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L'article 9 de cette loi dispose en effet que la navigation entre la France et l'Algérie peut s'effectuer par tous pavillons, comme la navigation entre l'Algérie et l'étranger. On a demandé que le trafic entre l'Algérie et la France fût, au contraire, assimilé au cabotage et réservé au pavillon national.

Pour faire admettre plus facilement cette réforme, les réclamants la présentèrent comme le complément de la loi du 29 décembre 1884 qui a rendu applicable en Algérie le tarif général des douanes de la métropole; on aurait ainsi l'avantage de contribuer à l'œuvre d'assimilation qui se poursuit incessamment entre notre grande colonie africaine et la France continentale; on assurerait aussi un nouvel élément de fret à nos navires caboteurs qui sont très éprouvés par la concurrence des chemins de fer et qui ne jouissent pas de la prime à la navigation dont profitent les navires faisant le voyage au long cours.

C'est à ce titre et sous ce point de vue que le projet de loi a été exposé devant le Parlement; c'est ainsi qu'il est devenu la loi du 2 avril 1889.

La chambre de commerce de Constantine s'était élevée, il est vrai, contre ce projet, alléguant d'une part que les relations commerciales seraient entravées momentanément par l'insuffisance du matériel naval dont disposent les compagnies de navigation, et d'autre part que cette loi aurait pour effet de mettre l'agriculture et le commerce algériens à la merci des compagnies qui se syndiqueraient pour imposer des conditions de transport si onéreuses que toutes relations avec la France deviendraient impossibles (1).

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A la première de ces critiques on répondit que la loi ne pourrait produire tout son effet qu'après un certain temps: en effet, les conventions de navigation conclues avec la Belgique (2) et avec l'Espagne (3) garantissent aux navires de ces deux pays le même traitement qu'aux navires français (sauf pour le cabotage); le même avantage appartient encore aux puissances étrangères auxquelles nous avons concédé le traitement de la nation la plus favorisée. Ce n'est donc qu'à l'expiration des traités de commerce (1er février 1892), si ces traités ne sont pas renouvelés, que la loi pourra recevoir son application à l'égard des navires de toutes nations. D'ici le 1er février 1892, les armateurs pourront facilement compléter leur matériel suivant les besoins du commerce. Au reste, le trafic qu'il s'agit de déplacer n'est pas très considé. rable en 1886 on n'a compté que 32.000 tonnes chargées par navires étrangers, contre 1.200.000 tonnes environ chargées par navires français; réserver ces 32.000 tonnes au pavillon français ce n'est pas imposer à notre marine une tâche au-dessus de ses forces.

Quant au second grief, outre qu'il est assez chimérique de craindre la formation d'un syndicat général des armateurs français, on a fait remarquer que presque tout le trafic entre la France et l'Algérie se fait par les

(1) Chambre rapport, doc. 1888, p. 909.

(2) Traité du 31 octobre 1888, art. 2. (3) Traité de 6 février 1882, art. 21.

ports de la Méditerranée et principalement par les lignes subventionnées dont le port d'attache est à Marseille. Le gouvernement pourra donc exercer un contrôle efficace sur les prix de fret de ces compagnies et, le cas échéant, il aura toute facilité pour empêcher qu'elles n'abusent de la situation privilégiée qui leur sera faite par la suppression de la concur rence des navires étrangers.

1er.

Art. 1o. La navigation entre la France et l'Algérie ne pourra s'effectuer que sous pavillon français.

Art. 2. L'article 9 de la loi du 19 mai 1866 est et demeure abrogé en ce qu'il a de contraire à la présente loi.

XI

LOI DU 4 AVRIL 1889, SUR LE CODE RURAL (TITRE Vi). DES ANIMAUX EMPLOYÉS A L'EXPLOITATION DES PROPRIÉTÉS RURALES (1). Notice et notes par M. Fernand DAGUIN, docteur en droit, avocat à la Cour d'appel de Paris.

L'Assemblée constituante de 1789 avait résolu de doter la France d'un code rural; mais elle dut renoncer à cette entreprise et se contenter de réaliser partiellement son projet en votant une série de prescriptions sur les biens et usages ruraux et sur la police rurale; ces prescriptions devinrent la loi des 28 septembre-6 octobre 1791. Depuis lors, des tentatives ont été faites, à plusieurs reprises, en vue de codifier les dispositions législatives, qui, à un titre quelconque, intéressent l'agriculture et les habitants des campagnes. L'Annuaire de législation française ayant donné précédemment quelques indications sur ces tentatives (2), nous pensons qu'il est inutile de faire de nouveau l'historique de la question, et nous nous bornerons à rappeler qu'au moment de la chute du second Empire, le Conseil d'État, chargé de l'élaboration d'un projet de code rural, était parvenu à mettre la dernière main à ses deux premières parties, qui comprenaient le régime du sol et le régime des eaux. Le texte ainsi arrêté par le Conseil d'Éta' fut déposé au Sénat par le gouvernement, le 13 juillet 1876.

