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par une lettre de M. de Saint-Priest, que Lafayette allait être appelé par les patriotes bataves, si la lâcheté du ministère français n'avait précipité leur ruine. L'indignation que Lafayette témoigna dans cette circonstance fut la même que celle qu'il a récemment manifestée à la tribune, lorsque le gouvernement actuel s'est conduit envers l'invasion autrichienne de l'Italie, comme celui de l'archevêque de Sens l'avait fait à l'égard de l'invasion prussienne en Hollande. Ce dévouement ne fut point oublié par les Hollandais qui, pendant la longue et cruelle proscription de Lafayette, ne cessèrent de lui témoigner l'affection et la gratitude les plus vives.

En 1787, il fit partie de l'Assemblée des Notables; il y dénonça plusieurs abus, proposa la suppression des lettres de cachet et des prisons d'état, obtint un arrêté favorable à l'état civil des protestans, et fit, seul, la demande formelle de la convocation d'une Assemblée nationale. « Quoi! lui dit le comte d'Artois, vous faites la motion des ÉtatsGénéraux?» — « Oui, répondit-il, et même mieux que cela. »

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Lafayette fut membre de l'assemblée provinciale d'Auvergne ; il fut le premier, comme propriétaire en Bretagne, à signer les protestations de cette province contre des actes arbitraires. A la seconde assemblée des notables, il insista vivement pour obtenir la double représentation des communes.

Député aux États-Généraux, Lafayette appuya

la motion de Mirabeau demandant l'éloignement des troupes, et en obtint l'adoption immédiate. Le 11 juillet, au milieu de l'assemblée, alors entourée de troupes et fortement menacée, il proposa sa fameuse déclaration des droits; la voici :

« La nature a fait les hommes libres et égaux; « les distinctions nécessaires à l'ordre social ne sont « fondées que sur l'utilité générale.

« Tout homme naît avec des droits inaliénables « et imprescriptibles; tels sont la liberté de toutes «ses opinions, le soin de son honneur et de sa vie, « le droit de propriété, la disposition entière de sa « personne, de son industrie, de toutes ses facul«tés, la communication de toutes ses pensées par << tous les moyens possibles, la recherche du bien« être et la résistance à l'oppression.

« L'exercice des droits naturels n'a de bornes que « celles qui en assurent la jouissance aux autres « membres de la société.

<< Nul homme ne peut être soumis qu'à des lois «< consenties par lui ou ses représentans, anté«rieurement promulguées et légalement appliquées.

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« Le principe de toute souveraineté réside dans « la nation. Nul corps, nul individu ne peut avoir << une autorité qui n'en émane expressément.

<< Tout gouvernement a pour but unique le bien « commun. Cet intérêt exige que les pouvoirs légis« latif, exécutif et judiciaire, soient distincts et dé«< finis, et que leur organisation assure la repré

<< sentation libre des citoyens, la responsabilité des « agens, et l'impartialité des juges.

« Les lois doivent être claires, précises, unifor«< mes pour tous les citoyens.

« Les subsides doivent être librement consentis << et proportionnellement répartis.

« Et comme l'introduction des abus et le droit « des générations qui se succèdent nécessitent la ré« vision de tout établissement humain, il doit être possible à la nation d'avoir, dans certains cas, << une convocation extraordinaire de députés, dont « le seul objet soit d'examiner et corriger, s'il est « nécessaire, les vices de la constitution. >>

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Cette déclaration, la première de toutes en Europe, et la plus simple, servit de base à celle de l'Assemblée constituante. A la même époque, cette assemblée s'étant déclarée en permanence, créa un vice-président et nomma Lafayette. Il la présida en cette qualité pendant les nuits du 13 et du 14 juillet, et fit décréter la responsabilité des conseillers de la couronne. Envoyé, le 15, à Paris, comme chef d'une députation de soixante membres, il y fut proclamé commandant général de la garde bourgeoise: le lendemain, il fit publier l'ordre de détruire la Bastille. Le 17, il reçut le roi à la tête de près de deux cent mille hommes diversement armés (1).

(1) Lafayette, dit Toulongeon, en parlant de cette époque, Lafayette dont le nom et la réputation acquise en Amérique, étaient liés à la liberté même, Lafayette était à la tête de la garde nationale parisienne; il avait à la fois

TOME I.

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Après avoir arraché un grand nombre de victimes à la fureur populaire, mais désespéré de n'avoir pu sauver Foulon et Berthier, il donna sa démission. Les instances des citoyens, et surtout des électeurs et du vertueux Bailly, lui rendirent l'espoir d'arrêter les violences; il se dévoua de nouveau. Les soixante districts de Paris confirmèrent à l'unanimité sa nomination de commandant général, et s'engagèrent, par des arrêtés spéciaux, à le seconder dans ses efforts pour la défense de la liberté et de l'ordre public.

Bientôt après, Lafayette proposa, à l'Hôtel-deVille, l'institution régulière de la force armée sous le nom de garde nationale. L'antique couleur blanche fut unie aux couleurs de la ville, bleu et rouge. Messieurs, dit-il, je vous apporte une cocarde qui fera le tour du monde, et une institution à « la fois civique et militaire, qui changera le sys<«<tème de la tactique européenne et réduira les << gouvernemens absoļus à l'alternative d'être battus

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la confiance entière et l'estime publique dues à de grandes qualités celle de rallier les esprits, ou plutôt les cœurs, lui était naturelle; un extérieur jeune et rassurant qui plait à la multitude; des manières simples, populaires et attirantes. Il avait tout pour commencer et terminer une révolution les qualités brillantes de l'activité militaire, et l'assurance tranquille du courage dans les émotions publiques. Lafayette eut suffi à tout, si tout se fut passé en action, si tout se fut fait au grand jour; mais les routes ténébreuses de l'intrigue lui étaient inconnues.

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s'ils ne

pas,

l'imitent et renversés s'ils osent l'i«miter. » La garde nationale de tout l'empire s'organisa à l'instar de celle de Paris, et sous l'influence de son chef qui, cependant, refusa les commandemens spéciaux que des députations et des adresses lui offraient de toutes parts.

On voit dans les Ménoires de Bailly que, dès le commencement de septembre 1789, Lafayette obtint, non sans difficulté et par son influence personnelle, l'envoi d'une députation de la commune à l'assemblée nationale, pour demander quelques innovations immédiates dans la jurisprudence criminelle, telles que la procédure rendue publique, la communication des pièces, des défenseurs accordés aux accusés, la libre communication des prévenus avec leurs familles et leurs amis, la confrontation des témoins réformes si nécessaires, et dont profitèrent les trois seuls procès politiques qui eurent lieu dans ces premières années. M. de Sèze, avocat du baron de Bezenval, en fit un magnifique éloge, qu'on retrouve encore dans les mémoires et journaux du temps.

Cependant, tandis qu'à Paris les magistrats du peuple et la garde nationale s'épuisaient en efforts pour maintenir l'ordre public, on conspirait de nouveau à Versailles. Le signal fut donné dans le fameux repas des gardes-du-corps; on y foula aux pieds la cocarde tricolore; les dames y distribuèrent des cocardes blanches; on y cria à bas la nation! Le 5 octobre, ces provocations, la disette.

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