Page images
PDF
EPUB

ma tâche d'historien ne me fasse point un devoir de dépouiller les sentimens que de tels souvenirs réveillent dans mon ame. Je ne rapporterai point les paroles qu'il opposa à la noble résistance de ses collègues ; je me bornerai à résumer son opinion: il pensait que la Chambre était légalement dissoute; que les ordonnances n'étaient que l'exercice d'un droit consacré par la Charte, et que, depuis la publication du Moniteur du jour, il n'y avait réellement plus de députés ; supposant que le droit invoqué par Charles X fût susceptible de contestation, ee qu'il n'admettait point, il demandait où était le juge entre le pouvoir et le peuple dans tout état de choses, il déclarait que la Chambre devait s'abstenir de prendre l'initiative sur les événemens; que pousser à l'insurrection serait de sa part un acte de délire; qu'il était impossible que le roi ne se déterminât pas au retrait des ordonnances, et que c'était dans ce sens qu'il fallait rédiger la déclaration, si on persistait dans ce projet auquel, du reste, il ne donnait point son assentiment. Quant à la confiance qu'on paraissait avoir dans la puissance de l'opinion publique, lui, M. Périer, ne la partageait point. Accoutumée à s'exprimer légalement, cette opinion, disait-il, ne voudrait plus s'armer de la force brutale, et si elle l'osait, elle serait vaincue, anéantie: témoin le résultat des événemens de 1820, 1821 et 1827; témoins, enfin, toutes conspirations essayées et avortées depuis quinze ans. En somme, M. Périer pensait qu'il était de la sagesse et du

pa

triotisme des députés d'attendre les événemens, et de prendre les faits accomplis pour règle de leur conduite.

Pendant ces débats, et sur la proposition de M. de Laborde, trois députés présens s'étaient rendus à la réunion des journalistes, qui s'était accrue d'un grand nombre d'électeurs de Paris. Ces dépu tés, qui étaient MM. de Laborde, Villemain et de Schonen, avaient trouvé tous ces honorables citoyens animés du plus ardent patriotisme, et plus déterminés que jamais à opposer une vive résistance aux envahissemens du pouvoir. M. de Laborde, encore sous l'empire des impressions qu'il venait de recevoir, dit vivement à ses collègues qu'une plus longue hésitation de leur part serait fatale à la liberté, que la victoire du peuple dépendait du concours des députés avec les citoyens qui s'étaient dévoués les premiers, et qu'il fallait se rendre sur-le-champ à la réunion des journalistes. Cette opinion fut combattue par M. Périer, qui reproduisit ses premiers argumens contre toute démarche qui tendrait à un but autre que celui de ramener Charles X dans de meilleures voies. Cependant, désespérant de faire adopter cette opinion à ses collègues, il eut recours à un moyen préjudiciel qui lui réussit : il fit observer qu'il y aurait de la légèreté et de l'inconvenance à prendre une détermination de cette nature, sans consulter les autres députés présens à Paris, et il prit l'engagement de les convoquer chez lui pour le lendemain de

1

très-bonne heure. Des lettres de convocation furent, en effet, adressées par M. Périer à plusieurs membres de la Chambre. Mais, sans doute, d'après l'irritation toujours croissante de la population, et les dispositions hostiles qu'elle prit pendant la nuit et le lendemain matin, M. Périer se hâta d'engager les députés qu'il avait convoqués à ne point se rendre à son invitation de la veille.

Telle fut, pendant la journée du 26 juillet, l'attitude des députés présens à Paris.

La journée du 27 ne commença pas sous de plus heureux auspices. Des députés, en très-petit nombre, réunis de nouveau chez M. de Laborde, se donnèrent rendez-vous chez M. Périer, à deux heures après midi.Cechoix parut inspirer quelques inquiétudes visibles; mais telle était l'imminence des dangers qui menaçaient les libertés du pays, qu'on la crut assez puissante pour retremper le patriotisme de M. Périer, tant soit peu altéré depuis deux ans. On savait bien que la vivacité du libéralisme de ce député s'était émoussée au contact de la gracieusité royale, mais on espérait que le tribun renaîtrait à la vue des dangers de la patrie, et que le rhume de Démosthènes ne résisterait pas au soleil de juillet.

Cet assemblée fut précédée par une scène de carnage. Un grand nombre de jeunes gens, attirés dans la rue Neuve du Luxembourg, par le bruit de la réunion des députés, y fut cerné et sabré Far deux détachemens de cavalerie. C'est en vain qu'obligés de chercher un refuge dans les maisons voisines,

ils frappèrent à l'hôtel de M. Périer : la prudence en tenait les portes fermées pour quiconque n'avait point un nom de député à décliner. Plusieurs de ces jeunes patriotes, grièvement blessés, furent transportés au poste du ministère des affaires étrangères.

Cependant que se passait-il dans l'intérieur de l'hôtel de M. Périer? Les députés réunis, cette fois en assez grand nombre, sous la présidence de M. Labey de Pompières, s'étaient, dès l'ouverture de la séance, divisés en deux camps opposés : l'un défendait la constitutionnalité de la dissolution de la Chambre, le maintien de la puissance royale de Charles X, la nécessité de ne point sortir des limites de la légalité, et de se borner à provoquer le retrait des ordonnances, par de respectueuses remóntrances appuyées sur la manifestation de l'opinion publique. L'autre camp soutenait que la qualité de député n'avait point été détruite par l'ordonnance de dissolution; que, du reste, Charles X,

en

violant la Charte par toutes et chacune des ordonnances, s'était dépouillé du droit même de dissoudre la Chambre, et que les députés restaient, par ce fait, investis de toute la plénitude du mandat électoral; qu'il était absurde d'invoquer la légalité en faveur d'un pouvoir qui venait d'en briser tous les liens, et que, lorsqu'il s'agissait de la liberté ou de l'esclavage de la France, du gouvernement représentatif ou de la tyrannie d'un seul, le salut de la chose publique ne résidait plus que

dans le succès d'une résistance ouverte à l'oppres

sion.

La première de ces deux opinions avait pour champion M. Dupin; la seconde était énergiquement soutenue par M. Mauguin. MM. de Laborde, de Puyraveau, Bérard, Labey de Pompières, Persil, Milleret, Bertin de Vaux et Villemain, se prononcèrent dans le sens de M. Mauguin; les deux derniers soutenant toutefois qu'il fallait séparer Charles X de ses ministres, et ne les point confondre dans une commune réprobation. MM. Sébastiani et Casimir Périer s'étaient rangés sous la bannière de M. Dupin. Cependant il est juste de dire que M. Périer ne se prononça d'abord que par des signés muets auxquels il était facile de reconnaître l'incertitude qui le tourmentait.

Ces débats s'animaient de part et d'autre, lorsqu'un incident imprévu vint interrompre la discussion et lui donner une physionomie nouvelle. Une députation des électeurs de la ville de Paris demande à être introduite. M. Périer voit déjà le glaive des Bourbons et le poignard populaire suspendus sur les têtes parlementaires. « Remarquez dans quelle position on nous place! s'écrie-t-il. Si nous rece«vons la députation, on le saura aux Tuileries, on << s'en irritera peut-être, et qui sait les mesures « qu'on arrêtera contre nous? Si la députation n'est « pas reçue, elle se plaindra, elle pourra se répandre au milieu du peuple, et dans l'état « d'exaspération où sont les têtes, qui peut répon

[ocr errors]
[ocr errors]
« PreviousContinue »