·Sénat: projet

(1) Journal officiel du 6 avril 1889.—Travaux préparatoires :— et exposé des motifs (session 1876, annexe no 106); rapport, doc. 1882, p. 22; discussion, 28 janvier, 5 et 18 février 1882. Chambre: 1er rapport, non discuté, dépôt le 1er février 1883, (session extraord. de 1882, annexe no 1663); 2e rapport, 17 novembre 1888 (doc. 1888, session extraordinaire, J. Off., p. 546); 1re délibération, 11 février 1889; 2o délibération, 7 mars 1889.

(2) Voir la notice de M. Theurault sur les lois du 20 août 1881 (Ann. de lég. franç., 1re année, p. 87).

Faute de pouvoir discuter et voter, dans son ensemble, le projet présenté par le gouvernement, les Chambres, de temps à autre, en détachent un fragment, qu'elles transforment en loi; c'est ainsi que le titre VI a reçu, en 1889, la sanction législative.

Ce titre, qui contient les dispositions relatives aux animaux employés à l'exploitation des propriétés rurales, avait été adopté par le Sénat, sans modifications essentielles, dans les séances du 28 janvier et des 5 et 18 février 1882; transmis à la Chambre des députés, il avait fait l'objet d'un rapport favorable, déposé par M. Périgois le 1er février 1883; mais la législature ayant pris fin avant que ce rapport pût venir en discussion, le projet a dû être renvoyé à une seconde commission, après le renouvellement de la Chambre en 1885. Le rapporteur de cette commission, M. Thellier de Poncheville, a déposé son rapport le 17 novembre 1888; ses conclusions tendaient à l'adoption pure et simple.

La première délibération vint à l'ordre du jour de la séance du 11 février 1889 et consista en une simple lecture du projet. La seconde délibération, ouverte le 7 mars suivant, ne donna lieu qu'à un débat très court sur l'article 3, concernant la responsabilité solidaire des propriétaires de chèvres, conduites en commun au pâturage, en cas de dommages causés par ces animaux. M. de la Bâtie aurait désiré que les dispositions de cet article fussent étendues aux moutons, et il avait déposé un amendement en ce sens; mais, sur les observations du rapporteur, l'amendement fut écarté; après quoi l'ensemble du projet fut définitivement adopté sans aucun changement.

La loi destinée à former le titre VI du code rural n'a guère fait que reproduire, avec de légères modifications, les prescriptions des lois antérieures. Elle se divise en deux sections: la première est intitulée: « des bestiaux et des chèvres »; elle a trait au délit d'abandon d'animaux, envisagé uniquement, du reste, au point de vue des réparations civiles qu'il peut entraîner; elle abroge, sur ce point, la loi des 28 septembre-6 octobre 1791. Son titre n'est pas absolument exact, car elle ne s'applique pas seulement aux bestiaux, mais bien à tous les animaux domestiques; le rapporteur à la Chambre des députés en a fait la remarque, mais il s'est abstenu de proposer une rectification, dans la crainte de retarder l'adoption de la loi. La première section contient, en outre, des dispositions relatives aux dommages causés par les chèvres et aux mesures à prendre pour protéger les propriétés contre ces animaux essentiellement destructeurs.

La seconde section embrasse des objets divers. Elle confirme au propriétaire la faculté que lui avait reconnue la loi de 1791, de tuer les volailles d'autrui qui causent des dégâts sur son fonds; elle règle le droit de suite du propriétaire sur les animaux de basse-cour qui se sont enfuis; elle s'occupe également de la fermeture des colombiers à certaines époques de l'année, des moyens de prévenir les accidents que peuvent occasionner les abeilles, de la propriété des essaims et de la saisie des ruches à miel et des vers à soie.

On remarquera que le texte reproduit ci-dessous laisse subsister, en ce qui concerne l'abandon d'animaux, les pénalités édictées par l'article 3 du titre 2 de la loi des 28 septembre-6 octobre 1791; il ne vise, en effet, que la responsabilité civile qui peut être encourue par suite de cet abandon.

La loi nouvelle ne modifie pas davantage les règles qui régissent la responsabilité civile et pénale résultant des infractions suivantes : divagation d'animaux domestiques, passage d'animaux sur le terrain d'autrui, introduction et garde à vue de bestiaux sur le terrain d'autrui. Ces différentes infractions donnent ouverture à une action civile en dommagesinterêts, conformément à l'article 1385 du code civil; elles entraînent, en outre, suivant les cas, l'application des peines prévues par les articles 471, 14°, 475, 7° et 10°, 479, 2o et 10°, du code pénal, 147 et 199 du code forestier et par l'article 26 du titre 2 de la loi du 28 septembre-6 octobre 1791 (1).

SECTION IT.

Des bestiaux et des chèvres.

