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DOCTRINE

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CONSULTATIONS

VOIRIE. TRAVAUX DE VIABILITÉ. DOMMAGES CAUSÉS PAR L'EXÉCUTION RECTIFICATION D'UNE ROUTE. SUPPRESSION

D'UN TRAVAIL PUBLIC.

DU JOUR D'UN LAVOIR.

(MEUSE.)

INDEMNITÉ.

· Un de nos abonnés nous pose la question suivante:

« J'ai, attenant à ma maison d'habitation, un jardin clos de murs de deux mètres de hauteur. Ce jardin est traversé par un petit ruisseau qui déverse ses eaux sur la voie publique, après avoir passé sous une petite voûte pratiquée au bas du mur d'enceinte dudit jardin.

« Cette petite voûte sert également à donner jour à un lavoir couvert établi sur ma propriété, tout contre le mur d'enceinte, et à cheval sur le ruisseau.

<<< Le service vicinal construit actuellement, pour le compte de la commune, un chemin longeant ma propriété; ce chemin doit franchir le ruisseau dont il est question au moyen d'un ponceau que l'administration a projeté d'établir tout contre le mur de mon jardin, ce qui entraînera pour moi la perte du jour de mon lavor, puisque la voûte, qui sert de jour en même temps que de passage aux eaux, sera masquée par le ponceau.

<< Dans ces circonstances, l'administration a-t-elle le droit de supprimer le jour de mon lavoir en construisant son ponceau ? Ai-je le droit de demander une certaine distance entre ma propriété et le ponceau en question? Enfin, quelle serait la marche à suivre pour conserver mes droits dans cette affaire? »

R. - Vous pouvez par lettres adressées au préfet et au maire demander que ce ponceau ne soit pas construit tout contre votre mur, de façon à ce que le jour qui vous est nécessaire ne vous soit pas enlevé. Vous pouvez également protester sur le procès-verbal d'enquête en indiquant que la modification du tracé que vous proposez serait, sinon avantageuse, du moins non onéreuse pour la commune. Mais une fois que le tracé sera définitivement approuvé après l'enquête, vous ne pourrez vous opposer à l'établissement du ponceau en question.

AOUT 1887.

28

En tous cas, si le ponceau est établi dans les conditions du projet que vous indiquez, une indemnité vous est due. Elle ne sera pas fixée par le petit jury d'expropriation, puisque la loi sur l'expropriation n'est jamais applicable à la suppression des servitudes actives ne portant pas sur des immeubles expropriés, comme la suppression des droits de jour, d'issue, et de passage sur la voie publique par suite de la rectification d'une route. Cette suppression ne donne droit qu'à une indemnité pour dommages permanents résultant de l'exécution de travaux publics, pour le règlement de laquelle l'autorité administrative et les tribunaux administratifs sont seuls compétents (Trib. des Conflits, 11 décembre 1850, L. p. 944; Cass. Req., 17 janvier 1868, S. 68. I. 213; adde, Daffry de la Monnoye, I, p. 277).

En l'état des faits que vous exposez, une indemnité doit, en principe, vous être allouée, le dommage étant direct et matériel (Aucoc, II, p. 454). Si donc vous estimez que le préjudice qui vous est causé est sérieux, vous aurez, au moment des travaux, à saisir le Conseil de préfecture d'une demande tendant à obtenir une indemnité, et votre demande aura d'autant plus de chances d'être accueillie que vous justifierez avoir fait tous vos efforts pour décider l'administration à modifier le tracé projeté.

CHASSE.

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CLOTURE.
TERRAIN CLOS ATTENANT A UNE HABITATION.
QUELLES CONDITIONS DOIVENT REMPLIR LA CLOTURE ET L'HABITATION, ET
QUELS DROITS CONFÈRE AU POINT DE VUE DE LA CHASSE, UN TERRAIN
CLOS ATTENANT A UNE HABITATION?

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(SEINE-INFÉRIEURE). Un de nos abonnés nous a posé en matière de chasse la demande de consultation suivante qui, malgré son caractère général, présente pour les entrepreneurs et constructeurs un intérêt spécial, puisqu'elle soulève la question de savoir dans quel cas une clôture est réputée suffisante au point de vue de la loi du 3 mai 1841 C'est à ce titre que nous croyons devoir la publier.

