Page images
PDF
EPUB

LA MISE EN RÉGIE D'UN ENTREPRENEUR DE TRAVAUX PUBLICS A-T-ELLE POUR EFFET DE RENDRE INAPPLICABLE LA CLAUSE PÉNALE STIPULÉE POUR RETARD DANS L'EXÉCUTION DU MARCHÉ.

I. Parmi les nombreuses et délicates questions que soulève la mise en régie d'un entrepreneur, il en est une particulièrement intéressante pour le maître de l'ouvrage (Commune, Département, État ou Établissement public), c'est celle de savoir si la mise en régie a pour effet de leur faire perdre le bénéfice de la clause pénale stipulée pour retard.

Ce qui peut faire naître quelque doute dans l'esprit, à première vue, c'est qu'en principe, lorsque le créancier poursuit lui-même l'exécution de l'obligation de son débiteur aux frais de celui-ci, il perd tout droit à dommages-intérêts, cette voie d'exécution ayant pour effet de lui donner satisfaction et d'éteindre l'obligation.

Les articles 1228 et 1229, § 1o, du Code civil consacrent cette règle de droit et d'équité, en déclarant, d'une part, que le créancier peut opter entre le bénéfice de la peine stipulée pour inexécution de l'obligation ou la poursuite de l'exécution de cette obligation (art. 1228), et d'autre part, que la clause pénale étant la compensation des dommages et intérêts que le créancier souffre de l'inexécution de l'obligation principale, il ne peut à la fois demander le principal et la peine (art. 1229). Toutefois il convient de faire observer immédiatement que ce principe n'a plus sa légitime application lorsque la peine a été stipulée pour le simple retard (art. 1229, § 2o in fine), car, en ce cas, la stipulation portant clause pénale a eu pour objet de fixer à forfait les dommages-intérêts dus au créancier, non pour l'inexécution de l'obligation, mais, alors même que l'obligation serait exécutée, pour le retard qui a été apporté dans cette exécution.

On conçoit donc que la cause du dommage et le dommage luimême subsistent malgré l'exécution de l'obligation; par suite, il n'y a aucun motif de droit ou d'équité qui fasse obstacle à l'application de la clause pénale.

II. Ces principes généraux étant dégagés, la question spéciale que nous avons à examiner est singulièrement simplifiée.

En effet, soit que l'on admette que la mise en régie est un mode d'exécution du marché par le maître de l'ouvrage lui-même, qui se substituerait à l'entrepreneur, soit au contraire que l'on admette MARS 1887

13

que la mise en régie n'est qu'un mode de coërcition par lequel l'entrepreneur reste contraint à exécuter le marché par un mandataire spécial et contractuel qui lui est imposé, il n'en reste pas moins certain que la clause pénale est applicable si elle a été stipulée pour simple retard, puisque, dans l'hypothèse même où cette exécution serait réputée poursuivie par le créancier lui-même (Commune, Département, etc.), par le maître de l'ouvrage en un mot, la clause pénale n'en serait pas moins applicable.

Or, en fait, dans les marchés de travaux publics, la clause pénale est presque constamment stipulée pour simple retard. En conséquence, elle survit à la mise en régie.

III. Toutefois, il ne serait pas impossible que la clause pénale fût stipulée pour inexécution de l'obligation seulement, et alors il y aurait lieu de se demander si cette clause serait encore applicable au cas où l'exécution du marché serait poursuivie par la voie de la mise en régie.

Nous inclinons à penser que, dans cette hypothèse, la peine ne pourrait se cumuler avec la mise en régie.

En effet, soit que l'on considère que la mise en régie est un mode d'exécution du marché par le maître de l'ouvrage lui-même, soit que l'on considère qu'elle est un mode d'exécution forcée par l'entrepreneur lui-même, en la personne du régisseur son mandataire imposé; en toute façon, la clause pénale est inapplicable parce qu'il y a exécution et extinction de l'obligation principale; ce qui exclut nécessairement l'application d'une pénalité qui n'a pour objet que la compensation des dommages-intérêts résultant de l'inexécution de cette obligation.

