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III.

Rodrigue aperçut Gormas
Sous la tour, et, sans attendre,
Il vint lui parler tout bas,
Et se fit très bien entendre.

«Quand ta main s'est tout permis, Savais-tu, dans ta colère, Que don Diègue avait des fils, que don Diègue est mon père?

Et

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-Vivre, c'est savoir par-tout
Rendre hommage à la vaillance,
Servir le faible, et sur-tout
C'est corriger l'insolence.

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Le guerrier de quatre jours
Se tait, et, sous ces murailles,
Menace encor, sans discours,
Le vainqueur de dix batailles.

Se laissant encor toucher,
Don Gormas, dans sa surprise,
Lui dit : «< Que viens-tu chercher?
-Ta tête, je l'ai promise.

-Non, mais osant m'irriter,
Vous êtes, faible adversaire,
Venu vous faire fouetter
Comme un page téméraire. »

O saints, ô Dieu tout-puissant !
A cette injure nouvelle,
Que devint l'adolescent!
Et que devint la querelle ?

IV.

Don Diègue, tristement à son banquet assis,
Muet, les yeux baissés, s'abreuvait de ses larmes.
Il pensait au péril de son généreux fils,
Et son cœur paternel se remplissait d'alarmes.

Il était si troublé d'un intérêt si cher,

Qu'il ne vit point, craignant d'apprendre sa ruine,
Rodrigue qui rentra d'un air calme, mais fier,
Le glaive sous le bras, le bras sur la poitrine.

Il contemple son père, et son œil est plus doux.
Il a serré la main du vieillard qu'il révère,
Et, lui montrant les mets qu'il voit dédaignés tous,
Lui dit avec orgueil: « Mangez, mon noble père.

Mangez, et relevez votre front rembruni.
-Qu'entends-je! Ah! mon enfant, ce terrible adversaire,
Ce guerrier indomptable, est-il déja puni?
-Mort, dit l'adolescent; mangez, mon noble père.

-Rodrigue, asseyez-vous. Preux déja sans égal,
Don Diegue va manger, mais c'est à votre table.
Celui qui sut abattre un si vaillant rival
De sa race honorée est le chef respectable. »

Le père du héros qui les passera tous

S'était levé d'abord; il s'avance, il chancelle, Veut embrasser ce fils, qui, tombant à genoux, Imprime son respect sur la main paternelle.

V.

Le royal séjour de Burgos
Est rempli de cris et d'alarmes.
Là le peuple apprend aux héros
Le plus imprévu des faits d'armes.
Le roi Fernand, de ses sujets
Traversant la foule troublée,
A la porte de son palais
Trouva Chimène échevelée.

D'une autre part, venant d'un fils
Défendre la cause vaillante,

Suivi de quatre cents amis,

Le vieux don Diègue se présente.
Couverts d'or, leur air noble et ficr
Ajoute à leur faste héroïque.
Rodrigue seul, vêtu de fer,
Est encor le plus magnifique.

« Voilà, disait-on, l'écolier
Par qui le fameux comte expire. »

Rodrigue, à ce mot familier,

Aux mécontens d'abord va dire:

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Si quelque ami, quelque parent, Veut le venger et nous confondre, A cheval, à pied, dans l'instant, L'écolier est prêt à répondre. »

On se tait. Mais voici le roi.
Tout guerrier a quitté la selle:
Rodrigue brave cette loi.

Don Diegue au devoir le rappelle:
<< Mon fils, descendez de cheval;
A votre roi que l'on révère

Rendez le devoir de vassal.

—Oui, pour vous obéir, mon père.

Rodrigue dit; et le voilà

Qui se soumet au vasselage.
Mais elle parle, celle-là

A qui son cœur rendit hommage.
Des guerriers ce naissant effroi,
Ce cavalier plein de rudesse,
Trop altier même avec son roi,
Fut tremblant devant sa maîtresse.

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