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d'après l'article 60, § 2, à défaut d'accord amiable sur le prix, la fixation en est faite par le jury, et que la somme allouée à l'expropriant ne peut pas dépasser celle moyennant laquelle les terrains ont été acquis. La disposition ajoute même que le jury ne peut, en aucun cas, excéder cette limite. Mais ces termes, quelque absolus qu'ils soient, ne doivent pas être appliqués à outrance et jusqu'à l'injustice. L'expropriant avait pu de bonne foi faire des améliorations aux parcelles expropriées avant la loi qui a permis de requérir la rétrocession, et ce serait enrichir l'exproprié ou ses ayants cause sans motif que de leur rendre les terrains améliorés pour le prix qu'on leur avait donné de terrains en mauvais état. La loi a voulu dire surtout qu'il ne serait pas tenu compte de la plusvalue résultant de la hausse du prix.

Lorsque les terrains ne doivent pas recevoir d'emploi, un avis publié dans la forme prescrite par l'article 6, c'est-à-dire par publication, affiches et insertion dans les journaux, fait connaître les terrains que l'administration est dans le cas de revendre. Dans les trois mois de cette publication, les anciens propriétaires qui veulent réacquérir la propriété desdits terrains sont tenus de le déclarer; et dans le mois de la fixation, soit amiable, soit judiciaire, ils doivent passer le contrat de rachat et payer le prix : le tout à peine de déchéance du privilège que la loi leur accorde (art. 61). L'application de cet article est réglée par une ordonnance du 22 mars 1835.

Nous avons vu que les chemins vicinaux ont été, au point de vue de l'expropriation, l'objet de quelques dispositions spéciales. D'après l'article 15 de la loi du 21 mai 1836, combiné avec l'article 86 de la loi du 10 août 1871, les arrêtés d'élargissement et de reconnaissance attribuent à la voie publique les portions de terrains non bâtis qui sont pris sur les propriétés riveraines. L'indemnité est fixée par le juge de paix sur un rapport d'experts. Les experts sont nommés, l'un par le sous préfet, l'autre par le propriétaire. En cas de désaccord, le tiers expert est désigné par le juge de paix'. L'expropriation n'a pas lieu par autorité de justice puisque c'est l'arrêté de la commission départementale qui attribue au che

1 L'article 17, auquel renvoie l'article 15, dit que le tiers expert sera nommé par le conseil de préfecture; mais il faut remarquer que, dans le cas de l'article 17, le conseil de préfecture juge le fond, tandis que dans le cas de l'article 15, c'est le juge de paix qui est compétent. La loi a évidemment voulu que le tiers expert fût choisi par le juge du fond.

min les portions prises sur les riverains; mais la prise de possession des parcelles retranchées sur les côtés ne devrait avoir lieu qu'après le paiement de l'indemnité.

Quant aux travaux d'ouverture et de redressement, la prise de possession des terrains nécessaires à leur confection ne peut avoir lieu que moyennant une juste et préalable indemnité. Mais les formes de l'expropriation ont été simplifiées par l'article 16 de la loi du 21 mai 1836. En quoi consistent les différences? 1° L'utilité publique est déclarée par arrêté de la commission départementale, au lieu de l'être par décret; 2° le tribunal d'arrondissement n'est pas obligé de désigner un de ses membres pour magistrat directeur; il peut aussi choisir le juge de paix du canton, ce qui serait impossible dans l'expropriation ordinaire; 3o le magistrat directeur a voix délibérative pour l'expropriation en matière de chemins vicinaux, tandis qu'aux termes de la loi de 1841, il doit, même à peine de nullité, s'abstenir de prendre part à la délibération du jury. D'après la loi du 21 mai 1836, c'est le magistrat directeur qui préside le jury, tandis que, d'après la loi du 3 mai 1841, le président est choisi par les jurés au commencement de la délibération. 4° Le jury n'est composé que de quatre personnes, au lieu de douze. Le tribunal choisit, en conséquence, sur la liste générale dressée par le conseil général pour l'arrondissement, quatre jurés titulaires et trois jurés supplémentaires. L'administration et la partie intéressée ont le droit d'exercer chacune une récusation péremptoire, au lieu de deux que permet la loi de 1841, et si la récusation est faite, les titulaires sont remplacés par les jurés supplémentaires.

