Page images
PDF
EPUB

XX

LOI DU 18 JUILLET 1889, SUR LE CODE RURAL (TITRE IV.)
BAIL A COLONAT PARTIAIRE (1).

Notice et notes par M. E. HERON DE VILLEFOSSE, docteur en droit, rédacteur au Ministère de la justice.

:

Le bail à colonat partiaire ou métayage (de meta, moitié) est un contrat très anciennement connu par lequel le possesseur d'un bien rural charge une personne de le cultiver moyennant une quote-part des fruits à en retirer. Il est intéressant d'étudier au point de vue historique les diversités d'origine et de type de ce contrat; mais c'est là un point sur lequel nous n'avons pas à insister ici, nous contentant de renvoyer aux travaux très complets qui ont été faits sur la matière (2). De nos jours le bail à colonat est resté d'une pratique très fréquente dans une grande partie de la France la statistique agricole a établi qu'en 1882 le nombre des hectares de terre soumis au métayage était de 4.539.322. En 1886 on a relevé un chiffre de 405.000 métayers occupant la huitième partie des exploitations et existant surtout dans la Guyenne, le Bourbonnais, le Périgord, le Maine, la Vendée, le Limousin et l'Agenais (3). Enfin si l'on remarque que le colon partiaire travaille avec l'aide de sa famille et de ses serviteurs, on arrive à constater que près de deux millions de cultivateurs sont intéressés en France dans les exploitations par métayage (4). Le colonage partiaire est surtout usité dans les pays où l'argent est rare et la concurrence agricole peu développée. Il est pratiqué avec succès en Italie où le code civil de 1865 (liv. III, t. IX, ch. IV) l'a réglementé d'une manière définitive. On le rencontre plus ou moins répandu en Espagne, en Suisse, en Autriche, en Russie, en Roumanie. Hors d'Europe on trouve le bail à portion de fruits dans l'Amérique du Nord, au Brésil où il est organisé par la loi du 15 mars 1879 (5), dans l'Uruguay, etc. Les économistes ont beaucoup disserté sur les avantages et les inconvénients du métayage (6).

vent être punis, abstraction faite de toute intention coupable; que même en l'absence de candidature multiple, la bonne foi du candidat ou de ses agents ne peut être invoquée comme excuse; qu'enfin les infractions à ladite loi constituent des délits et non des contraventions; qu'en conséquence, sont applicables les art. 59 et 69, c. pénal, relatifs à la complicité. (V. La Loi, no du 11 avril 1890.) (1) J. Off. du 19 juillet 1889.

(2) Du colonage partiaire et spécialement du métayage, par Lucien Rerolle, Paris, Chevalier-Marescq, 1888. Rapport de M. Million à la Chambre des

députés.

(3) La Réforme sociale, 1er semestre 1886, p. 398.

(4) Rapport de M. Million.

(5) Annuaire de législation étrangère, 1880, p. 923 et s.

(6) V. notamment H. Baudrillart, Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1885.

- Rerolle, op. cit., p. 234 et s., 455 et s., etc.

Il y a peu d'années encore, on le considérait comme un mode d'exploitation tout à fait inférieur, s'expliquant en partie par la persistance d'habitudes anciennes. On lui a reproché d'être un obstacle aux progrès agricoles. Le métayer, a-t-on dit, est assuré de vivre, mais le partage des bénéfices de l'exploitation avec le propriétaire l'empêche de réaliser jamais de biens grands profits; aussi cultive-t-il le plus souvent avec une sorte d'indifférence, ne demandant à son travail que la vie de chaque jour et n'ayant pas intérêt à perfectionner ses méthodes de culture. Les inconvénients, a-t-on ajouté, sont aussi grands pour le propriétaire. Au lieu du revenu fixe que lui assure le fermage en argent, il est soumis aux chances bonnes ou mauvaises des récoltes annuelles. De plus le partage de fruits avec le métayer exige de la part du propriétaire une surveillance incessante. Enfin, de même que le métayer n'est disposé ni à l'initiative ni aux sacrifices pour augmenter des profits qu'il doit partager avec le propriétaire, de même celui-ci n'est guère tenté de faire de grandes dépenses pour améliorer une terre dont les produits ne lui appartiennent qu'en partie.