IV. Il nous paraît donc certain : 1° que la clause pénale stipulée seulement pour inexécution du marché cesse d'être applicable par la mise en régie qui assure cette exécution; 2° qu'au contraire la clause pénale subsiste avec tous ses effets, malgré la mise en régie, si elle a été stipulée pour le simple retard.

V. Mais reste une difficulté pratique qui est à considérer.

Comment déterminer le retard et appliquer la clause pénale, si la mise en régie est survenue avant l'expiration du délai imparti pour l'exécution; comment même liquider le retard alors que la régie a terminé l'entreprise et qu'au moment de la mise en régie, ce retard ne pouvait être fixé, puisque les travaux n'étaient pas finis?

Faudra-t-il admettre que la mise en régie déchargera l'entrepreneur de tout retard ultérieur et faudra-t-il se placer au moment de la mise en régie pour l'établir, ou bien faudra-t-il ne considérer que la date de l'achèvement des travaux, et laisser toute la charge du retard qui résultera de la date de la fin des travaux au compte de l'entrepreneur?

On voit que la question n'est pas sans importance, car suivant la solution qui sera adoptée, la responsabilité de l'entrepreneur restera engagée, au point de vue spécial du retard, jusqu'à la fin des travaux, ou, au contraire, elle cessera du jour de la mise en régie.

VI. Il paraît tout d'abord impossible d'admettre, en se plaçant au point de vue rationnel, que les torts de l'entrepreneur qui auront motivé la mise en régie puissent avoir pour effet de dégager sa responsabilité alors que la logique commande qu'elle soit au contraire aggravée. En conséquence, à première vue, il semble bien que la mise en régie ne peut l'exempter de la pénalité que le retard dans l'exécution devait mettre à sa charge.

Mais, si on se place à un point de vue plus juridique et si on veut rechercher quelle est la situation exacte de l'entrepreneur mis en régie, on est conduit plus sûrement encore à la même solution.

En effet, la mise en régie a-t-elle bien pour effet juridique de substituer le maître de l'ouvrage à l'entrepreneur?

Nous ne le pensons pas.

L'entrepreneur reste tenu de l'obligation d'exécuter le marché, il continue de participer à cette exécution puisqu'il a le droit de contrôler et de surveiller les opérations de la régie, puisqu'enfin le compte de régie se confond avec le décompte de son entreprise et se règle par un solde unique en fin d'entreprise.

En réalité, la mise en régie n'est pas la substitution du maître de l'ouvrage à l'entrepreneur, mais l'exercice du droit, que l'administration s'est réservé dans le marché, d'imposer à l'entrepreneur un régisseur ou mandataire spécial et forcé, qui, sous l'œil et l'autorité de l'administration, exécutera les travaux pour le compte de l'entrepreneur.

Il s'en suit que la mise en régie ne dégageant pas l'entrepreneur de son obligation d'exécuter les travaux et n'ayant pour effet que de lui imposer une organisation qui assure cette exécution, la situation reste juridiquement la même et qu'il est tenu du retard et par suite de la clause pénale qui y est applicable.

VII. Cependant, faudra-t-il que l'entrepreneur subisse la peine des lenteurs d'une régie mal organisée, des négligences d'un régisseur inhabile alors que l'action de l'entrepreneur est, on doit le reconnaître, paralysée par la présence sur son chantier d'un régisseur qui reçoit directement les ordres de l'administration et qui n'a pas à se conformer à ceux que l'entrepreneur pourrait vouloir lui donner?

On ne saurait aller jusque là; rien d'ailleurs n'y conduit.

On sait en effet que l'entrepreneur peut surveiller et suivre les opérations de la régie, qu'il peut faire ses observations, ses réclama

tions et ses réserves sur la façon dont le régisseur opère afin de dégager sa responsabilité en fin de compte.

Il devra donc, dans cette circonstance, prendre soin de protester contre toutes les négligences, les lenteurs, les fausses manœuvres du régisseur qui seraient de nature à augmenter ou faire naître des retards dans l'achèvement des travaux. Ses protestations écrites et adressées à l'ingénieur ordinaire et à l'ingénieur en chef s'il s'agit de travaux de l'État, ou à l'architecte et au maire s'il s'agit de travaux communaux, seront des éléments précieux de discussion au moment où il s'agira d'appliquer la clause pénale.

