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taires de bois des conditions de jouissance multipliées et pénibles.

La défense de couper même les taillis avant l'âge fixé, l'obligation de se conformer pour l'exploitation aux règles tracées pour l'usance des bois royaux, la réserve des baliveaux, la prohibition de défricher, telle était une partie des mesures restrictives auxquelles l'exercice du droit de propriété a été longtemps soumis.

La lei de 1791 les supprima toutes à la fois, et ne ménagea cette révolution dans le régime forestier par aucune transition.

Les propriétaires abusèrent de cette liberté inaccoutumée : les défrichemens se multiplièrent à l'infini sans distinction des lieux où ils étaient opérés, en telle sorte que, dans plusieurs localités, l'éboulement des terres défrichées et le déboisement des montagnes firent disparaître la terre végétale et laissèrent les rochers à nu.

Il fallut porter à ce mal un remède nécessaire et urgent. On prit un terme moyen entre l'ancien et le nouvel état des choses, et la loi du 29 avril 1803 prohiba le défrichement sans autorisation préalable. Toutefois, cette mesure ne fut adoptée que comme temporaire. Sa durée est fixée à vingt-cinq ans, et ce terme est près d'expirer.

Y a-t-il lieu de maintenir cette prohibition, ou doit-on rendre à la propriété particulière la liberté absolue dont l'a privée la loi du 29 avril 1803 ?

Telle était la question qu'il fallait décider, et qui a fait l'objet d'un long examen et de fréquentes discussions.

Rien n'est plus respectable, Messieurs, que le droit de propriété ; et ce droit, de sa nature, n'admet guère de limites; il comprend, nous le savons, la faculté d'user et d'abuser. Cette faculté, inhérente à la propriété et qui la constitue, est, dans notre corps social, un principe de vie qu'il faut se garder de méconnaître et de blesser.

Ce sont là vos principes, Messieurs, et ce sont aussi les nôtres: toutefois, cette grande règle doit fléchir elle-mème, vous le savez, devant la considération, plus grande encore, du besoin social et de la conservation commune. C'est à ce prix que la société garantit à ses membres leur sûreté et leur propriété. C'est un sacrifice que l'intérêt de chacun doit faire à l'intérêt de tous, et qui profite ainsi à ceux mêmes à qui il est imposé.

Les lois de tous les pays, et nos propres lois, contiennent de nombreux exemples de ce sacrifice imposé; et il suffit de citer ici celle qui permet même l'expropriation pour cause d'utilité publique.

1 PART.

La question d'intérêt général, la question d'utilité publique, est donc, dans la réalité, la seule qu'il faille considérer. Le principe ne saurait être contesté; mais l'application peut être combattue.

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Sur ce point, Messieurs, la seule connaissance des faits semble devoir suffire.

Plus de la moitié du sol forestier, nous vous l'avons déjà dit, est possédée par les particuliers. La portion qui reste à 'Etat, à la Couronne et aux communes, est insuffisante, dans la situation actuelle, pour assurer les services publics et la consommation privée.

L'élévation du prix des bois, la ressource facile et assurée qu'offre au propriétaire l'exploitation d'un terrain complante, inise en comparaison avec les avantages éloignés et éventuels que peut offrir sa conservation; l'espoir de compenser et audelà ces avantages par une autre nature de culture; toutes ces causes, qui ne peuvent être méconnues, expliquent assez la 'disposition que doivent avoir un grand nombre de propriétairès à faire des défrichemens. Au surplus, nous n'en sommes pas sur ce point réduits à des conjectures, et cette disposition n'est que trop bien prouvée par l'empressement avec lequel on a profité de la liberté accordée par la loi de 1791, et par l'innombrable quantité de demandes en autorisation formées depuis la prohibition.

Rétablir aujourd'hui la liberté absolue, ce serait s'exposer à des dangers réels, contre lesquels vous seriez contraints bientôt de réclamer une barrière. Il a donc fallu adópter, quoique à regret, un système plus sévère.

