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qu'est-elle devenue cette nationalité d'un peuple magnanime, dont le triste sort est d'être assassiné quatre fois par siècle par la lâcheté de l'Europe? Voyez cette race de héros livrée au glaive de ses tyrans; les déserts de la Sibérie se peuplant de ces hommes à qui la postérité élevera des autels; ces quelques débris de braves nous demandant une hospitalité qu'une politique timorée ose à peine leur accorder: interrogez cette paix des tombeaux, ce silence de mort qui planent sur la patrie héroïque..... Il n'est plus de Pologne : le Russe seul est assis au foyer du grand peuple.

Telles sont les conséquences de l'abandon du principe de non-intervention constamment invoqué par Lafayette... Au lieu de protéger nos amis, la royauté de juillet a permis leur avilissement, au mépris de ses plus solennelles promesses;. au lieu de se ménager au loin des moyens d'attaque et de défense, elle attend l'ennemi dans le corps de la place; et tandis qu'il est évident, comme la lumière du jour, que les monarchies absolues se rapprochent et se liguent, elle, fille d'une révolution, renie ses auxiliaires naturels, et se complait à échanger, contre une soumission abjecte, tous nos souvenirs de gloire et de puissance. Je ne sais de quel nom elle décore sa politique, mais celui que lui réserve l'histoire, je le connais.

Mais, dit-on, la paix est assurée, et bientôt un désarmement général couronnera le système du cabinet du 13 mars; et cette paix et ce désarmement

donneront un démenti positif aux prédicans de la guerre. Arrière donc toutes les incertitudes, toutes les alternatives de calme et de tempête qui glaçaient les cœurs et frappaient la France d'interdit. Le fait est constant: il était faux que la révolution de juillet dût chercher son triomphe dans l'identité des intérêts français avec les intérêts de tous les peuples au sein desquels le volcan avait jeté des brandons de liberté ! Voyez ceux de ces peuples qui, à notre exemple, s'étaient levés pour reconquérir leur patrie, leurs noms, leurs mœurs, leurs physionomies distinctives, et des lois conformes à leur nature, sont de nouveau courbés sous le jong ; en Pologne, une politique réactionnaire, vindicative, barbare, a pulvérisé jusqu'aux derniers élémens de cette nationalité que la parole du roi des Français avait garantie à la face de l'univers; l'ltalie, décimée par un prêtre, est encore en proie à toutes les calamités de la guerre civile et d'une double intervention étrangère; la Belgique est encore enchaînée dans une situation contrainte et fausse; des convulsions nouvelles s'élaborent en Espagne et en Portugal; la Suisse se démembre; partout les indépendances nationales, les sécurités personnelles, les progrès de la civilisation sont menacés ; enfin, tout en Europe se heurte sans se rapprocher, se confond sans s'unir; et, cependant, les ratifications des 24 articles sont échangées, la paix n'est plus douteuse, la royauté de juillet s'est intercallée dans la famille des monarchies légitimes, le juste-mi

licu triomphe, et la paix sera maintenue: voilà les résultats pratiques de cette diplomatie si inactive, si expectante, si lâche, qui, au milieu du mouvement rapide qui entraîne l'Europe, semblait, disiez-vous, frapper de mutisme cette noble France de juillet qui, selon vous, ne pouvait reconquérir la notoriété de sa prépondérance qu'en se montrant résolue à braver tous les périls, et en donnant au monde une grande idée de sa détermination et de son courage. Eh bien ! cette idée, elle l'a brocantée pour des lettres de vasselage; sa robe virile, elle l'a dépouillée pour prendre les langes de la saintealliance; ce caractère de la révolution de juillet, qui devait prédominer dans toutes les situations possibles, cet ascendant de la raison armée, de la force mise aux mains de la liberté, qu'elle devait exercer dans les conseils de l'Europe, elle les a échangés contre la honte et les hommages d'une accolade royale: et cependant la paix est assurée. Qu'avez-vous encore à dire? Croyez en nous, et taisez-vous. Ainsi argumentent les doctrinaires.

Soit la guerre est conjurée ; l'exécution des 24 articles est garantie par toutes les puissances, la Hollande elle-même est contrainte à se soumettre à toutes les stipulations de ce traité, elle reconnaît le roi Léopold et accrédite un ambassadeur à sa cour; la Russie dégarnit la Pologne d'une partie des régimens qui en couvrent le sol; enfin, la paix de l'Europe est définitivement arrêtée sur ces bases. Acceptons toutes ces choses comme faits accomplis,

et admettons même qu'un désarmement, que la différence des systèmes militaires de l'Europe rendra toujours illusoire, vienne couronner cette paix, et fixer les divers peuples du continent de l'Europe dans les conditions précaires, fausses, ruineuses, dans lesquelles ils se trouvent, tant à l'égard les uns des autres que dans leurs rapports avec leurs gouvernemens respectifs. Eh bien! estil un homme de sens et de prévision qui puisse croire à la durée de cette réorganisation monstrueuse, et ne point être convaincu qu'un tel état de choses récèle nécessairement de nouveaux et prochains déchiremens ?

Cette croyance bénévole, que quelques observateurs superficiels, mais de bonne foi, ont dans la durée de cette paix, est le résultat d'une erreur grave et trop souvent accréditée par les fausses préoccupations des amis même de la liberté. Après la révolution de juillet on a interverti les rôles, en prêtant à la France le besoin de conserver la paix, et aux gouvernemens étrangers, le dessein de lui faire une guerre immédiate; et le gouvernement a très-habilement exploité cette opinion, pour se donner le mérite de la difficulté vaincue. De là, les argumens tirés du démembrement de l'armée et de l'infériorité relative de nos forces militaires; de là l'explication de toutes les concessions honteuses, de toutes les lâchetés diplomatiques dont l'imminente nécessité nous a fait une loi; de là, enfin, l'impossibilité motivée de sauver la Pologne et l'Italie.

Cependant le plus simple bon sens suffit pour faire justice de ces arguties. Comment, en effet, supposer qu'après les événemens de juillet, la Prusse. l'Autriche, la Russie et l'Espagne (car l'Angleterre était hors de cause), étaient assez aveugles pour vouloir attaquer la France soulevée par une immense révolution, et ayant pour avant-garde une ceinture de peuples en insurrection? Comment renouer, alors, une coalition, déjà scindée par la levée de boucliers de la Belgique, de la Pologne, de l'Italie et de quelques provinces allemandes? N'était-il pas évident qu'avant de menacer le Rhin, les Alpes et les Pyrénées, la sainte-alliance eût dû attendre le résultat de quelques campagnes sur la Vistule, l'Elbe, le Rhin, le Pô et l'Ebre ? Et, quel que fût l'état de notre armée, la France n'avait-elle point tout le temps nécessaire, n'avait-elle point surtout plus d'élémens qu'il ne lui en fallait, pour s'organiser, formidable, derrière les populations étrangères combattant, devant elle, pour une cause qui était la leur? A-t-on oublié l'élan révolutionnaire qui, dans un mois, eût jeté aux frontières toutes les existences que les journées de juillet avaient déplacées? A-t-on oublié ces trente mille volontaires que, dans quinze jours, la seule ville de Paris avait fournis aux cadres de l'armée? A-t-on oublié, enfin, les triomphes de 92, obtenus avec des moyens si inférieurs aux ressources morales et matérielles qu'offrait la situation de 1830 ? Aujourd'hui, comme alors, la France était un soldat;

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