Art. 1. Lorsque des animaux (2) non gardés ou dont le gardien est inconnu ont causé du dommage, le propriétaire lésé a le droit de les conduire sans retard au lieu de dépôt désigné par le maire, qui, s'il connaît la personne responsable du dommage, aux termes de l'article 1385 du code civil, lui en donnera immédiatement avis (3).

Si les animaux ne sont pas réclamés, et si le dommage n'est pas payé dans la huitaine du jour où il a été commis, il est procédé à la vente sur ordonnance du juge de paix, qui évalue les dommages.

Cette ordonnance sera affichée sur papier libre et sans frais à la porte de la mairie.

(1) Voir: Répertoire général alphabétique du droit français, publié sous la direction de E. Fuzier-Herman, Vis ABANDON D'ANIMAUX, nos 26 à 57, et ANIMAUX, nos 86 à 188; Leroy et Drioux, DES ANIMAUX DOMESTIQUES, p. 436 et suiv.

(2) Le texte de l'article 1er n'est pas conforme au titre de la section. Tandis que le titre en question semble limiter l'action de la loi aux bestiaux, c'est-à-dire aux animaux domestiques des espèces bovine et ovine, aux porcs et aux chèvres, l'article 1er, au contraire, vise tous les animaux domestiques, quels qu'ils soient : c'est, du reste, aux termes de l'article qu'il convient de s'attacher; l'exposé des motifs (Sénat, session 1876, annexe no 106, p. 95 et 96) ne laisse aucun doute à cet égard; le rapporteur à la Chambre des députés s'est également prononcé catégoriquement sur ce point, dans son rapport, et a déclaré que la loi s'appliquerait à tous les animaux, notamment aux chevaux et aux chiens.

(3) Il n'est rien prescrit de spécial par la loi quant à la forme de cet avis. La plus grande latitude est donc laissée aux maires à cet égard. La plupart du temps, l'officier municipal pourra se borner à prévenir les intéressés au moyen d'une simple lettre (V. Exposé des motifs, p. 95).

Le montant des frais et des dommages sera prélevé sur le produit de la vente.

En ce qui concerne la fixation du dommage, l'ordonnance ne deviendra définitive, à l'égard du propriétaire de l'animal, que s'il n'a pas formé opposition par simple avertissement dans la huitaine de la vente.

Cette opposition sera même recevable après le délai de huitaine, si le juge de paix reconnaît qu'il y a lieu, en raison des circonstances, de relever l'opposant de la rigueur du délai.

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Art. 2. Les préfets peuvent, après avoir pris l'avis des conseils généraux et des conseils d'arrondissement, déterminer par des arrêtés les conditions sous lesquelles les chèvres peuvent être conduites et tenues au pâturage (1).

-

Art. 3. Les propriétaires de chèvres conduites en commun sont solidairement responsables des dommages qu'elles causent (2).

SECTION II.

Des animaux de basse-cour, pigeons, abeilles et vers à soie.

Art. 4. Celui dont les volailles passent sur la propriété voisine et y causent des dommages, est tenu de réparer ces dommages. Celui qui les a soufferts peut même tuer les volailles, mais seulement sur le lieu, au moment du dégât, et sans pouvoir se les approprier (3).

(1) La chèvre est, de toutes les bêtes à cornes, celle dont la dent est la plus meurtrière pour les plantations et les récoltes; sa nature vagabonde la rend, de plus, très difficile à surveiller. Aussi, dans certaines localités, l'usage s'est-il établi d'imposer des conditions particulières aux personnes qui font pâturer les chèvres; parfois, l'on exige que ces animaux soient attachés et conduits à la main. Les préfets pourront sanctionner sur ce point les usages locaux, et, là où il n'en existe pas, prescrire des mesures spéciales pour mettre les propriétés à l'abri de leurs atteintes.

(2) M. de la Bâtie avait proposé à la Chambre des députés de comprendre les moutons dans le texte de l'article 3, mais sa proposition n'a pas été admise. La Chambre, vraisemblablement, s'est déterminée à rejeter l'amendement, afin d'éviter le renvoi du projet au Sénat.

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A notre avis, il eut été préférable d'étendre les dispositions de l'article 3 à tous les animaux conduits au pâturage en commun, et de confirmer ainsi la jurisprudence aux termes de laquelle le préjudice causé par un quasi-délit ou fait dommageable non intentionnel imputable à plusieurs personnes, doit être réparé solidairement par les coauteurs (V. Cass. 25 juil. 1870; S. 72. 1. 122; Cass., 9 déc. 1872; S. 73. 1. 11., - Cf. Aubry et Rau, t. iv, p. 23). Du reste, le rapporteur a pris soin de déclarer qu'il n'entendait nullement faire échec à cette jurisprudence, et il a ajouté qu'aucun argument a contrario ne pourrait être tiré des termes de l'article 3 et du rejet de l'amendement (Chambre des députés, séance du 7 mars 1888, p. 493, col. 1).

(3) Cet article ne fait que reproduire les termes de l'article 12, § 3, du titre II de la loi des 28 septembre-6 octobre 1791.

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