Toutefois, Messieurs, nous nous sommes bien gardés d'introduire dans la loi la prohibition comme un principe, comme une règle permanente: nous l'avons, au contraire, considérée comme une exception, et comme une exception limitée et temporaire.

Le titre relatif aux bois des particuliers ne contient aucune disposition de ce genre à la fin, de la loi seulement, un titre transitoire proroge pendant vingt années la prohibition de défrichement sans autorisation. Cette prohibition, limitée quant à sa durée, l'est aussi quant à son étendue : elle ne comprend ni les jeunes bois àgés de moins de vingt ans, ni les parcs et jardins clos et attenans aux habitations, ni les bois non clos d'une étendue au-dessous de deux hectares. La disposition qui, dans, tous ses moyens d'exécution, a été rendue plus facile et plus simple, ne regarde que les bois de quelque impor tance et dont l'intérêt général prescrit encore la conservation.

L

Tout permet d'espérer qu'à l'expiration du terme fixé par les articles transitoires, la liberté pourra être rendue tout entière à la propriété avec les seules précautions qu'exigera toujours la situation des montagnes et des terrains penchans et ardus. C'est vers ce but d'affranchissement que vont tendre d'un commun accord, et les efforts de l'administration, et les progrès sensibles de l'agriculture et de l'industrie.

Un meilleur mode d'exploitation, indiqué par l'expérience nationale et étrangère, l'établissement d'une école forestière où se formeront désormais des agens instruits et spéciaux ; des repeuplemens ordonnés avec discernement et exécutés avec soin, donneront successivement aux forêts soumises au régime forestier un accroissement de valeur et d'étendue propre à rassurer les esprits attentifs sur nos besoins présens et à venir.

D'un autre côté, l'exploitation de nos mines de charbon et de houille se poursuivant avec une grande activité; l'industrie diminuant, par des procédés ingénieux, la consommation des combustibles; l'établissement de canaux et de grandes routes appelant chaque jour à une distribution plus égale les produits de nos forêts; l'exemple des pays étrangers éclairant nos propriétaires sur le parti qu'on peut tirer des bois attendus; toutes ces causes réunies nous assurent qu'au bout de vingt ans le titre temporaire pourra, sans danger, se détacher du corps

de la loi.

Dans vingt ans, Messieurs, que ne doit-on pas espérer de bon, d'utile et d'heureux dans un pays favorisé par la Providence, dans un pays où tout s'agrandit et s'éclaire; où les sciences, les arts et l'agriculture doivent fleurir sous la protection de la monarchie légitime et sous les inspirations d'une sage et féconde liberté ?

C'est ainsi, Messieurs, que le projet qui vous est soumis détermine les règles générales relatives à l'administration des bois divers qui forment en France le sol forestier.

On a dû s'occuper ensuite des services publies et des charges que ces services peuvent imposer à cette nature de propriété.

La plus importante, ou plutôt la seule réelle de ces charges, est celle qui est imposée au profit de la marine.

Les constructions navales exigent l'emploi d'une grande quantité d'arbres de choix et d'une dimension considérable. C'est là un de ces services qui touchent aux plus hauts intérêts du pays, et qu'il est du devoir de la législation d'assurer par tous les moyens qui sont à la disposition des lois.

Jusqu'à ce jour, la marine a exercé le droit de choix et de

martelage sur tous les bois de l'État, des communes et des particuliers, que le propriétaire destine à être abattus.

Ce droit doit-il et peut-il être enlevé à la marine, ou fautil seulement en régler l'exercice de manière à conserver, dans leur intégrité, les intérêts des propriétaires? Cette question était aussi tout-à-fait digne de l'attention du Gouvernement, et elle vous paraitra mériter toute la vôtre.

Qu'il faille, par des moyens quelconques, assurer le service de la marine, c'est ce qui ne sera révoqué en doute par personne. L'honneur de notre pavillon, la sûreté de nos côtes, les intérêts de notre commerce n'admettent pas la possibilité d'une opinion contraire.

