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cette rédaction, c'est l'ordre d'idées dans lequel s'étaient déjà placés les deux ministres dirigeans. Quel usage MM. de Broglie et Guizot voulaient-ils donc faire des considérans introduits dans leur rédaction ? Dans quel intérêt avaient-ils stipulé l'abdication de Charles X et la renonciation du Dauphin, si ce n'est dans celui d'un tiers mineur? En effet, la nécessité de l'abdication et de la renonciation une fois reconnue, le duc de Bordeaux seul restait de droit roi de France. Or, il était rationnellement impossible de conclure de ces principes à la royauté de Louis-Philippe; et, pour ne pas être frappé de l'absurdité de cette combinaison, il fallait croire à l'existence d'une certaine protestation publiée dans les journaux anglais, à l'occasion de la naissance du duc de Bordeaux, reproduite quelques semaines après les événemens de juillet, et restée sans démenti de la part du duc d'Orléans à qui elle avait été attribuée. Dans tous les cas, il était au moins évident que les ministres doctrinaires voulaient, dès-lors, créer à Louis-Philippe une monarchie légitime; prétention qui explique suffisamment et la conduite de ce premier ministère, et celle du cabinet actuel, dont les principes sont exactement les mêmes.

Quoi qu'il en soit, en recevant des mains de M. Guizot la rédaction de M. de Broglie, M. Bérard déclara qu'elle exprimait des principes auxquels il ne pouvait servir d'organe, et annonça l'intention de les modifier. Cependant le temps pressait; il était neuf heures, et la Chambre devait s'assem

bler à midi, pour recevoir communication de sa proposition. C'est dans ce court intervalle de temps qu'il bâcla le pacte destiné à lier la France à la royauté des barricades. Rencontrant M. Guizot au pied de la tribune : « J'ai, lui dit-il, beaucoup changé à votre travail.» Tant pis, répondit l'homme de la doctrine, car on ne vous le pardonnera jamais. Pour qui réfléchit, ce mot renfermait tout le système qui se déroule aujourd'hui.

Je ne veux point excuser l'œuvre de M. Bérard; j'ai déjà dit que cet œuvre n'est qu'un assemblage informe des dispositions les plus incohérentes. Cependant, si, d'une part on réfléchit à la précipitation avec laquelle il a dû en arrêter la dernière rédaction; et si, de l'autre, on compare son premier travail avec la proposition descendue d'en haut et formulée par MM. Guizot et de Broglie; si, de plus, on fait entrer en ligne de compte les élémens dont se composait la Chambre, on concevra la difficulté de la position de cet honorable député, et peut-être attribuera-t-on aux circonstances plus qu'à ses convictions politiques les vices dont la Charte de 1830 a été maculée.

CHAPITRE IX.

Espérances vaines. Lafayette s'oppose à ce que le nouveau roi prenne le nom de Philippe V.

Intronisation de Louis-Philippe. Pourquoi Lafayette accepte le commandement général des gardes nationales. Ce qu'il fait pour cette institution. Revue du 29 août 1830. C'était alors à l'Europe à demander la paix; à la France à l'accorder.

Telle qu'on venait de l'improviser, ou, pour me servir du mot consacré, telle qu'on venait de la bâcler, la nouvelle Charte était assurément audessous des exigences de la victoire, au-dessous surtout des espérances qu'un si beau triomphe avait fait concevoir. Cependant la distance était déjà grande entre la nouvelle Constitution et la Charte octroyée; entre les formes républicaines qu'on respectait encore et les formes serviles de la cour, qui, quelques jours plus tôt pesait sur la France. Les amis les plus ardens de la révolution pouvaient encore rêver la justice, la liberté, la gloire, un trône protecteur des droits du peuple, un pacte indissoluble entre le gouvernement et la nation. Quant à moi, je le confesse, je les croyais réalisés les rêves de ma jeunesse; car, c'était au bruit des airs de la Parisienne et de la Marseillaise, exécutés sous le péristyle même de la Chambre,

que le lieutenant-général venait de paraître, pour la première fois, au sein de la représentation nationale; et moi, confiant dans la durée d'un avenir si long-temps attendu, je croyais pouvoir m'écrier, comme le vieillard Siméon: Nunc demittes.... Hélas!

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Il avait été décidé que le trône serait offert au duc d'Orléans; que le nouveau monarque prendrait le nom de Philippe V. C'était la première tentative de la contre-révolution, pour renouer cette chaîne des temps que les barricades avaient si brusquement interrompue. Lafayette s'opposa à cette dénomination, qu'il appela indigne d'une monar'chie républicaine, qui ne devait avoir rien de commun avec les prétentions et les oripeaux des anciens rois de France. La franchise l'emporta cette fois sur la courtisannerie doctrinaire, et le duc d'Orléans lui écrivit de sa main ces mots anglais : You have gained your point: il sera fait comme vous l'avez voulu.

Ce fut un beau spectacle que cette intronisation d'un roi sorti des mains du peuple, entrant dans le sanctuaire des lois, au bruit des chants populaires de 92, mariés aux inspirations patriotiques de 1830; attendant, sur un modeste tabouret, que les mandataires de la nation lui eussent permis de s'asseoir dans le fauteuil du trône. Qui l'oubliera jamais? Le peuple était encore là dans toute la dignité de sa puissance, et jamais les rapports de la créature au Créateur n'avaient été plus religieuse

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ment observés; des cris de vive le duc d'Orléans! et non pas de vive le roi! retentissant sur les bancs et dans les tribunes; le président de la Chambre (c'était M. Casimir Périer), lisant la nouvelle Charte au duc d'Orléans; le prince déclarant qu'il l'acceptait; l'intègre Dupont de l'Eure la lui présentant à signer et recevant son serment; un roi debout parlant au peuple assis, et ce roi, autorisé, enfin, à se placer sur le trône où, pour la première fois, il est salué du titre de monarque : tels sont les derniers hommages qui furent rendus à la souveraineté du peuple français.

Lorsque le lieutenant-général était arrivé à l'Hôtel-de-Ville, son premier soin avait été de prier instamment Lafayette de conserver les fonctions de commandant-général des gardes nationales du royaume. Le prince réitéra cette demande en montant sur le trône, ajoutant que c'était le moyen le plus efficace, le seul, peut-être, de consolider son ouvrage. Lafayette, croyant qu'en effet les circonstances exigeaient que ce commandement restât encore dans ses mains, consentit à le garder provisoirement, quoique, comme je l'ai déjà dit, il l'eût refusé quarante ans auparavant, comme donnant à un seul homme un pouvoir exorbitant et dangereux.

Voici l'ordre du jour qu'il publia à cette occasion.

« Au milieu des pouvoirs improvisés par les né«< cessités de notre situation, la réorganisation des

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