Page images
PDF
EPUB

Dans les cas de besoins personnels, les besoins devront être constatés par le maire de la commune.

Le prix, dans les bois soumis au regime forestier et dans les I ois particuliers, sera réglé de gré à gré, ou par experts; et dans le cas de partage, le tiers expert sera nommé par le président du tribunal de première instance.

Dans tous, la marine pourra, jusqu'à l'abattage des arbres, annuler les martelages; mais elle devra, dans les trois mois de la notification de l'abattage, prendre tous les arbres marqués et en payer le prix, ou les abandonner en totalité.

Telles sont, Messieurs, en substance, les dispositions du projet de loi relatives au droit de martelage, lesquelles ne seront applicables qu'aux localités où il sera jugé indispensable pour le service de la marine et pourra être exercé utilement par elle.

Ce droit-fut établi par l'ordonnance de 1669 danss forêts situées à dix lieues de la mer et à deux lieues des rivières navigables.

Le réglement général du 21 septembre 1700 a étendu la distance à quinze lieues de la mer et à six lieues des rivières navigables.

Mais dans les bois particuliers, 'dans ceux de l'Etat, des communes et des établissemens publics, les bois étaient livrés à la marine d'après l'estimation par experts.

Ce mode de paiement a toujours éte maintenu pour les bois des particuliers: il y a été dérogé pour les bois de l'État depuis 1801 et 1802, et particulièrement par une ordonnance du 28 août 1816, rendue sur le seul rapport du Ministre de la marine et dont il est inutile de rappeler les dispositions extraordinaires. Il doit, en ce moment, suffire de dire que cette or-, donnance a rangé les bois des communes et des établissemens publics dans la inême classe que les bois de l'État, qu'elle les a soumis aux mêmes charges, et que, pour tous, elle a fixé pour toute la France un prix uniforme, inférieur de plus de moitié au prix du commerce, et auquel les bois de marine seraient livrés au fournisseur.

C'est dans de telles circonstances qu'il s'agit d'examiner si le droit de martelage doit être maintenu, et dans les bois soumis au régime forestier, et dans ceux des particuliers,

Il ne peut d'abord y avoir de difficulté à y assujétir les bois de l'Etat, naturellement affectés aux besoins de l'État. La question, à leur égard, n'est plus alors que dans le choix du mode de l'exercer, avec le plus d'utilité ou le moins d'abus. Or, on ne peut même méconnaître que celui qui est proposé est celui qui fait craindre le moins d'inconvéniens. Il a pour lui l'ex

périence de plus d'un siècle, et il est conforme à tous les principes. L'État, qui est propriétaire et qui vend, ne blesse aucun droit en imposant à ses adjudicataires la condition de lui livrer les bois propres à son service, d'après un prix fixé de gré à gré ou par des experts.

Il est probable qu'il en résultera une augmentation de dépense pour le service de la marine; mais elle n'aura lieu que dans la proportion de la quantité de bois que la marine recevra des adjudications, tandis que l'augmentation des produits pour le trésor se fera ressentir sur la totalité des ventes.

Ce qu'il faut à la marine, c'est d'avoir les bois propres à son service qui se trouvent dans les bois de l'État; et la fixation d'un prix uniforme, et de beaucoup inférieur au prix du commerce, en amène trop souvent la soustraction, par les moyens par lesquels, après que les agens subalternes ont fait des martelages excessifs, et altéré par-là la valeur des coupes, les marchands ou les fournisseurs peuvent obtenir d'eux, après les adjudications, d'en rebuter et de leur en abandonner la plus grande partie; de telle manière que la marine elle-même ne profite presque pas du préjudice que l'État éprouve dans

les ventes.

On pourrait seulement demander s'il ne serait pas plus avantageux que l'administration fit livrer directement à la marine les arbres propres à son service, plutôt que de les vendre à un adjudicataire qui les livre à un fournisseur qui les revend à la

marine.

Mais la marine ne prend que le corps de l'arbre, ou même une partie du corps de l'arbre : que deviendraient toute la découpe et la dépouille? L'exploitation des arbres de marine ne pourrait, non plus, se faire que dans l'année suivante, pour ne pas détruire la responsabilité de l'adjudicataire par le concours d'une double exploitation dans la même vente : les abus et le préjudice deviendraient incalculables.