Que la marine puisse choisir parmi les bois de l'État ceux que son service réclame, cette faculté est encore hors de controverse. L'État applique ses ressources à ses besoins; rien n'est plus simple: il ne peut y avoir là à régler que le mode.

Mais le martelage dans les bois des particuliers est-il un moyen d'approvisionnement indispensable et qui ne puisse être remplacé par d'autres? C'est là que la difficulté com

mence.

Les partisans du système opposé font remarquer que les bois propres aux constructions navales peuvent être achetés à un prix fort inférieur à celui des bois de France, dans les pays dont la culture est moins avancée, ou à qui leur climat refuse d'autres produits. Ils ajoutent qu'il ne s'agit pas là d'une de ces deux branches d'agriculture qui ont besoin d'être protégées contre la concurrence étrangère, et qu'ainsi le droit accordé à notre marine a tout à la fois l'inconvénient de gêner la propriété, sans avantage pour elle, et d'imposer à l'État, pour ses achats, de plus grands sacrifices; ils invoquent l'exemple de l'Angleterre, où ce droit n'est pas connu; ils soutiennent enfin que si la marine doit être approvisionnée par les bois de France, il existe d'autres moyens de fournir à ses besoins.

Vous pressentez aisément, Messieurs, les diverses réponses qui peuvent être faites à ces objections.

D'abord, il faut écarter l'exemple de l'Angleterre. Les exemples ne peuvent avoir quelque autorité que lorsqu'ils sont choisis dans des situations semblables; et c'est ce qui n'est point ici.

L'Angleterre n'a pas, dans son territoire européen, les ressources que nous offre le nôtre; d'autre part, elle exploite avec un grand succès celles que lui présentent ses nombreuses et diverses colonies. La position des deux états est donc toutà-fait différente.

L'Angleterre doit recourir à d'autres procédés que nous

et notre législation, sur ce point, ne saurait ressembler à la

sienne.

Il est très-vrai que le Gouvernement peut acheter, en pays étranger, des bois de construction au-dessous du prix de France; aussi sommes-nous bien loin de vous proposer de renoncer à cette importante ressource utile à l'État sans être nuisible aux particuliers; il faut la conserver, au contraire; mais il ne faut pas compter sur elle seule et demeurer ainsi imprudemment sous la dépendance des approvisionnemens extérieurs.

Chaque jour les constructions 'militaires et commerciales prennent un développement plus considérable dans les diffé rentes parties du monde civilisé, et préparent ainsi sur les marchés une concurrence plus redoutable. D'un autre côté, les lois qui statuent pour un avenir indéfini doivent être l'ouvrage de la prévoyance; préparées au sein d'une paix dont tout fait présager l'heureuse durée, elles doivent pourvoir aux difficultés que font naître ces temps de crise où les besoins s'accroissent en même temps qu'on perd les moyens de les satisfaire au-dehors.

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Il est donc du devoir d'un Gouvernement prudent de ménager ses ressources intérieures sans renoncer aux avan tages que peuvent lui offrir ses relations avec des pays amis.

On dit que notre sol forestier présente des moyens plus cer tains et moins incommodes d'assurer pour l'avenir le service des constructions navales; et des plans plus ou moins ingé nieux, plus ou moins applicables, ont été proposés à cet effet. Parmi ces plans, se distingue celui qui tendrait à considérer le département de la marine comme usager dans les bois de l'État, et à lui appliquer le principe de cantonnement.

Il y aura lieu d'examiner avec soin ce système, qui a été développé avec un talent remarquable, notamment par un ingénieur de la marine (1), et qui a été vivement combattu par des hommes versés dans la connaissance des forêts. En ce qui touche la loi qui nous occupe, il suffit de reconnaître que l'adoption de ce système ne pourrait donner que dans un temps très-éloigné des résultats satisfaisans. Des essais sont ordonnés; d'autres le seront encore; mais dans l'état où nous sommes, il ne serait pas raisonnable de fonder des dispositions législatives sur la substitution à un mode sûr et éprouvé, d'une théorie dont l'application est au moins douteuse et dont les

(i) M. Bonard.

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