L'action en indemnité des propriétaires pour les terrains qui auront servi à la confection des chemins vicinaux et pour extraction de matériaux, sera prescrite par le laps de deux ans (art. 18 de la loi du 21 mai 1836). Cette disposition suppose que l'administration s'est mise en possession des terrains avant le règlement de l'indemnité; car il est évident que si le propriétaire avait gardé la possession, aucune prescription ne courrait contre lui. Elle implique aussi que l'indemnité n'a pas été fixée; car si elle était réglée, il n'y aurait qu'une action de paiement. L'article 18 ne dit pas que la prescription de deux ans soit applicable à l'action en paiement; il ne parle que de l'action en indemnité, ce qui doit s'entendre de l'action pour en obtenir le règlement. La différence est facile à saisir. Tant que l'indemnité n'est pas fixée, l'administration qui s'est

mise en possession sans obstacle peut croire que le propriétaire renonce à toute réclamation et que les avantages qu'il retire des travaux d'utilité publique lui paraissent être une compensation suffisante à la perte de sa propriété. Il est donc naturel qu'une courte prescription ait été appliquée à cette situation. Au contraire, lorsque l'exproprié a fait régler son indemnité, on ne doit pas présumer sa renonciation, et c'est pour cela que l'action en paiement reste soumise aux règles en matière de prescription.

En cas de changement de direction ou d'abandon d'un chemin vicinal, en tout ou en partie, les propriétaires riverains de la partie de ce chemin qui cessera de servir de voie de communication pourront faire leur soumission de s'en rendre acquéreurs et d'en payer la valeur qui sera estimée dans la forme déterminée par l'article 17 (art. 19 de la loi du 21 mai 1836). La valeur sera donc fixée par le conseil de préfecture après expertise. Le droit de préemption accordé par l'article 19 de la loi sur les chemins vicinaux est bien différent de celui qui est écrit dans l'article 60 de la loi sur l'expropriation. L'article 60 de la loi de 1841 suppose que l'exproprié ou ses ayants droit réclament la rétrocession de parcelles qu'on leur avait prises, tandis que l'article 19 de la loi du 21 mai 1836 accorde aux riverains la préemption du chemin abandonné, alors même qu'ils n'auraient jamais été propriétaires des terrains qui ont servi à faire la chaussée.

La loi du 3 mai 1841 a conféré au propriétaire exproprié pour partie le droit de requérir l'acquisition intégrale dans certains cas que nous avons distingués en interprétant l'article 50. Mais elle n'accorde pas à l'administration la faculté réciproque d'exproprier plus qu'elle n'en a besoin pour l'exécution de ces travaux. Quelques atteintes cependant ont été portées à ce principe général par des lois spéciales. L'article 13 de la loi des 13-22 avril 1850 a autorisé les communes, lorsqu'un état d'insalubrité est le résultat des causes extérieures et permanentes ou que les causes ne peuvent être détruites que par des travaux d'ensemble, à exproprier la totalité des propriétés comprises dans le périmètre des travaux. « Les portions de ces propriétés, ajoute l'article 13, qui, après l'assainissement opéré, resteraient en dehors des alignements arrėtės pour les nouvelles constructions, pourront être revendues aux enchères publiques, sans que, dans ce cas, les anciens propriétaires ou leurs ayants droits puissent demander l'application des art. 60 et 61 de la loi du 3 mai 1841. »

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Une disposition analogue a été consacrée par le décret-loi sur les rues de Paris, du 26 mars 1852, art. 2. « Dans tout projet d'expropriation pour l'élargissement, le redressement ou la formation des rues de Paris, l'administration aura la faculté de comprendre la totalité des immeubles atteints lorsqu'elle jugera que les parties restantes ne sont pas d'une étendue ou d'une forme qui permette d'y élever des constructions salubres. Elle pourra pareillement comprendre dans l'expropriation des immeubles en dehors des alignements lorsque leur acquisition sera nécessaire pour la suppression d'anciennes voies jugées inutiles. Les parcelles de terrains acquises en dehors des alignements et non susceptibles de recevoir des constructions salubres seront réunies aux propriétés contiguës, soit à l'amiable, soit par l'expropriation de ces propriétés conformément à l'article 53 de la loi du 16 septembre 1807. — La fixation du prix de ces terrains sera faite suivant les mêmes formes et devant la même juridiction que celle des expropriations ordinaires. L'article 54 de la loi du 3 mai 1841 est applicable à tous les actes et contrats relatifs aux terrains acquis pour la voie publique par simple mesure de voirie. »

