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XVII

LOI DU 9 JUILLET 1889 SUR LE CODE RURAL (TITRES II ET III). PARCOURS, VAINE PATURE, BAN DES VENDANGES, VENTE DES BLÉS EN VERT. DURÉE DU LOUAGE DES DOMESTIQUES ET OUVRIERS RURAUx (1).

Notice et notes par M. Christian DAGUIN, docteur en droit, avocat à la Cour d'appel de Paris.

Il y a cent quarante ans (1749), Boucher d'Argis introduisant une expression nouvelle dans le langage législatif, publiait sous le titre de code rural un recueil de maximes et de règlements concernant les biens de campagne. Cette compilation témoignait, par son existence même, de la nécessité de coordonner notre droit rural, réunion de règlements, de coutumes et d'usages difficiles à bien connaître, et parfois bizarres, comme l'arrêt du conseil de 1731 « proscrivant toutes nouvelles plantations de vignes qui causent une diminution du prix des vins, nuisent à la production des céréales et font renchérir les bois » (2). La réforme, instamment demandée par les cultivateurs se fit longtemps attendre, et l'on peut dire qu'à l'Assemblée constituante revient l'honneur d'avoir fait le premier pas dans la voie de l'émancipation de l'agriculture (3). Le 2 septembre 1789, l'Assemblée instituait un comité d'agriculture et de commerce; peu de temps après elle ordonnait la préparation d'un code rural. La commission (4), désignée à cet effet termina rapidement ses travaux, et dès le 5 juin 1791 son rapporteur Heurtaut-Lamerville présentait à l'Assemblée un projet de loi « qui, disait-il, n'est pas seulement le travail des huit comités; c'est celui de toute l'Assemblée, c'est celui de tous les départements... Dans ce code tout doit être simple comme les hommes au bonheur desquels il est destiné... La propriété territoriale est la plus sacrée, la plus utile de toutes, on lui a donné pour fondement la liberté la plus absolue dont puissent jouir les campagnes » (5). Le projet réduit et modifié devint la loi du 28 septembre-6 octobre 1791 concernant les biens et usages ruraux et la police rurale. La 4o section du titre Ier de cette loi, qui fut l'un des derniers travaux de l'Assemblée nationale, est consacrée aux troupeaux, aux clôtures, au parcours et à la vaine pâture. La loi de 1791 contenait de nombreuses lacunes; aussi tous

(1) J. Off. du 10 juillet 1889.

(2) Exposé des motifs du projet de loi sur le code rural présenté au Sénat le 13 juillet 1876 (Sénat, 1876 n° 106), J. Off. p. 99.

(3) Décret du 4 août 1789 portant abolition du régime féodal.

(4) Cette commission était composée des huit comités de l'Assemblée constituante (Agriculture et commerce, Constitution, Féodalité, Domaines, Mendicité, Législation criminelle, Impositions, Aliénations). Exposé des motifs, 1876, p. 1. (5) Ibid.

les gouvernements et toutes les assemblées qui se sont succédé en France à partir du commencement du siècle, se sont-ils préoccupés de la codification de notre droit rural. L'historique des travaux préparatoires d'un code rural, depuis le Consulat jusqu'au projet présenté au Sénat le 13 juillet 1876 (1) par MM. Teisserenc de Bort, de Marcère et Christophle a été fait dans un précédent Annuaire (2); nous n'y reviendrons donc pas.

Le projet de 1876 est divisé en deux parties; la première partie est consacrée au régime du sol et comprend neuf titres et un titre complémentaire; le second livre, régime des eaux, compte six titres et un titre complémentaire. Le Sénat décida d'examiner et de discuter séparément chacun des fragments. Jusqu'ici six titres et le titre complémentaire du livre 1er ont été votés par les deux Chambres et promulgués (3). La loi du 9 juillet dernier formait les titres II et III du projet.