C'est avec bien de la sagesse que, même pour les constructions et les réparations des maisons royales, Louis XIV a interdit les coupes par arpent ou par pieds d'arbre, et qu'il a prescrit que les adjudicataires seraient tenus de fournir les bois nécessaires pour ces ouvrages, en leur en payant le prix suivant l'estimation.

Les exploitations et les régies conviennent moins encore aux gouvernemens qu'aux grands propriétaires ; et il y a long-temps qu'on a dit que les grands propriétaires devaient toujours tout vendre et tout acheter.

D'après les dispositions du projet de loi, il n'y aura plus d'injustice à ranger les bois des communes et des établissemens

publics dans la même classe que les bois de l'État, puisque la fixation du prix des arbres qui en proviendront et qui devront étre livrés à la marine, sera faite sur la base équitable de leur véritable valeur.

D'ailleurs les communes et les établissemens publics, qui tiennent leur existence et leurs droits des lois politiques, sont plus spécialement appelés à subvenir aux besoins de la société, pour l'utilité de laquelle ils ont été créés.

Mais la difficulté est plus grande pour les bois des particuliers.

Le droit qui est réclamé, pour le service de la marine, de choisir et de prendre dans ces bois les arbres propres à ce service; l'interdiction aux propriétaires de disposer à leur gré de ce qui leur appartient; la nécessité qui leur est imposée de faire des déclarations d'abattre dans des délais dont l'inobservation donne lieu contre eux à des amendes, lorsque très-souvent ils ne savent même pas, six mois d'avance, quelles parties de bois ils devront couper, ou lorsque leurs besoins ou d'autres circonstances imprévues les forcent de changer une première détermination; tout cela, on ne peut se le dissimuler, n'est pas seulement une gêne, une servitude pénible, mais une atteinte véritable au droit de propriété.

Néanmoins le service de la marine se rattache aux plus grands intérêts du pays, à sa sûreté, à son indépendance, à la protection et à la prospérité du commerce; et personne ne peut contester que les principes ordinaires ne doivent céder aux nécessités d'un tel service, et que la société n'ait le droit d'en exiger le sacrifice : c'est le cas où la loi politique commande à la loi civile.

La question est donc de savoir si l'exercice du droit de martelage dans les bois des particuliers est indispensable pour les approvisionnemens de la marine.

Nous regrettons, Messieurs, de ne pouvoir vous fournir à cet égard tous les renseignemens que vous pourrez peut-être désirer ceux que nous avons sont variables, incertains, peu nombreux. Nous les avons puisés tous dans un discours de M. le ministre de la marine à la Chambre des députés, et dans la connaissance qui nous a été donnée de la consistance des bois publics et particuliers qui existent en France.

En prenant ces renseignemens comme certains, nous sa

vons :

Que le sol forestier se compose de 6,416,481 hectares, que sur cette masse 1,160,466 hectares appartiennent à l'État, que 3,178,984 hectares sont soumis au régime forestier, et enfin I" PART.

9

que 3,237,517 hectares appartiennent à la propriété particulière ;

Que la marine compte habituellement sur un approvisionnement de 25 à 30,000 stères provenant des bois de l'intérieur, indépendamment des achats à l'étranger;

Enfin, que, dans ces dernières années, sans rien provoquer, sans étendre sa faculté de martelage, elle a reçu, par an, dans ses ports, le double de ce qu'elle demande ordinairement, c'està dire, 60,000 stères, dont les deux cinquièmes proviennent des bois soumis au régime forestier, et les trois autres cinquièmes des bois particuliers.

