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cette multitude il s'éleva plusieurs voix qui lui offrirent la place vacante, et qu'il repoussa par un sarcasme assez dédaigneux et qui acheva de lui rendre toute sa popularité.

Aussitôt que ce fatal départ, signal trop prévu de guerre civile et étrangère, lui fut connu, Lafayette, sans attendre la réunion de l'assemblée, et après avoir consulté son président et le maire, prit sur lui seul la responsabilité de signer et d'envoyer sur toutes les routes l'ordre d'arrêter ce qu'il appelait l'enlèvement du roi. Heureusement pour lui, d'après les horribles attentats qui eurent lieu depuis, ce ne furent pas ses ordres, nécessairement tardifs, mais bien le malheur d'être reconnu par un maître de poste, qui occasiona l'arrestation de Varennes. La famille royale, en recevant par l'aide-de-camp de Lafayette, le décret de l'Assemblée, parut surprise qu'il commandât encore à Paris; et, en effet, observe Bouillé dans ses Mémoires, la fuite du roi devait le faire massacrer par le peuple. Il est assez remarquable le fameux Danton, qui avait naguère reçu 100,000 francs de la cour, fut le seul qui, le même soir, au club des Jacobins, demanda la tête de Lafayette, quoiqu'il sût fort bien que celui-ci

que

connaissait son secret.

Lorsque le roi et sa famille furent ramenés à Paris, où jusqu'alors ils n'avaient été que surveillés mais non prisonniers, un décret de l'Assemblée les consigna, sous les ordres du commandant

général, à des gardes personnellement responsables, et d'autant moins confians qu'ils venaient d'être trompés. Lafayette redoubla de zèle pour garantir la sûreté de la famille royale; mais les honneurs souverains ne furent rendus au monarque qu'après qu'il eut de nouveau reconnu et accepté son titre de roi constitutionnel. Pendant ce temps, Bouillé ayant, dans sa lettre de Luxembourg, dit qu'il avait vu un parti qui voulait la république et que Lafayette en était, celui-ci renouvela dans l'Assemblée l'expression de sa fidélité à la constitution qu'elle avait établie. En effet, tandis que deux factions l'accusaient d'avoir connivé à la fuite du roi, pour fonder la république, disaient les uns, pour servir la cour, disaient les autres, calomnies absurdes et contradictoires, lui, n'employa sa popularité et son pouvoir qu'à assurer l'indépendance des délibérations et l'obéissance aux décrets de l'Assemblée.

Celui du 16 juillet 1791 ayant prouvé la détermination presque unanime de rétablir le roi, les mécontens se réunirent au Champ-de-Mars dans la matinée du 17, pour signer une protestation contre cette mesure. Ils commencèrent par égorger deux invalides, et portèrent leurs têtes sur des piques. Lafayette y accourut promptement et fit abattre les barrières déjà élevées. Un homme, dont l'arme ne fit pas feu, tenta de lui tirer un coup de fusil à bout portant; l'assassin, que Lafayette fit relâcher, se vanta depuis de ce crime à

la barre même de la Convention. D'après la promesse qui leur fut faite que les attroupemens se sépareraient, les officiers municipaux patientèrent jusqu'au soir; mais comme l'effervescence augmentait, qu'on annonçait des projets hostiles à l'Assemblée nationale, et que ce corps ordonna à la municipalité de rétablir la sûreté publique, celleci déploya le drapeau de la loi martiale, et le transporta sur les lieux, ayant à sa tête le maire escorté par un détachement sous les ordres de Lafayette. La municipalité fut assaillie de pierres, et eut même à essuyer quelques coups de feu. La garde nationale riposta, mais en l'air; l'audace des perturbateurs s'en accrut; alors la garde fit feu. Une douzaine d'hommes, suivant le rapport de Bailly, furent tués, autant furent blessés; on a dit que ce nombre était plus considérable; il fut même alors ridiculement exagéré. Quoi qu'il en soit, quelques instans suffirent pour dissiper ce rassemblement, renouvelé avec plus de succès au 10 août et au 31 mai. La municipalité et la garde nationale qui, dans cette malheureuse journée, perdit aussi quelques hommes, reçurent les remercîmens unanimes de l'Assemblée. Il y aurait eu plus de sang répandu si, au moment où on allait mettre le feu à un canon, Lafayette, entraîné par un périlleux dévouement, ne s'était jeté au-devant de la pièce, dont le canonnier effrayé n'eut que le temps de retirer son bras.

Pendant la dernière rédaction de l'acte constitu

tionnel, Lafayette combattit le projet qui interdisait pour trente ans à la nation le droit de modifier la constitution; lorsqu'elle fut achevée, il fit décréter l'abolition immédiate des procédures relatives à la révolution, de l'usage des passeports et de toute restriction à la liberté de voyager dans l'intérieur et hors de la France.

Le 8 octobre, il prit congé de la garde nationale, par une lettre affectueuse, dans laquelle il lui retrace ses principes de liberté et d'ordre public. Voici le texte de ce document remarquable.

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" Messieurs,

« Au moment où l'Assemblée nationale consti<< tuante vient de déposer ses pouvoirs, où les << fonctions de ses membres ont cessé, j'atteins également le terme des engagemens que je con<«< tractai, lorsque placé par le vœu du peuple à la << tête des citoyens qui, les premiers, se dévoué« rent à la conquête et au maintien de la liberté, je promis à la capitale, qui en donnait l'heureux « signal, d'y tenir élevé l'étendard sacré de la « révolution, que la confiance publique m'avait

"

« remis.

« Aujourd'hui, messieurs, la constitution a été <«< terminée par ceux qui avaient droit de la faire; « et après avoir été jurée par tous les citoyens, par << toutes les sections de l'empire, elle vient d'être légalement adoptée par le peuple tout entier, et « solennellement reconnue par la première assem

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«< blée législative de ses représentans, comme elle << l'avait été, avec autant de réflexion que de loyauté, par le représentant héréditaire qu'elle a chargé de l'exécution des lois. Ainsi les jours de « la révolution font place à ceux d'une organisa«< tion régulière, à ceux de la liberté, de la prospérité qu'elle garantit. Ainsi, lorsque tout con« court à la pacification des troubles intérieurs, «<les menaces des ennemis de la patrie devront, à « la vue du bonheur public, leur paraître à eux« mêmes d'autant plus insensées, que, quelque << combinaison qu'on parvînt jamais à former contre <«<les droits du peuple, il n'est aucune ame libre « qui pût concevoir la lâche pensée de transiger <«< sur aucun de ses droits, et que la liberté et l'égalité une fois établies dans les deux hémisphères, ne rétrograderont pas.

་་

་་

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« Vous servir jusqu'à ce jour, messieurs, fut le « devoir que m'imposèrent et les sentimens qui <<< ont animé ma vie entière, et le juste retour de dévouement qu'exigeait votre confiance. Remet<«<tre actuellement, sans réserve, à ma patrie tout <«< ce qu'elle m'avait donné de force et d'influence « pour la défendre pendant les convulsions qui « l'ont agitée, voilà ce que je dois à mes résolutions connues, et qui satisfait au seul genre « d'ambition dont je sois possédé.

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Après cet exposé de ma conduite et de mes « motifs, je ferai, messieurs, quelques réflexions « sur la situation nouvelle où nous place l'ordre

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