Il y a dans ces appréciations une grand part d'erreur, et les circonstances actuelles n'ont pas manqué de mettre en relief quelques-uns des avantages propres au colonat partiaire. La crise agricole que nous traversons pèse en effet d'une façon fort lourde sur les contrées où le bail à ferme est en vigueur; au contraire, il paraît bien établi que, dans les pays de métayage, la valeur de la terre et son revenu sont restés à peu près les mêmes (1). Ce n'est pas seulement au point de vue des avantages pécuniaires présentés par le métayage que se placent ses partisans: « Nous y voyons surtout, dit M. Albert le Play, une excellente organisation dont les avantages moraux et sociaux s'élèvent bien au-dessus d'une question de prix de revient » (2). Un des plus précieux mérites du métayage est de favoriser l'esprit de famille, en maintenant sous le même toit non seulement le métayer et son épouse, mais encore ses vieux parents et ses enfants appelés à concourir à la production dans la limite de leurs forces. « On peut donc dire en général, a écrit le comte de Gasparin (3), que si le métayage ne développe pas l'esprit d'entreprise parmi les tenanciers, il leur assure une grande sécurité, un état stable, supérieur à celui des autres classes ouvrières, et que, sous ces rapports, il est un bienfait pour ceux qui peuvent y atteindre. » Voici comment les avantages de ce mode de culture sont résumés dans les conclusions générales qu'a formulées la commission spéciale de la Société d'agriculture de la Nièvre, pour répondre à l'enquête faite par la Société des agriculteurs de France, en 1876, sur la situation du métayage : « 1o Le métayage est le moyen d'améliorer les mauvaises terres sans immobiliser de gros capitaux; 2° C'est l'exemple presque unique d'une association

(1) La Réforme sociale, second semestre 1884, p. 222 (étude de M. de Garidel). (2) La Réforme sociale, 1er semestre 1886, p. 407

(3) Le Métayage (3e édition), p. 57.

équitable et durable entre le capital et le travail, et il réalise ainsi pour l'agriculture ce qui n'est qu'une utopie pour presque tous les travaux industriels. 3° Il élève le niveau moral et social d'un très grand nombre d'ouvriers laborieux et économes dont les ressources ne sont pas suffisantes pour courir les chances du fermage; il en fait de petits fermiers payant en nature le loyer de la terre qui leur est confiée. 4o Il crée entre le propriétaire et l'ouvrier agricole des relations de confiance réciproque autant que d'intérêt bien entendu l'intérêt du métayer est toujours identique à celui du propriétaire, tandis que les intérêts du propriétaire et du fermier sont trop souvent contraires. » (Rapport de M. Million à la Chambre des députés.) En définitive, il n'y a aucune raison sérieuse pour qu'un domaine soumis au métayage ne jouisse pas de tous les progrès agricoles qui sont réalisés dans les exploitations de même grandeur sujettes à la culture directe ou au fermage. « Au point de vue plus spécial du prix de revient des produits, ajoute M. Million (loc. cit.), il ne peut y avoir qu'une raison d'infériorité du métayage sur le fermage: c'est qu'il est presque toujours confiné dans une culture petite ou moyenne, tandis que le fermage peut s'adapter à la grande culture. Mais si les grandes exploitations ont certains avantages et peuvent pratiquer la culture intensive avec machines et surcroît d'engrais, la petite exploitation peut aussi avec bénéfice se livrer à un certain genre de culture intensive et obtenir de très brillants résultats par la combinaison du travail, des soins et du capital; il y en a des exemples journaliers, et l'accroissement rapide du prix des terrains dans certains pays où le métayage est le mode ordinaire de culture indique assez que ce mode se prête à de très grands progrès. » Le fait s'est produit, par exemple, en Toscane et en Lombardie où, au dire des historiens et des publicistes, le métayage a amené et maintenu la culture à un haut degré de prospérité.