De tout temps on a distingué deux sortes de pâtures, les pâtures grasses ou vives et les pâtures sèches ou vaines. Les premières, disaient les jurisconsultes, sont les landes, marais, pâtis et bruyères qui appartiennent à des communautés d'habitants ou qui sont grevées à leur profit du droit d'usage, de manière qu'elles y jouissent du droit exclusif d'y faire pâturer leurs bestiaux. Nous n'avons pas à nous occuper des pâtures vives dont l'usage est réglementé par les lois qui régissent la jouissance des biens communaux. Nous ferons seulement observer que le droit de profiter des grasses pâtures est très étendu, puisqu'il permet à ceux auxquels il appartient de consommer tous les fruits du fonds grevé en tirant de ce fonds toute l'utilité possible.

Les vaines pâtures sont celles qui donnent peu de produit et peuvent s'exercer sans nuire aux propriétaires des héritages qui y sont soumis (4). Elles comprennent l'herbe des grands chemins, l'herbe des prés après la dernière dépouille, les guérets, les terres en friches et en jachères (5).

(1) Sénat: annexes 1876, no 106.

(2) Annuaire, 1882, p. 87.

(3) Loi du 20 août 1881 (Titre Ier, livre 1er. Chemins ruraux, chemins et sentiers d'exploitation: Titre complémentaire, livre Ier portant modification des articles du code civil relatifs à la mitoyenneté des clôtures, plantations et aux droits de passage en cas d'enclaves), J. Off. du 26 août 1881; Ann. de lég. franç. 1882, p. 87 et 95. Loi du 2 août 1884 sur les vices rhédibitoires dans les ventes et échanges d'animaux domestiques (Titre VIII du livre 1er), J. Off. du 6 août 1884; Ann. de lég. franç. 1885, p. 189. Loi du 4 avril 1889 sur les animaux d'exploitation, suprà, p. 101. Loi du 18 juillet 1889 sur le bail à colonat partiaire, infrà, p. 215.

(4) Dicitur propriè vana pastura quià nullum offert damnum domino prœdii servientis (Chasseneuz, Cout. de Bourgogne, 1574).

(5) C'est à tort, croyons-nous, que certains auteurs ont fait rentrer les hautes futaies et les bois taillis (entre la cinquième et la sixième feuille) dans la caté gorie des terrains susceptibles de vaine pâture. Il n'a pu en être ainsi qu'à l'époque où la propriété individuelle était encore mal établie. Le droit de pâturage dans les forêts domaniales ou particulières présentait plutôt les caractères d'une grasse pâture. L'article premier du titre XIX de l'ordonnance des eaux et forêts (août 1669) semble d'ailleurs nous donner raison sur ce point:

En un mot elles s'étendent à tous les biens fonciers, qui par l'usage du pays, ne sont pas en défense.

L'origine du droit de vaine pâture est fort ancienne. Lorsqu'aux premiers jours de la monarchie française une partie seulement des terres étaient cultivées, le reste demeurait en quelque sorte commun à tous les habitants; les limites des héritages étaient indécises, les clôtures rares, la propriété mal définie; dès lors il était naturel de tolérer le pâturage des bestiaux sur les portions du sol laissées incultes ou dépouillées de leurs récoltes. Tant qu'une terre était en état de production on la respectait, elle était réputée en défends. Mais après l'enlèvement de la moisson ou la coupe de l'herbe, quelle utilité y aurait-il eu à protéger un terrain qui n'était peut-être même pas destiné à un nouvel ensemencement ou à une nouvelle fauchaison. La vaine pâture était une sérieuse ressource pour les pauvres, tout en ne nuisant à personne.

D'autres causes ont pu, d'ailleurs, contribuer au développement et au maintien prolongé d'un usage qui nous paraît aujourd'hui en contradiction avec l'idée que nous nous faisons du droit de propriété. Les seigneurs féodaux ne respectant pas toujours les biens de leurs vassaux, les habitants des campagnes pensaient, non sans raison, que leurs déprédateurs habituels n'auraient pas la même hardiesse en présence d'un troupeau commun que vis-à-vis de quelques bêtes isolées. Des gardiens moins nombreux pouvaient exercer une surveillance plus efficace en même temps que diminuait le prix des soins à donner au troupeau.

