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l'Espagne et le Portugal n'attendaient qu'une main secourable pour préluder à leur résurrection; enfin, les intérêts du despotisme étaient partout tombés devant l'intérêt commun des peuples, et l'Europe semblait n'attendre qu'un signe de la France pour rentrer dans la plénitude de ses droits suspendus mais non prescrits.

Dans cet état des choses, quelle devait être la politique extérieure de la révolution de juillet? Cette révolution consommée, existait-il encore un droit public européen, et cet événemeut n'avait-il pas détruit tous les systèmes qu'avaient enfantés quinze années d'imprévoyance et de servitude de la part des peuples, d'aveuglement et d'oppression de la part des rois? Enfin, le moment n'était-il point arrivé, pour l'Europe, de se créer un nouveau code politique, basé, non plus sur des traditions, mais bien sur les nécessités actuelles? L'histoire répondra; elle dira si le gouvernement représentatif est, oui ou non, une vaste organisation qui ne peut vivre que d'une vie générale, et si, en permettant l'avilissement de la liberté chez ses alliés naturels, le gouvernement de juillet n'a point annoncé sa dégradation et travaillé à sa propre ruine. Ma tâche, à moi, n'est point ici de rechercher ce qu'il fallait faire, mais de dire ce qu'on a fait.

Immédiatement après les journées de juillet, deux systèmes de politique extérieure se présentaient à l'adoption de la France, en attendant le développement d'un avenir gros de tant de hasards. Je dois

rechercher les motifs de ces deux systèmes, que les meilleurs patriotes considéraient comme propres, l'un et l'autre, mais par des voies différentes, à adapter la position de la France aux circonstances nouvelles dans lesquelles la révolution l'avait placée.

Un parti nombreux pensait avec raison qu'une monarchie, née dans trois jours de la souveraineté du peuple, ne pourrait point coexister long-temps avec les vieux dogmes de la légitimité, que la révolution venait de broyer en France. Ce parti croyait que le moment était décisif pour la gloire et la sécurité du pays, et que les intérêts comme les devoirs d'une monarchie, appuyée sur un acte destructif de l'esprit et de la lettre des traités de 1814 et 1815, étaient évidemment de laisser le mouvement révolutionnaire parcourir toute sa sphère nationale, balayer jusqu'au Rhin les ignominies de. ces traités, et de là provoquer à un changement complet du droit public européen, œuvre de violence, agglomération d'alliances contre nature et de charges sans compensation, qui certes ne pouvait obliger les peuples opprimés qu'aussi longtemps qu'ils manqueraient des moyens de s'en affranchir.

Quant à la foi due à ces traités, les partisans de la guerre répondaient, en morale politique, que c'était une horrible corruption du droit que d'en faire un instrument d'oppression et de ruine; en fait, ils citaient toutes les guerres que ceux-là

même qui invoquaient les traités, avaient entreprises pour échapper aux obligations qu'ils s'étaient imposées. Quel cas, disaient-ils, l'Autriche a-t-elle fait de tous les traités qu'elle a conclus avec la République, le Consulat et l'Empire? Comment l'Angleterre a-t-elle observé le traité d'Amiens, la Prusse celui de Presbourg et de Tilsitt, et la Russie ce même traité de Vienne qui avait doté l'héroïque Pologne d'un semblant de nationalité et de quelques siinulacres de liberté?

Les partisans de la guerre ne voyaient de conditions de stabilité et de durée pour la révolution de juillet, que dans un ensemble de perturbations analogues qui rompît tous les liens de patronage et d'infériorité établis par les traités de 1814 et de 1815; traités en vertu desquels la Prusse domine de Thionville à Memel, l'Autriche du lac de Constance aux portes de Belgrade, et du Tanaro aux frontières de la Turquie; et, ce qui est bien autrement alarmant pour la civilisation de l'Europe, en vertu desquels un empire semi-barbare s'est établi sur l'Oder, d'où il menace l'Elbe, la Veser et le Rhin.

Enfin, le parti de la guerre voulait que l'équilibre de l'Europe se rétablît, non par des déchiremens, mais par un retour équitable aux nationalités naturelles, et il ne croyait pas que la monarchie de juillet fût tenue de ratifier la spoliation de Landau, de Sarre-Louis, de Philippe-Ville, de Chambéry, d'Huningue, etc.; à ses yeux la France devait se faire aussi forte de ses de son alliances que

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propre poids; et ses alliés, à elle, il les voyait, non dans les grandes puissances, mais dans les états secondaires qu'elle avait pris sous son égide, depuis la guerre de la réformation : dans les Polonais, les Belges, les Suédois, les Danois, les membres indépendans de la famille allemande, les hommes libres de tous les pays. En résumé, ce parti, se rappelant avec orgueil que la France avait de tous temps uni sa cause à celle des nations faibles et opprimées, que, catholique, elle avait embrassé la défense du protestantisme, que monarchique absolue, elle avait combattu pour l'insurrection républicaine, demandait hautement qu'elle portât aujourd'hui ses doctrines populaires sur le Rhin,les Pyrénées, le versant des Alpes, et que là, se présentant comme appui ou comme arbitre, elle garantît aux peuples qui voulaient être libres, le droit de se faire tels, et à ceux, s'il s'en trouve, qui préfèrent le pouvoir absolu, la faculté de le conserver; car, à quelque nuance d'opinion qu'ils appartiennent, les véritables hommes de juillet ne prétendent pas plus au droit de contester le fanatisme de l'esclavage, qu'ils n'accordent celui d'attaquer l'enthousiasme la liberté.

Tel est le premier système de politique extérieure que les amis les plus ardens de la révolution de 1830 appelaient de leurs vœux. Eût-il obtenu les résultats qu'ils s'en promettaient? Je l'ignore; mais ce que je sais, c'est que le renversement du trône le plus antique de l'Europe, le retour inattendu de

l'Angleterre à une libéralité relativement excessive, la résurrection de la Belgique, les prodigieux combats de la Pologne, les convulsions de l'Italie, les mouvemens de la Suisse, les émotions de l'Allemagne, et jusqu'aux patriotiques réminiscences de l'Espagne, semblaient annoncer que l'heure de la complète réhabilitation de la France, et de l'affranchissement de l'Europe avait sonné : le reste appartenait à la Providence.

Cependant l'enthousiasme, même celui de la liberté, a ses vicissitudes, l'humanité a ses droits, la guerre ses hasards, la fortune ses retours; et de ces retours pouvaient dépendre, aux yeux d'un grand nombre d'excellens patriotes, le sort de la France et les prochaines destinées de l'Europe. La victoire était promise à la liberté naissante; mais enfin, la révolution pouvait être vaincue : et se figure-t-on ce que, alors, nous aurait rapporté, triomphante, cette légitimité qui, au penchant de sa ruine, nous déniait si insolemment un simulacre de liberté?

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Cette appréhension, jointe aux sentimens des maux et des sacrifices que devait nécessairement entraîner la plus juste des guerres, imposa à d'excellens citoyens le devoir de rechercher s'il n'existait pas une autre voie que celle des combats, pour consacrer la révolution de juillet, et garantir aux grandes individualités nationales, que cette révolution avait réveillées, la faculté d'agir librement sur elles-mêmes. Sans doute tout le monde sentait

que

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