Étant données l'ancienneté et l'importance du bail à portion de fruits, on peut s'étonner que jusqu'ici ce contrat n'ait pas été l'objet de règles législatives plus complètes. Le code civil y fait seulement allusion dans six articles, savoir: les articles 1763 et 1764 qui interdisent au métayer de sous-louer le fonds à lui loué, et les articles 1827 à 1830 qui traitent du cheptel donné au colon partiaire. Ce silence même n'a pas été l'effet d'une omission involontaire; car, lors de la rédaction du code civil, le tribunal d'appel de Lyon, dans ses observations (1), l'avait relevé en ces termes : « Le code, disait-il, omet absolument les règles d'un genre de contrat très commun et qui le deviendrait bien davantage si certaines dispositions des baux à ferme étaient adoptées : c'est la société entre un propriétaire et un cultivateur qui se charge de la culture d'un domaine moyennant une portion de fruits; on nomme ce cultivateur dans différents départements granger, métayer, bordier; le code le nomme au titre du louage: colon partiaire. » Comme conclusion de ces observations,

(1) Fenet, t. IV, p. 319.

le tribunal d'appel de Lyon proposait, sous le titre « De la société de culture à portion de fruits », quinze articles destinés à la régler.

Cette réserve de la législation s'explique facilement si l'on remarque combien sont variables suivant les pays les conditions dans lesquelles s'exerce la culture à portion de fruits. « Quand on examine dans différents lieux, dit le rapport de M. Million, les formes et les usages du bail à colonat partiaire, on voit qu'il n'y a pas de contrat plus protéiforme. Une seule chose reste fixe, c'est la rémunération de la culture par un partage de fruits; tout le reste se modifie et se change. » Il suit de là que le législateur ne peut poser de règles absolues qu'en ce qui concerne les points essentiels, et qu'il doit, à défaut de convention, laisser les autres points sous l'empire des usages locaux.

L'examen du projet de code rural actuellement soumis au Parlement a fourni l'occasion de légiférer sur la matière. On sait que plusieurs parties du livre Ier de ce projet sont déjà devenues les lois des 20 août 1881, 2 août 1884 (1), 4 avril et 9 juillet 1889 (2). Un nouveau fragment du même livre du code rural, le titre IV, ayant pour objet le bail à colonat partiaire, a lui-même formé la loi du 18 juillet 1889 (3).

Quelle est la nature juridique du colonage partiaire ou métayage? Est-ce un louage, une société (4) ou un contrat mixte (5) ? Ce point de droit a fait de tout temps l'objet d'une vive controverse. Les jurisconsultes romains ont surtout envisagé notre contrat comme une espèce de société (6). Les rédacteurs du code civil paraissent avoir adopté la même opinion (7). C'est pour cette raison que l'on a laissé les baux à portion de fruits en dehors des dispositions de la loi du 23 août 1871 qui rend l'enregistrement des baux obligatoire et qui exige une déclararation à défaut de bail écrit. « Le bail à colonage ou à moitié de fruits, disait le rapporteur de cette loi (8), est considéré en doctrine et en juris

(1) Les lois portant ces dates ont été l'objet de notices de M. Theurault, où l'on trouvera l'historique du projet de code rural présenté par le gouvernement au Sénat le 13 juillet 1876. V. Annuaire de législation française, 1882, p. 87 et s.; Ibid., 1885, p. 189 et s.

(2) V. suprà, p.101 et 140.

[ocr errors]

(3) Travaux préparatoires. — Sénat. Exposé des motifs: J. Off. des 31 octo bre, 1er et 3 novembre 1876. Rapport de M. Léon Clément : Texte, J. Off. du 2 juin 1880, p. 5957. Première délibération, 31 mai 1880, J. Off. du 1er juin, p. 5914. Deuxième délibération, 14, 15 et 17 juin 1880, J. Off. des 15, 16 et 18 juin, p. 6486, 6542 et 6621. Chambre des députés. Rapport de M. Million Texte, annexes 1888, p. 756. Première délibération, 11 février 1889; deuxième délibération, 7 mars 1889 (J. Off. des 12 février et 8 mars).- Retour au Sénat. Rapport de M. Peaudecerf: Texte, annexes 1889, p. 356. Déclaration d'urgence, discussion et adoption le 5 juillet 1889, J. Off. du 6, p. 882. (4) C'est le système consacré par l'article 1103 du code autrichien.