Propriétaire de plusieurs hectares de terrain, je les ai fait clore au moyen d'un treillage de chemin de fer de 1 m. 20 de hauteur. Dans cet enclos j'ai fait construire un pavillon composé de deux pièces, dont une chambre dans laquelle est un lit et le mobilier nécessaire à une chambre - Je désire savoir si j'ai le droit de chasser en tout temps et en toute saison dans cette propriété, et si les amis que j'invite doivent être munis d'un permis de chasse. >>

R.

I. La solution de la question que vous nous soumettez se

trouve dans l'article 2 de la loi du 3 mai 1844, qui est ainsi conçu: « Le propriétaire ou possesseur peut chasser en tout temps, sans < permis de chasse, dans ses possessions attenantes à une habitation, et << entourées d'une clôture continue faisant obstacle à toute communication « avec les héritages voisins.

Mais l'interprétation de cet article a soulevé des controverses nombreuses que nous allons successivement examiner.

II. Et d'abord que faut-il entendre par habitation?

Sur ce premier point, les cours d'appel, d'un côté, et la cour de cassation, de l'autre, sont en divergence d'opinion.

La cour de Rennes a en effet décidé dans un arrêt du 11 août 1863 (Blaise), S. 63. 2. 323, qu'une maison simplement habitée par un garde et sa famille ne constituait pas une habitation au sens de l'article 2. de la loi du 3 mai 1844; que, pour satisfaire au vœu de la loi, l'habitation doit être celle du propriétaire ou possesseur.

<< Considérant, dit l'arrêt, que la tolérance accordée par l'article 2 de la loi du 3 mai 1844, au propriétaire ou possesseur de chasser, en tout temps, dans son domaine entouré d'une clôture continue et attenant à une habitation, est un privilège exorbitant du droit commun, qui, comme toutes les exceptions, est de droit étroit et doit se renfermer dans les limites tracées autour d'elles par la loi qui les a créées; considérant qu'il résulte, tant de l'exposé des motifs que des opinions des rapporteurs, rapprochées, pour l'éclairer, du texte de la loi, que ce privilège est né de l'impossibilité de constater un délit de chasse sans violer le domicile du propriétaire ou possesseur; que c'est moins le délit qu'on a voulu rouvrir, que l'intégrité absolue du domicile qu'on a pris soin d'assurer contre les investigations de la police de la chasse, et que c'est la principale raison d'être de ce sacrifice fait d'un principe d'égalité devant la loi à ce double intérêt d'une habitation effective dans un domaine clos;-considérant qu'il faut pour caractériser cette exception de la loi, que le domaine soit tellement attaché à l'habitation qu'il ne fasse qu'un avec elle, et qu'il constitue de telle sorte le domicile du maître, que, sans le violer, nul n'y puisse pénétrer du dehors, qu'il faut par conséquent que le propriétaire ou possesseur ait son habitation propre dans la possession close, conditions corrélatives qu'on ne peut séparer et qui doivent être réunies dans la même main;-considérant que dans l'espèce, on ne rencontre point ces caractères essentiels en faveur du privilège invoqué; que l'île du Grand-Banc appartient, pour la propriété d'une part, pour la jouissance de l'autre, à deux individus différents qui n'y ont ni leur habitation, ni leur domicile; qu'elle est composée de prairies dont ne jouit à aucun titre l'habitant de la seule maison qui s'y trouve et qui n'est qu'un garde préposé à sa surveillance, et qu'elle échappe même, par un côté décisif, à l'impossibilité d'y constater un délit

sans violer un domicile puisqu'elle est accessible à tous, et principalement par le chemin de halage, lequel détruirait, au besoin, toute idée de clôture.... >>

Mais la Cour de Cassation s'est montrée plus large dans l'interprétation de ce passage de la loi de 1844.

Pour elle, il suffit que la construction, si elle n'est pas actuellelement habitée « soit au moins destinée à l'habitation»: Voir en ce sens un arrêt de la ch. crim. du 3 mai 1845 (S. 1845. 1.471), et deux arrêts de la même chambre, en date des 20 juillet et 10 novembre 1883 (S. 1885. 1.335), qui rappellent le même principe, mais des termes desquels il résulte qu'on ne saurait considérer comme terrain attenant à une habitation, dans le sens de l'article 2 de la loi de 1844, un terrain dans lequel se trouve une construction servant d'usine à huile lors de la récolte des olives, et occupée seulement par les ouvriers employés à ce travail que ne saurait davantage être considérée comme une habitation, une simple cabane ou maisonnette, dépourvue de tout mobilier, et affectée, seulement pendant une certaine époque de l'année, au séchage des châtaignes; peu importe qu'à ce moment cette cabane soit fréquentée par une ou plusieurs ouvrières, qui attisent le feu, et empêchent les incendies. - adde Leblond; Code de la chasse, t. 1, n° 33; Giraudeau, Lelièvre et Soudée. La chassee, 2° édition, no 302: Gillon et de Villepin, n. code des chasses; Berriat Saint-Prix, Législation de la chasse, no 44.