Ces résultats ne seraient pas alarmans: car les deux cinquièmes de 60,000 stères, c'est-à-dire, 24,000 stères, qui pourraient être fournis par les bois soumis au régime forestier, sur un approvisionnement de 25 à 30,000 stères, rempliraient presque les besoins; et, dans tous les cas, il serait bien facile au département de la marine de se procurer, par la voie du commerce, dans l'intérieur, la faible partie qui lui serait encore nécesaire: on pourrait même avoir d'autant plus de sécurité à cet égard, qu'un semblable produit, dans les bois soumis au régime forestier, est indépendant de toutes coupes extraordinaires. Il est encore permis de supposer que la marine aurait pu puiser dans les bois publics des ressources plus considérables, si, au milieu de l'abondance des bois dont les offres lui étaient faites de toutes parts sans qu'elle en provoquât aucune, elle avait eu intérêt de prendre dans les bois soumis au régime forestier tous les bois propres à son service, ou d'y étendre son martelage à des distances plus éloignées, sans égard pour un peu plus ou un peu moins de frais de transport.

Mais il faut reconnaître que les renseignemens sur lesquels ces raisonnemens sont établis, sont insuffisans pour pouvoir asseoir sur de telles suppositions les ressources de la marine avec une sage prévoyance et dans un long avenir.

Les produits des forêts soumises au régime forestier n'ont pas été calculés sur un nombre d'années assez considérable: nous ne connaissons pas assez non plus leur répartition, la quantité, l'aménagement, la nature et l'essence de celles qui sont situées à une convenable distance de la mer et des rivières flottables ou navigables, les seules où la marine puisse chercher ses moyens d'approvisionnement, pour avoir la pensée de vous proposer de supprimer immédiatement le droit de martelage qu'elle exerce depuis cent cinquante ans.

Nous craindrions même davantage que la restriction à dix années de la durée de ce droit, avec la condition de prendre tous les arbres marqués qui auront été abattus ou de les aban

donner en totalité, n'en fût réellement la suppression dès ce moment, si nous n'avions la conviction que le Gouvernement ne tardera pas à être assuré que l'exercice de ce droit dans les bois des particuliers ne lui est pas nécessaire, et qu'il se procurera facilement, et peut-être encore à de meilleures conditions, les approvisionnemens de la marine par la voie et la concurrence du commerce, que par des moyens coercitifs. L'intérêt particulier saura bien découvrir les bois les plus utiles et les plus propres à ce service; et les propriétaires viendront euxmêmes les offrir, comme ils le font dès à présent, lorsque, pour des pièces de qualité et de dimensions supérieures, ils devront espérer de recevoir aussi un prix supérieur à celui qu'ils obtiendraient en les livrant pour les besoins ordinaires de la consommation.

Car enfin l'exercice du martelage ne crée pas la matière. Nous ne sommes plus sous le régime de l'ordonnance de 1669. Tout se liait dans le système de cette loi: si, d'une part, elle établissait le droit de martelage en faveur de la marine, elle forçait, d'un autre côté, les particuliers à des aménagemens, à des réserves qui en rendaient l'exercice utile: les baliveaux de l'âge du taillis ne pouvaient être coupés avant quarante ans et s'accumulaient à chaque révolution, et ceux dans les futaies ne pouvaient être abattus qu'après cent ans, tandis que, dans l'état. actuel de la législation et de la société, l'exercice du droit de martelage aura au contraire l'effet de détourner d'élever des futaies, ou de conserver des arbres qui exposeraient à des recherches, qui assujétiraient à des gênes, et dont on ne pourrait disposer librement.

Ce qu'il faut obtenir, c'est l'existence et la conservation de la matière : l'expérience et les règles d'une bonne administration feront bientôt connaître les meilleurs moyens de la faire arriver dans les ports.

La société a d'ailleurs d'autres besoins que ceux de la marine; et elle ne peut pas se confier, sans prévoyance, à une abondance actuelle, qui n'est que la destruction des ressources

de l'avenir.

Les futaies ont été partout abattues par un grand nombre de causes trop connues pour qu'il soit utile de les rappeler. Les forêts publiques n'ont elles-mêmes pas été exemptes de la dévastation. Les taillis se reproduisent: mais il faut des siècles pour obtenir des futaies; et quand des siècles se sont écoulés, les effets d'une administration vicieuse dans le principe, se font encore ressentir dans la qualité de réserves qui auraient été mal faites ou mal choisies.

Les considérations de l'ordre le plus élevé appellent donc

« PreviousContinue »