(5) Latreille, Revue critique de législation et de jurisprudence, t. XXV (1864), p. 399 à 402.

(6) D'après Gaius, le colon partage quasi societatis jure (1. 25, § 6, au Digeste, liv. XIX, t. II, Locati conducti).

(7) Fenet, t. XIV, p. 285, 317 et 335.

(8) J. Off. du 12 août 1871, p. 2644.

prudence, pour l'application des lois fiscales, comme une association entre le propriétaire et le colon; par suite, les dispositions de la présente loi ne lui sont pas applicables » (1).

Aujourd'hui la loi du 18 juillet 1889 réduira beaucoup, dans notre droit français, l'intérêt de la controverse dont nous venons de parler. Le code civil ne s'étant pas expliqué sur la nature du colonage partiaire, il fallait bien jusqu'ici l'assimiler soit à la société (2), soit au louage (3), et lui appliquer, suivant le système adopté, les règles de l'un ou l'autre de ces contrats. Il n'en sera plus de même à l'avenir. Sans s'arrêter aux discussions doctrinales soulevées par la nature du métayage, le législateur de 1889 a voulu tout simplement codifier les règles les plus caractéristiques de ce contrat. De l'exposé de ces règles et de l'interprétation qu'elles ont reçue dans les travaux préparatoires nous croyons pouvoir dégager l'idée que voici: Le métayage n'est pas une société, ce n'est pas un louage (4), mais bien un contrat spécial qui « participe à la fois de la société et du louage ». (Rapport de M. Clément au Sénat.) L'article 1er de la nouvelle loi a eu précisément pour but d'adapter à sa définition du métayage (5) des termes faisant ressortir aussi bien que possible le caractère mixte qu'on est convenu de reconnaître désormais à ce contrat.

L'article 2 complète l'article 1er en indiquant immédiatement que « les fruits et produits se partagent par moitié, s'il n'y a stipulation ou usage contraire >>.

Avant tout, les conventions faites par les parties déterminent les conditions du partage. M. de Gasparin (Le Métayage, p. 36) indique les raisons pour lesquelles la proportion peut varier et être tantôt plus forte, tantôt plus faible que la moitié. A défaut de conventions, il y a lieu de s'en référer aux usages locaux, usages qui ont presque toujours leur raison d'être, car ils sont le résultat d'une longue expérience (6). Natu

(1) Plus tard, l'administration de l'enregistrement, après la loi du 28 février 1872 qui a établi sur les sociétés un droit gradué, a même élevé la prétention d'assujettir à ce droit les baux à portion de fruits; mais comme l'article 15 de la loi du 22 frimaire an VII soumet nommément ces baux au droit proportionnel sur la part revenant au bailleur, et que cette disposition n'a pas été abrogée, la prétention de la Régie a été repoussée par un arrêt de la Cour de cassation du 8 février 1875 (Dalloz, 1875, 1, 169; Sirey, 1875, 1, 182). (2) Méplain, Traité du bail à portion de fruits, Moulin s, 1850. (3) Guillouard, Traité du contrat de louage, t. II, p. 150 et s.

(4) Dans son rapport à la Chambre des députés M. Million a dit : « Nous avons fait disparaître de l'article 1 (art. 48 du projet primitif du gouvernement ) l'affirmation formelle que le contrat de colonat est un louage. »

(5) Le texte du gouvernement et celui de la commission du Sénat (art. 1) qualifiaient le colonat partiaire de louage ». Un amendement de M. de Gavardie tendit à le qualifier d'« association ». Mais ces deux termes furent également rejetés, et la discussion publique au Sénat démontre qu'on a voulu combiner, dans la définition du métayage, le double élément du louage et de la société, sans donner à l'un la prédominance sur l'autre. J. Off. du 15 juin 1880. - Cf. Revue critique de législation, 1890, p. 341.

(6) Cf. Traité pratique du mélayage, par le comte de Tourdonnet, Paris 1882 p. 175 et suiv. et passim.

« PreviousContinue »