Le droit de vaine pâture pouvait s'étendre sur plusieurs communes contigues les unes aux autres; cette compascuité prenait alors le nom de parcours. L'extension de la vaine pâture à deux ou à un plus grand nombre de paroisses avait sa raison d'être dans le peu de fixité des limites de chaque commune. En laissant passer librement les bestiaux d'un territoire sur un autre territoire on évitait des conflits, on prévenait des collisions qui, sans cela, auraient été fréquentes. La distinction entre la vaine pâture proprement dite et le parcours n'existait pour ainsi dire pas avant la loi de 1791 : « Vaines pàtures, écrivait Loisel dans ses Institutes (1), ont lieu de clocher à clocher (2); mais les grasses n'appartiennent qu'aux communiers de la paroisse.

>>

<< Permettons aux communautez, habitants, particuliers usagers, dénommez en l'estat arresté en notre conseil, d'exercer leurs droits de panage et pasturage, pour leurs porcs et bestes aumailles, dans toutes nos forêts, bois et buissons aux lieux qui auront esté déclarez defensables par les grands maitres faisant leurs visites, ou sur les advis des officiers des Maistrises, et dans toutes les landes et bruyères dépendantes de nos domaines. >>

(1) L. II, t. 2, no 20.

(2)« D'usage commun, les habitans en divers villages, desquels les bans et finages sont joignans, peuvent, par droit de parcours, régulièrement envoyer les troupeaux de leurs bêtes pâturer et champoyer ès-lieux de vaine pàture, à l'écarte d'un clocher à l'autre, s'il y a église; et s'il n'y en a, jusqu'à l'écarte du milieu du village si ce n'est qu'en aucun il y ait titre ou usage particulier, d'autres bornes ou arrêts que lesdits clochers et milieu de village ». (Cout. de Lorraine, t. XV, art. 1er.).

Avant la révolution de 1789, le parcours et la vaine pâture s'exerçaient suivant des règles qui variaient de province à province; souvent même. dans une province les usages se modifiaient selon les régions, très probablement d'après le mode de culture adopté dans chacune d'elles. Nous ne pouvons entrer ici dans l'examen approfondi des différentes coutumes et étudier les diverses phases par lesquelles passèrent les droits de parcours et de vaine pàture jusqu'à la loi du 28 septembre-6 octobre 1791. Nous nous bornerons à constater que de bonne heure les cultivateurs s'aperçurent des graves inconvénients qui résultaient pour eux de droits aussi exorbitants. Lorsque les considérations qui avaient amené l'établissement du parcours et de la vaine pâture vinrent à disparaître, quand le lien féodal se relâcha, en même temps que les limites des communes et des héritages privés arrivaient à être exactement déterminées, on comprit que des charges fort lourdes allaient peser sur l'agriculture en échange d'avantages assez précaires.

L'un des plus graves inconvénients résultant des droits de parcours et de vaine pâture, celui qui amena les premières réclamations, c'était l'impossibilité dans laquelle se trouvaient les particuliers de clore leurs propriétés. L'édit de 1669 mit fin à cet état de choses en donnant à tous les propriétaires le droit de « clore leurs héritages, de quelque nature qu'ils soient » et en soustrayant « les héritages ainsi fermés à la pâture d'autres bestiaux que ceux des propriétaires desdits héritages tant qu'ils demeureront clos et fermés (1) ». Cette réforme était fort bonne; malheureusement elle était incomplète et ne pouvait donner satisfaction aux agriculteurs. Il aurait fallu dès ce moment supprimer tout à la fois le parcours et la vaine pâture, rendre aux détenteurs des fonds ruraux la jouissance pleine et entière de leurs biens et faire disparaître un usage, peut-être excusable au moyen âge, mais qui n'avait plus aucune raison de subsister aux XVIIe et XVIIe siècles.

Il convient aussi de ne pas oublier que « la faculté du parcours et de la vaine pâture présente des obstacles insurmontables à la destruction des jachères, destruction si importante pour l'agriculture; elle empêche de former des prairies artificielles qui resteraient exposées aux ravages des bestiaux (2). C'est cet usage qui propage et perpétue les épizooties tellement que, pour les arrêter, on commence toujours par supprimer le parcours, la vaine pâture et par cantonner les bestiaux. D'ailleurs la liberté de mener les bestiaux sur tous les champs est une atteințe à la propriété (3) ».