III. Quant à la clôture, il faut qu'elle soit établie suivant l'usage du pays,faisant obstacle à toute communication avec les héritages voisins et sans aucune brèche. Voir en ce sens : C. de Limoges, 5 fév. 1848 (S. 48. 2. 152); C. de Douai, 28 novembre 1842, (S. 48. 2. 152); C. de Rennes, 17 août 1863 (S. 63. 2. 233); C. de Nîmes, 28 mars 1867 (S. 67. 2. 120); C. de Rouen, 25 février 1875 (S. 75. 2. 136); C. de Caen, 5 janvier 1876 (S. 76. 2.137); C. de Cass. ch. crim. 20 juillet 1883 (S. 85. 1. 334); Adde: Berriat St-Prix, Législ. de la chasse, p. 20; Petit, Tr. Du droit de chasse, t. I, n° 158, 162 et 163; Rogron, C. de la chasse, sur l'article 2. p. 43 et 44; Camusat et Busserolles, C. de la police de la chasse, p. 49; Guillon et Villepin, Nouv. code des chasses no 52.

IV. On peut chasser ou faire chasser en tout temps, sans permis de chasse, dans un terrain clos. -On peut donc y inviter des amis qui ont le droit d'y chasser, en tout temps, sans permis de chasse.

Mais a-t-on droit d'y chasser à l'aide d'engins prohibés ?

Trois systèmes ont été proposés :

1° Le propriétaire aurait le droit de faire usage dans son enclos de toute espèce d'engins. Voir en ce sens : Besançon 18 janvier 1845 (S. 45. 2.101), arrêt cassé le 26 avril 1845 (S. 45, 1. 389); et Dijon 4 avril 1866, sous Cass. 10 juin 1866 (S. 67. 1. 226.)

2o Le propriétaire ne pourrait chasser dans son enclos qu'avec les

engins dont l'usage est permis à tous les chasseurs. En d'autres termes, son seul privilège consisterait à pouvoir chasser en tout temps, et sans permis, mais avec les seuls moyens ou procédés de chasse ordinaires. Voir Cass., 26 avril 1845 (S. 45. 1. 389): Aix, 2 mars 1876 (S. 79. 2. 133).

3o Le propriétaire ne pourrait chasser dans son enclos avec des engins dont la détention est prohibée, indépendamment de tout usage qui en est fait; mais il peut chasser avec des appeaux, appelants ou chanterelles, dont la détention est licite (V. Orléans 11 mai 1869. S. 69. 2. 237; Poitiers, 18 février 1869 (S. 70. 2. 21) et dont l'emploi seul est interdit pour la chasse ordinaire: Voyez en ce sens: Cass. 16 juin 1866 (S. 67. 1. 226); Montpellier, 28 janvier 1867 (S. 67. 2. 131): Cass. 7 mars et 1er mai 1868 (S. 68. 1. 273) — Adde: Leblond, loc. cit, no 47: Giraudeau, Lelièvre et Soudée, loc. cit., n° 848.

V. En résumé:

Si votre terrain est clos, suivant l'usage du pays, sans aucune brèche, et de telle sorte que la clôture empêche toute communication avec les héritages voisins, et si, d'un autre côté, le pavillon que vous y avez fait, est destiné à l'habitation, vous pouvez y chasser ou y faire chasser, en tout temps, sans permission.

Quant à la question des engins prohibés, le troisième système que je vous ai exposé, et qui a été, en outre, consacré par un arrêt de la cour de Bordeaux du 7 janvier 1885 (S. 85. 2. 64), nous semble aussi devoir être préféré, car la détention d'engins prohibés au domicile ou dans l'enclos y attenant constituant un délit, la chasse avec ces engins ne saurait être licite. Autrement on arriverait à ce résultat non moins étrange qu'inexplicable, qu'on aurait droit de chasser avec des engins dont la détention est délictueuse.

J'ajouterai pour être complet, qu'une proposition de loi tendant à restreindre le privilège des propriétaires des lieux clos a été dernièrement déposée à la Chambre des députés, mais qu'elle n'a point encore, à notre connaissance, été discutée.

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