Quoiqu'il ait été fait spécialement pour la ville de Paris, ce décretloi peut être appliqué à d'autres villes aux conditions suivantes : 1° que le conseil municipal ait fait une demande d'extension, et 2o que cette demande ait été approuvée par un décret. L'extension, toutes les fois qu'elle aura été ordonnée, emportera l'application du décret du 27 décembre 1858; car ce dernier décret est l'interprétation du premier, et par conséquent on doit le considérer comme formant avec lui un tout indivisible. Est-il possible d'admettre l'application du décret de 1852 sans le faire suivre de son interprétation et de son complément1?

Le décret-loi n'accorde le droit d'expropriation totale que s'il est impossible d'élever des constructions salubres sur les parcelles restantes. Pour faire décider cette question, le décret du 27 décembre 1858 ordonne de procéder à une enquête à l'effet de provoquer les observations et oppositions des propriétaires intéressés. S'il y a des oppositions, l'article 2 du décret du 27 décembre 1858 dispose qu'en

1 M. Chauveau (Journal de droit administratif, année 1859) décide cependant que l'application du décret du 26 mars 1852 n'entraîne pas celle du décret du 27 décembre 1858, parce que ce dernier ne contient pas, comme le premier, une disposition qui autorise cette extension. Mais cette lacune est, à notre avis, comblée par la maxime: Accessorium sequitur principale.

B. - VIII.

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ce cas l'expropriation ne peut être autorisée que par un décret rendu en Conseil d'État. Ce décret vide-t-il d'une manière définitive les oppositions, ou bien les propriétaires peuvent-ils se pourvoir par la voie contentieuse contre le décret qui ordonne, à leur égard, l'expropriation intégrale? La question de salubrité n'est pas du nombre de celles qui peuvent être débattues en audience publique, sur plaidoiries; elle appartient à l'ordre de l'administration pure ou même de la police sanitaire. Aussi sa nature nous paraît-elle inconciliable avec la discussion par la voie contentieuse. Est-ce à dire que les particuliers, si ce système était adopté, n'auraient pas de juges? C'est toujours le Conseil d'État qui prononcera, et entre les deux doctrines il n'y aura de différence que celle de la procédure. Le décret du 27 décembre 1858, en statuant qu'il serait prononcé par un décret en Conseil d'État, a établi la seule forme qu'il fût possible d'adopter, eu égard à la nature de la réclamation. Lorsque la question n'est pas susceptible d'un débat contentieux, les seuls juges qui puissent être appelés à prononcer sont les conseils chargés de préparer l'action administrative par leurs avis.

Le décret-loi du 26 mars 1852 ne s'est pas borné à étendre des servitudes établies par les lois antérieures, il en a créé de nouvelles et notamment l'obligation de demander le nivellement. « A l'avenir, porte l'art. 3, l'étude de tout plan d'alignement de rue devra nécessairement comprendre le nivellement; celui-ci sera soumis à toutes les formalités qui régissent l'alignement. Tout constructeur de maisons, avant de se mettre à l'œuvre devra demander l'alignement et le nivellement de la voie publique au devant de son terrain, et s'y conformer. »

L'exécution de cet article a donné lieu à plusieurs difficultés. Il est arrivé, par exemple, qu'après avoir donné un nivellement à un propriétaire qui s'y est conformé, la ville de Paris n'a fait exécuter les travaux de déblai que longtemps après l'achèvement de la construction privée. Aussi le propriétaire s'est-il, dans l'intervalle, trouvé en contrebas de la voie publique de manière à ne pouvoir pas sortir de sa maison. Des demandes en indemnité pour dommages temporaires ayant été formées sur le fondement de cette exécution tardive des travaux, le Conseil d'État les a repoussées. Le motif du rejet était tiré de ce que l'administration, en délivrant le nivellement, n'avait fait qu'autoriser le propriétaire à construire, mais n'avait contracté aucun engagement d'achever les travaux dans un délai déterminé.

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