Il sera en droit de faire déduire du retard total les retards partiels occasionnés par les faits qu'il aura relevés et signalés au cours de la régie et, si satisfaction ne lui était pas donnée amiablement, il trouverait toute garantie dans la justice qui lui serait rendue par le conseil de préfecture et le Conseil d'État qu'il saisirait de la contestation.

Ces juridictions toutes d'équité n'hésiteraient pas à faire l'attribution du retard qui conviendrait à la régie et à ne laisser à la charge de l'entrepreneur que les retards résultant nécessairement de la marche normale des travaux.

Il n'en est pas moins certain que la situation d'un entrepreneur mis en régie est particulièrement aggravée par l'effet d'une clause pénale pour retard et qu'en présence d'une telle stipulation de son marché il doit tout faire pour éviter une régie.

F. DE RAMEL.

CONSULTATIONS.

PATENTE D'ENTREPRENEUR DE TRAVAUX PUBLICS.

LIEU D'IMPOSITION.

(AIN.) Un de nos abonnés nous adresse la question suivante : Lorsque l'entreprise se trouve dans le département du domicile de l'entrepreneur mais dans une autre commune,l'entrepreneur doit-il être porté au rôle des patentes de la commune de son domicile ou à celui de la commune du siège de l'entreprise?

Vous exposez que vous habitez F... et que vous faites des travaux pour le compte du département dans un autre canton que celui de votre domicile, et vous demandez si vous pouvez étre porté au rôle des patentes de la commune de F...

R. Cette question est excessivement délicate et ne saurait être définitivement résolue d'après les renseignements trop sommaires

fournis par notre correspondant: néanmoins nous rappellerons que la Revue du Contentieux des travaux publics a publié dans le numéro 6 de l'année 1885-1886, tome V,page 236,un arrêt en date du 15 janvier 1886, par lequel le Conseil d'État a décidé en principe que les entrepreneurs de travaux publics sont imposables à la contribution des patentes dans la commune où ils ont leur domicile et le siège de leur industrie et où ils centralisent les affaires relatives à leurs diverses entreprises, et non dans les communes où ils exécutent leurs entreprises sous la surveillance d'un conducteur des travaux n'agissant que sur leurs ordres.

En résumé, le critérium, en ce qui concerne la commune d'imposition, est le suivant:

L'entrepreneur a-t-il transporté sa résidence effective sur le chantier de l'entreprise et n'a-t-il conservé au lieu de son domicile ni chantiers, ni bureaux, ni ateliers, ni personnel? Il doit alors être porté sur les rôles de la commune où se trouve le chantier devenu le siège véritable de l'entreprise.

[ocr errors]

L'entrepreneur conserve-t-il la résidence qu'il avait avant l'adjudication, n'a-t-il sur les chantiers qu'une simple pied-à-terre où il ne vient que lors de ses tournées d'inspection ou pour surveiller la paye des ouvriers, centralise-t il sa correspondance, sa comptabilité et la direction de ses affaires à son domicile habituel, siège principal de ses opérations industrielles où il a une habitation, des bureaux, un établissement en permanence et où il est inscrit sur les listes électorales, - s'est-il réservé la direction personnelle et effective des travaux et n'a-t-il sur son chantier que des employés subalternes sans autorité propre et n'agissant que sur les ordres qui leur sont transmis par l'entrepreneur, lequel contrôle et ratifie lui-même les marchés passés avec des sous-traitants ou fournisseurs,-a-t-il, dans le traité consenti avec l'État, le département, la commune ou la compagnie qui a mis les travaux en adjudication, fait élection de domicile au lieu habituel de sa résidence, centre de ses affaires, emploie-t-il pour l'exécution de ses travaux un matériel ordinairement attaché à ladite résidence? En ce cas, au contraire, il doit être imposé dans la commune de son domicile réel et l'on ne serait pas fondé à le considérer comme ayant un véritable établissement dans la commune où il exécute ses tra

vaux.

PATENTE D'ENTREPRENEUR DE TRAVAUX PUBLICS.

DROIT.

ÉTABLISSEMENT DU

(EURE.) — Un de nos abonnés nous adresse la question suivante :

1° La patente d'un entrepreneur de travaux publics doit-elle être calculée en

« PreviousContinue »