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CHAPITRE VIII.

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Une nouvelle irritation se manifeste à Paris. Ouverture de la session de 1830. — Lafayette sauve la Chambre. - Son influence morale inspire des ombrages au nouveau pouvoir. Il se prononce contre l'hérédité de la pairie. Historique de la Charte-Bérard. On veut que la vacance du trône ait pour principe l'abdication de Charles X et du Dauphin. Document secret et détails curieux à cet égard.

Pendant l'expédition de Rambouillet, une nouvelle irritation se manifestait à Paris. La Charte, modifiée par M. Bérard, était connue. Ce projet informe d'une constitution renouvelée du système qui venait de périr, était loin de justifier les espérances de la révolution, puisqu'elle consacrait les principaux abus de ce système, et qu'elle répudiait toute idée de sanction nationale. Il était question, en outre, de voter l'hérédité de la pairie. Une indignation générale éclata parmi les hommes de juillet; on cria même à la trahison! C'était le 3 août, jour indiqué par le gouvernement de Charles X pour la réunion des Chambres. Les députés attachaient un grand prix à ce que la session révolutionnaire s'ouvrît ce jour-là; elle s'ouvrit, en effet, et deux séances eurent lieu dans la même journée. Celle du soir commençait à peine lors

qu'une foule tumultueuse se présenta aux portes de la Chambre, avec l'intention manifeste de la dissoudre par la force; l'exaspération des jeunes gens renaissait plus vive que jamais; les membres qui entraient dans la salle des séances entendaient éclater sur leur passage des récriminations trèsmenaçantes; enfin le tumulte était à son comble, lorsque Lafayette arriva par la grande cour située à l'extrémité opposée au lieu de la scène. Trouvant la Chambre dans une grande agitation et se préparant à résister avec courage à cette violation de sa liberté, il demanda où était l'émeute, et se présentant aussitôt à cette foule qui faisait retentir l'air de ses plaintes et de ses cris : « Mes amis, dit-il <«< aux mécontens, il était de mon devoir de prendre << des mesures pour défendre la Chambre des députés contre toute attaque dirigée contre son indépendance; je ne l'ai point fait, et j'ai eu tort. « Mais je n'avais point prévu, après tout ce qui « s'est passé pendant la révolution, la violence qu'on exerce aujourd'hui. Je n'ai aucune force à << vous opposer; mais si la liberté de la Chambre « est violée, le déshonneur en retombera sur moi qui suis chargé du maintien de l'ordre public. << Je mets donc mon honneur en vos mains, et je «< compte assez sur votre amitié pour être sûr que « vous vous retirerez paisiblement. » A ces mots, la tempête se calma, et chacun s'écria : « Eh bien! oui, retirons-nous; vive Lafayette!» et la Chambre fut rendue à l'indépendance de ses délibérations.

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Cependant ce ne fut point impunément que la voix de Lafayette put seule, dans ce moment de crise, ce que toutes les autres influences réunies auraient tenté en vain. Cette puissance de popularité individuelle, qui lui valut alors tant d'éloges de haut et bas étage, devint le germe des ombrages et de la ridicule jalousie qui éclatèrent aussitôt que furent passés les dangers dont le procès des ministres menaçait le nouvel ordre de choses.

Avant la discussion publique de la nouvelle Charte, quelques députés avaient été appelés au PalaisRoyal pour entendre la lecture de sa rédaction, à laquelle Lafayette n'avait point concouru. MM. Georges Lafayette, Victor de Tracy, Lafayette lui-même étaient présens. Cette lecture fut rapide, et pour prévenir les commentaires, on eut grand soin de prétexter que la Chambre attendait. Cependant Lafayette fut frappé de l'ambiguité et de l'insuffisance de l'article relatif à l'abolition de la pairie, si vive-. ment réclamée par l'Hôtel-de-Ville. Cette rédaction fut changée à la Chambre même, sur les instances de quelques députés, et à la suite des paroles sévères que Lafayette fit entendre à la tribune.

« Messieurs, dit-il, lorsque je viens énoncer une opinion contestée par beaucoup d'amis de la li« berté, on ne me soupçonnera pas d'être entraîné « par un sentiment d'effervescence, ou de courtiser « une popularité que je ne préférai jamais à mes <«<devoirs. Les sentimens républicains que j'ai ma

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«nifestés dans tous les temps et devant tous les pouvoirs ne m'ont pas empêché d'être le défen«seur d'un trône constitutionnel. C'est ainsi, mes«sieurs, que dans la crise actuelle il nous a paru << convenable d'élever un autre trône national, et je dois dire que mon vœu pour le prince dont le <«< choix vous occupe s'est fortifié lorsque je l'ai << connu davantage; mais je différerai d'avec beau« coup de vous sur la question de la pairie hérédi«< taire. Disciple de l'école américaine, j'ai toujours pensé que le Corps législatif devait être divisé en << deux Chambres, avec des différences dans leur organisation. Cependant je n'ai jamais compris « qu'on pût avoir des législateurs et des juges hé« réditaires. L'aristocratie, messieurs, est un mau« vais ingrédient dans les institutions politiques; « j'exprime donc aussi fortement que je le puis «< mon vœu pour l'abolition de la pairie héréditaire, « et, en même temps, je prie mes collègues de ne « pas oublier que si j'ai toujours été l'homme de la « liberté, je n'ai jamais cessé d'être l'homme de « l'ordre public. »

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Ces paroles furent l'arrêt de mort de la pairie. C'est ici le cas de parler de cette Charte-Bérard, sur l'origine de laquelle on s'est livré à tant de conjectures. Je suis d'autant plus à même d'en faire l'histoire, que, lié avec son auteur par d'anciens rapports de collaboration au Journal du Commerce, j'ai pu, pendant les journées mémorables, enrichir mon portefeuille des notes qu'il avait déposées dans

le sien, et connaître en détail toutes les circonstances de sa conduite.

C'est à tort qu'on a accusé M. Bérard d'avoir, dans cette conjoncture, accepté un rôle tout fait. La première pensée de l'importante mesure qu'il proposa plus tard lui appartient toute entière, et voici la série exacte des vicissitudes que sa Charte a traversées avant d'être déclarée loi de l'État.

Le mercredi, 8 août, à dix heures du soir, M. Bérard, discutant, chez M. Laffitte, avec MM. Étienne et Cauchois-Lemaire, sur le danger de laisser plus long-temps une porte ouverte aux ambitions qui s'agitaient, conçut et exprima la pensée d'y mettre un terme, en proposant à la Chambre la déchéance de Charles X et la proclamation du duc d'Orléans, à des conditions si rigoureuses et si précises qu'il fût impossible à ce prince de les enfreindre. Ce projet reçut l'approbation du petit nombre de patriotes auquel il venait d'être communiqué, et M. Bérard rentra chez lui pour rédiger le projet de proposition qu'on va lire.

« Un pacte solennel unissait le peuple français à << son monarque; ce pacte vient d'être brisé. Les « droits auxquels il avait donné naissance ont cessé « d'exister. Le violateur du contrat ne peut à au«< cun titre en réclamer l'exécution.

<< Charles X et son fils prétendent en vain trans« mettre un pouvoir qu'ils ne possèdent plus; ce pouvoir s'est éteint dans le sang de plusieurs mil«liers de victimes.

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