posé dans l'article 1763 du code civil qui r efuse au colon partiaire le droit de sous-louer ou de céder son bail, ce qui im plique également qu'il ne peut pas le transmettre à ses héritiers sans le consentement du propriétaire. » Cette solution se fonde sur l'analyse

(1) De Tourdonnet, op. cit., p. 189 et suiv.

(2) Le Métayage, p. 51.

(3) Sur les difficultés auxquelles ont donné lieu ces droits en matière de ball à ferme, voir notamment les références indiquées au rapport de M. Million. (4) Le Sénat a repoussé, lors de la seconde délibération, un amendement en ce sens proposé par M. de Gavardie.

(5) Rerolle, Du colonage partiaire, p. 426 et suiv. t. XXV (1864), p. 397.

Latreille, Revue critique,

du caractère du contrat de colonage opposé à celui du bail à ferme. La considération dominante qui fait choisir un fermier est sa solvabilité; celle qui décide du choix du colon est son aptitude personnelle: electa est industria, disait l'exposé des motifs de l'article 1763 du code civil. — Les législations suisse, italienne et brésilienne ont admis que la mort du preneur mettait fin au bail; en Autriche il cesse à la mort des deux parties. Le code des iles Ioniennes rejette au contraire dans tous les cas cette cause de dissolution (1).

Il est évident que la jouissance des héritiers du preneur ne peut pas cesser brusquement au milieu d'une année culturale. Ceux-ci, d'après l'article 6, conserveront donc leur jouissance jusqu'à « l'époque consacrée par l'usage des lieux pour l'expiration des baux annuels » (2).

Ce n'est pas seulement dans le cas de mort du preneur que le contrat cesse avant l'époque fixée pour sa durée ; il cesse aussi lorsque l'acheteur de la métairie donne congé en vertu d'une clause de résiliation insérée au bail à colonat partiaire écrit et ayant date certaine. Mais la mort du preneur et la résiliation inattendue de l'acheteur peuvent arriver à un moment où le colon a fait des impenses extraordinaires dont il aurait plus tard recueilli les fruits. L'article 7 décide qu'il sera indemnisé de ces impenses jusqu'à concurrence du profit qu'il aurait pu en tirer pendant la durée de son bail. La commission du Sénat a du reste ajouté à l'article 7, pour plus de clarté, une disposition qui renvoie non seulement à l'article 1743, mais aux articles 1749, 1750 et 1751 du code civil, relatifs à l'expulsion du fermier en cas de vente. D'après notre article, l'acheteur qui veut user de la faculté de résiliation doit donner congé au colon suivant l'usage des lieux. C'est la règle générale édictée par l'article 1748 du code civil. Mais ce dernier article porte que l'acquéreur doit avertir le fermier des biens ruraux au moins un an à l'avance. Cette obligation exceptionnelle n'est pas imposée à l'acquéreur du domaine cultivé par un colon partiaire. - On remarquera que le congé exigé par l'article 7 en cas de résiliation par suite de vente ne l'est pas en cas de résolution par la mort du preneur. C'est que les deux situations sont différentes. La résiliation prévue par le bail est facultative pour l'acquéreur; il doit donc faire connaître sa volonté d'en user. Au contraire, le décès du preneur résout le contrat de part et d'autre, et, s'il est continué, ce qui arrivera souvent, il ne le sera que par une tacite reconduction résultant d'une entente commune (Sénat, rapport de M. Clément.)

En matière de louage ordinaire, l'indemnité due au fermier expulsé

(1) Rerolle, op. cit., p. 433.

(2) A l'article 6 actuel (primitivement art. 52), le projet du gouvernement ajoutait «Sauf au propriétaire à demander qu'elle cesse immédiatement s'il a juste sujet de craindre une mauvaise exploitation ou des dégradations. » La commission du Sénat a jugé inutile d'autoriser cette expulsion précipitée. Le propriétaire, en effet, ne se trouverait pas désarmé si les engagements résultant du bail restaient inexécutés; il aurait, dans ce cas, contre les héritiers, comme il aurait eu contre le preneur lui-même, l'action en résolution prévue par les articles 1741 et 1764 du code civil (Rapport de M. Clément).

par l'acheteur, quand elle n'a pas été réglée par la convention, est du tiers du prix du bail pour tout le temps qui reste à courir (art. 1746 c. civ.). On ne pouvait baser sur un forfait analogue l'indemnité à attribuer au colon dont la situation diffère de celle du fermier, puisqu'il n'est astreint ni aux mêmes avances ni aux mêmes risques que celui-ci et que d'ailleurs il ne paye pas de prix. C'est pourquoi on lui rembourse seulement le profit qu'il aurait pu tirer de ses impenses extraordinaires.

Cette indemnité reparaît dans l'article 8 qui prévoit la résiliation du contrat par suite de la perte totale ou partielle des objets compris dans le bail à colonat; mais elle n'a lieu que dans un cas, celui où il y a perte partielle et où le bail est résilié à la requête du bailleur. Dans ce cas il y avait à se prémunir contre la tentation que pourraient avoir certains propriétaires de profiter seuls, en demandant la résiliation, de dépenses extraordinaires faites par le colon. (Rapport de M. Million à la Chambre des députés.)

Une double observation doit être faite au sujet de l'article 8, en ce qui touche la perte partielle : 1o En pareil cas, l'article 1722 donne au fermier le droit comme à tout preneur de demander ou la résiliation ou une diminution du prix du bail. Notre article 8 au contraire ne laisse pas d'autre alternative que la résiliation ou la continuation du contrat de colonat. Il ne peut être question en effet de diminution du prix du bail puisque le profit et la perte sont communs entre les parties (loi 25, § 6, au Dig., Loc. cond.). — 2o Le bailleur, dans le cas qui nous occupe, peut se refuser à faire les réparations et les dépenses nécessaires pour remplacer ou rétablir les lieux. Le rétablissement ou la réparation pourraient en effet l'entraîner dans des frais disproportionnés avec l'intérêt qu'il peut avoir à la continuation du bail à colonat. (Rapport de M. Million.)

Les articles 1769 à 1771 du code civil règlent suivant certaines distinctions la situation du fermier qui subit un sinistre sur ses récoltes; le propriétaire ne peut pas recevoir le prix entier de sa ferme lorsque les fruits pour lesquels il est payé ont été enlevés pour la plus grande partie par une force majeure. C'est l'application de la règle de droit contenue au paragraphe 6 de la loi 25, au Dig., XIX, 2. L'article 9 de la loi de 1889 a pour but de compléter cette disposition, comme le fait la loi romaine, en décidant qu'elle ne s'applique pas au colon partiaire. Celui-ci ne paye pas de prix représentant les fruits perçus. Il partage avec le propriétaire et le bénéfice et la perte qui résultent des cas fortuits: ainsi le veut la nature des choses.

L'article 10 a une importance plus grande. Il porte que le bailleur exerce le privilège de l'article 2102 du code civil sur les biens du colon garnissant les lieux loués par celui-ci. L'ancien droit reconnaissait un privilège au profit du propriétaire de métairie (Pothier, Louage, partie IV, article 2, no 252). Sous l'empire du code civil il n'était plus guère possible, depuis l'article 3 de la loi du 25 mai 1838 sur les justices de paix, de nier l'application de l'article 2102 à notre contrat (Arrêt de la cour de

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