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l'attention du Gouvernement sur cette importante partie de l'économie politique.

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Il serait dangereux de se reposer sur les ressources qu'on trouverait à l'étranger: c'est dans le temps où elles seraient le plus nécessaires qu'elles pourraient manquer; et il ne serait raisonnable de se mettre dans la dépendance d'autres pays, pour des objets de première nécessité, qu'on peut avoir en abondance chez soi.

Les bois des particuliers pourront sans doute fournir encore de grandes ressources pour les besoins de la consommation générale: ceux des grands propriétaires continueront même d'en offrir d'importantes à la marine; mais il faut craindre de voir ces ressources diminuer chaque année, si le Gouvernement ne prend pas des mesures pour encourager les futaies dans les propriétés privées, ou pour diminuer le désavantage d'en élever ou d'en conserver.

C'est surtout dans les bois de l'État, et dans ceux qui sont soumis au régime forestier, qu'il faut préparer les moyens de subvenir aux besoins de l'avenir, et particulièrement à ceux de la marine, par des réserves et par des aménagemens dirigés dans les grandes vues des intérêts publics.

Il ne nous appartient point d'examiner avec détail s'il ne conviendrait pas de faire à la marine une affectation spéciale de soixante ou de quatre-vingt mille hectares de futaies qui s'exploiteraient par expurgade ou éclaircie.

On ne remettrait pas apparemment la direction des bois de cette affectation aux agens de la marine; on ne confierait pas la conservation au service qui consomme; et on n'admettrait pas dans les forêts une double administration. A quoi pourrait donc servir cette affectation spéciale, lorsque la totalité des bois de l'État est et doit être d'abord affectée aux besoins de la marine?

On ne trouverait pas non plus dans les bois de l'État 80 mille hectares de bois de futaie en essence de chène, et à la proximité des moyens de transport: l'État ne possède guère que 60 mille hectares aménagés en futaie, dont un quart seulement où le chêne domine; dans le surplus, c'est le hêtre, et souvent le bouleau et les bois blancs, qui ont pris le dessus, par suite d'exploitations vicieuses.

Et cette quantité même de 80 mille hectares serait d'ailleurs bien loin d'être suffisante pour l'objet auquel elle serait destinée.

Le système des exploitations par éclaircie a de grands avantages pour former et obtenir des futaies: le Gouvernement en multiplie les essais, et on doit espérer qu'ils seront favorables;

mais il ne faut pas s'y livrer avec une précipitation et un excès qui seraient funestes: les exploitations par éclaircie sont nuisibles, si elles ne sont pas conduites avec beaucoup d'intelligence; et le premier soin devrait être d'avoir aussi une école de gardes, et de se procurer un grand nombre de forestiers capables de diriger ces sortes d'exploitations.

Enfin il faut ne pas perdre de vue qu'il faudra bien du temps pour amener les forêts à un nouvel ordre d'exploitation établi sur un aménagement de cent quatre-vingts ans, et pour obtenir, par ce nouvel ordre d'exploitation, les arbres propres aux constructions navales.

Mais nous répétons que c'est au Gouvernement qu'il appartient d'examiner ces grandes questions, d'en peser l'importance et les conséquences, et de faire exécuter les mesures qu'il croira devoir arrêter dans l'intérêt public.

DÉFRICHEMENS. La deuxième exception importante à la libre administration de leurs bois laissée aux particuliers est celle qui est établie par la disposition qui leur interdit, pendant vingt années, la faculté de les faire arracher ni défricher sans en avoir obtenu l'autorisation dans le cas d'opposition par l'administration forestière. (Art. 219, etc.)

Le défrichement dans les bois de l'État, dans ceux dans lesquels il avait intérêt, et dans ceux des communes et des établissemens publics, était défendu depuis long-temps.

L'ordonnance de 1669 n'en avait pas formellement interdit la faculté aux particuliers; mais c'était une conséquence des dispositions qui les astreignaient à l'observation d'un aménagement, et à la conservation des réserves; d'ailleurs il y avait été pourvu depuis..

La liberté illimitée de disposer de ce genre de propriété, accordée aux particuliers par la loi du 29 septembre 1791, a donné lieu à des défrichemens considérables: les bois qui couvraient les montagnes et les côteaux ne furent même pas plus épargnés que ceux qui existaient dans les plaines

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Ces désordres excitèrent des réclamations générales : la loi du 9 floréal an 11 (29 avril 1803) y mit un terme, en défendant pendant vingt-cinq ans les défrichemens, sans autorisations préalables. Le délai fixé pour la durée de cette mesure expire le 29 avril prochain.

Le projet de loi en propose une semblable pour vingt an

nées.

Il faut convenir que cette disposition n'est pas conforme au principe d'après lequel chacun peut user et abuser de sa propriété, et qu'elle ne peut être admise que par la considération

que les bois sont des objets de première nécessité, et par des motifs d'ordre public.

C'est parce que le Gouvernement reconnaît lui – même ces principes qu'il ne propose qu'une disposition temporaire et exceptionnelle: tout consiste done encore à savoir si elle est commandée par les circonstances.

On ne peut en douter, lorsque les motifs qui ont déterminé la loi du 9 floréal sont devenus plus puissans qu'ils ne l'étaient à cette époque, et que la dévastation des forêts n'a fait que s'accroître; lorsque des coupes extraordinaires ont été faites de toutes parts, sans règles et sans mesure, dans les bois des particuliers, dans les bois des communes; et lorsque les malheurs des temps ont même rendu nécessaire l'aliénation d'une partie importante des bois de l'État, qui généralement n'ont été acquis que dans des vues de destruction.