(1) Exposé des motifs, 1876, p. 65, note.

(2) Bien que la loi de 1791 (art. 9) et la loi du 9 juillet 1889 (art. 5) aient interdit la vaine pâture sur les prairies artificielles, il n'en est pas moins certain que ces sortes de cultures souffrent considérablement de l'exercice d'un droit qui, s'il ne les frappe pas directement, les atteint d'une manière indirecte. Il en est ainsi, principalement dans les régions où la propriété est morcelée; une enclave de prairie artificielle, se trouve alors, quelle que soit la vigilance du pâtre, à la merci du troupeau commun.

(3) Rapport de la commission chargée de préparer un projet de code rural (1808)

La loi du 28 septembre-6 octobre 1791 (sect. IV) maintint provisoirement le parcours (art. 2) et réglementa le droit de vaine pâture en le restreignant. Consacrant le droit de clore et de déclore librement les héritages, droit qui « résulte essentiellement de celui de propriété et ne peut être contesté à aucun propriétaire (art. 4) », l'Assemblée nationale décida (art. 5) qu'un immeuble clos conformément à l'article 6 de la loi qu'elle votait, ne pourrait être assujetti au parcours ou à la vaine pâture. Le législateur de 1791 affranchissait en même temps de cette double servitude (1) les prairies artificielles (art. 9). Quant aux prairies naturelles elles ne restaient soumises au parcours et à la vaine pâture que « provisoirement, dans le temps autorisé par les lois et coutumes, et jamais tant que la première herbe ne sera pas récoltée (art. 10) ».

C'était donc à titre purement provisoire que l'Assemblée nationale tolérait le parcours, et qu'elle admettait ce droit, ainsi que la vaine pâture à s'exercer sur les prairies naturelles. Bien que cet état de chose <«< temporaire ait subsisté jusqu'en 1889, les termes de la loi de 1791 ne laissent aucun doute sur les intentions de ses auteurs. Novateurs timides, ils n'osèrent pas faire radicalement disparaître des usages qu'on pouvait croire enracinés dans les mœurs de la nation. Ils voulurent agir avec prudence et préférèrent laisser à leurs successeurs le soin de débarrasser l'agriculture française d'entraves qu'eux-mêmes, tout en le désirant, craignaient de briser. La loi du 9 juillet 1889 n'est pas encore arrivée à une réforme complète.

Le titre II du projet de code rural présenté au Sénat en 1876 différait peu, dans sa partie réglementaire, de la loi de 1791. Abolissant le droit de parcours il laissait subsister la vaine pâture mais, en permettant aux communistes de s'en affranchir lorsque la jouissance en promiscuité serait jugée plus nuisible qu'utile. L'article 43 était ainsi conçu : « La vaine pâture peut être supprimée dans tout ou partie d'un département, les conseils municipaux préalablement entendus, par une délibération du conseil général approuvée par un décret rendu en conseil d'État. » Dans aucun cas la vaine pâture ne devait s'exercer sur les prairies naturelles. Sous la rubrique « dispositions générales sur l'exploitation de la propriété rurale », le titre III qui constitue aujourd'hui (avec le titre II) la loi du 9 juillet 1889 autorisait les conseils municipaux à abolir, avec l'approbation des conseils généraux, le han des vendanges, abrogeait la loi du 6 messidor an III, relative à la vente des blés en vert et décidait (art. 47) qu'en l'absence de convention par écrit la durée du louage des domestiques et ouvriers ruraux serait réglée suivant l'usage des lieux.

(1) Il n'y a pas là, au sens juridique du mot, de véritable servitude. La servitude, en effet, ne peut s'exercer qu'au profit d'un fonds sur un autre fonds. Elle n'a jamais le caractère personnel donné au parcours et à la vaine pâture par l'article 14 de la loi de 1791, et à la vaine pâture par la loi de 1889 (art. 9). De plus une servitude ne s'éteint pas au gré du détenteur du fonds servant; or, par une simple clôture, tout terrain soumis au droit de parcours ou de vaine pâture peut en être affranchi.

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