Plusieurs des mesures proposées par le projet de loi ont leur motif dans la nécessité d'arrêter la dégradation et la destruction des forêts: il n'en est pas qui, pour atteindre ce but, soient, plus indispensables que celle qui a pour objet de prévenir les désordres qui naîtraient de la liberté indéfinie de les défricher; on peut s'en faire une idée par l'immense quantité de demandes d'autorisations qui continuent d'avoir lieu: en 1825, elles ont été de 2,968; en 1826, de 2,440.

Beaucoup, sans doute, devront être accordées, mais avec discernement et sans faveur: avec le temps, les bois aliénés, trop épars encore, se réuniront dans des mains conservatrices, et le passage d'un état de prohibition à un état d'entière liberté deviendra moins sensible, et n'amènera aucune commotion dans la société.

Le déboisement des montagnes excite surtout des plaintes universelles : leur stérilité par l'entraînement de la terre végétale qui était retenue par les bois, la diminution des eaux de source, l'augmentation des eaux superficielles, la formation de torrens qui bouleversent les propriétés placées au-dessous de ces sols élevés, sont la suite des défrichemens qui s'y sont faits: ce sera contre ces défrichemens que l'administration s'armera de sévérité.

La disposition du projet qui promet une exemption d'impôt, pendant vingt ans, en faveur des semis et plantations sur les montagnes ét sur les dunes (Art. 225), est sans doute dans l'intérêt public.

Néanmoins elle ne pourra pas être exécutée sans une loi qui en détermine les conditions: autrement elle pourrait donner lieu à beaucoup d'abus. Elle amenerait d'autant plus de désordre dans le système des contributions, qu'on ne pourrait chan

ger continuellement les contingens de tous les départemens, et qu'il serait pourtant injuste de répartir sur les autres contribuables de la commune ou du département l'exemption d'impôts qui serait accordée à ceux qui auraient fait les plantations nouvelles qui y donneraient droit.

La loi pourra autoriser, s'il y a lieu, la concession d'une prime équivalente à l'exemption d'impôt qui serait supportée par les fonds généraux.

Les autres dispositions du projet de loi, Messieurs, ont pour objet de régler la police des bois, le mode des poursuites à exercer, soit au nom de l'administration forestière, soit au nom des particuliers, les peines et les condamnations, et l'exécution des jugemens.

Vous pourrez facilement les apprécier lorsque chacune d'elles sera soumise à votre délibération.

Telles sont, Messieurs, les observations que nous avons cru devoir vous présenter sur le projet de Code forestier que vous avez renvoyé à notre examen.

Nous avons encore remarqué que le mot Gouvernement y est employé dans des sens différens; que quelquefois même il paraîtrait ne désigner qu'un Ministre, qui fait bien partie du Gouvernement, mais qui n'est pas le Gouvernement;

Que le recours réservé, dans diverses circonstances, au Roi ou au Gouvernement, y est aussi indiqué par ces mots, sauf le recours au Conseil d'état, quoique le Conseil d'État ne soit pas établi comme juridiction.

On peut, sans doute, répondre que les erreurs dans les énonciations ne changent point la nature des institutions, et qu'elles demeurent ce que les lois qui leur sont propres les ont faites.

Néanmoins, en se multipliant, et surtout dans les lois, elles pourraient avoir des inconvéniens, et amener de la confusion dans les choses: il est plus convenable de les éviter, et il est toujours utile de ne pas paraître les approuver.

Après vous avoir exposé avec sincérité nos observations sur quelques imperfections que nous avons cru apercevoir dans le projet de loi, il semble, Messieurs, que nous devrions aussi vous proposer les changemens qui pourraient les corriger.

Cependant nous ne vous proposons aucun amendement, et nous devons vous faire connaître les motifs qui nous y ont déterminés.

Si le projet de loi n'est pas parfait, on ne peut pas méconnaître qu'une loi ne soit nécessaire, et que celle qui est présentée n'apporte de grandes améliorations dans la législation des forêts,

Il serait bien difficile qu'un code composé de 225 articles ne fût susceptible d'aucun changement; et cependant, à l'époque où nous sommes arrivés, quelques changemens compromettraient, au moins pour cette année, le sort de la loi. Serait-il sage, pour obtenir quelques dispositions meilleures, de s'exposer à n'avoir pas ce qui est bon, ce qui est nécessaire?

Nous avons d'ailleurs pensé que les dispositions législatives qui paraîtraient utiles pourront être présentées aux Chambres l'année prochaine. L'ordonnance de 1669 elle-même a été suivie d'un grand nombre de lois qui en ont expliqué et modifié les dispositions.

Enfin, nous n'avons pas dû perdre de vue que le délai de la loi qui a interdit, pendant vingt-cinq ans, les défrichemens sans autorisation préalable, expire au mois d'avril prochain, et que, si la délibération de l'autre Chambre devenait inutile dans cette session, la loi pourrait bien ne pas être rendue, avant que grands désordres eussent été consommés.

de

Nous ne nous sommes pas non plus dissimulé, Messieurs, qu'une bonne loi sur les forêts n'était rien, si son exécution n'était pas confiée à une administration éclairée, conservatrice, surveillante et forte.

Nous aurons, dans celle qui existe, les garanties de lumières, de surveillance et de volonté d'une bonne conservation.

Mais combien elle est loin d'avoir les moyens de force de celle qui réunissait la haute administration, la juridiction, la

conservation!

Forcée d'être continuellement en opposition avec tous les intérêts désordonnés de la population, des communes, et souvent de leurs administrateurs, le bien qu'elle fait n'excite que des haines. C'est donc en diminuant les obstacles qui entravent son action et détruisent ou atténuent ses moyens de surveillance; c'est en lui accordant une juste confiance et en ne lui témoignant pas d'injustes défiances, qu'on parviendra à lui donner du moins cette force de considération sans laquelle elle serait impuissante pour faire le bien.

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