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l'article 484 du Code pénal, qui prescrit aux cours et tribunaux d'observer, dans les matières non réglées par ce Code, les lois et règlements particuliers qui les régissaient antérieurement.

Le premier de ces règlements, celui qui est fondamental, date du mois de décembre 1607. L'article 4 est ainsi concu :

« Deffendons à nostre dict grand-voyer ou ses commis de permettre qu'il soit fait aucunes saillies, avances et pans de bois aux bastiments neufs et mesmes à ceux où il y en a à présent, de contraindre les réédifier, n'y faire ouvrages qui les puissent conforter, conserver et soutenir, n'y faire aucun enrochellement en avance pour porter aucun mur, pan de bois ou autres choses en saillie et porter à faux sur lesdites rues, depuis le rez-de-chaussée, et pourvoir à ce que les rues s'embellissent et élargissent aux mieux que faire se pourra, et en baillant par lui les alignements, redressera les murs où il y aura pli ou coude, et de tout sera tenu de donner par écrit son procès verbal de luy signé ou de son greffier, portant l'alignement desdits édifices de 2 toises en 2 toises, à ce qu'il n'y soit contre-venu, pour lesquels alignements nous lui avons ordonné soixante sols parisis par maison, payables par les particuliers qui feront faire lesdites édifications sur ladite voyrie, encore qu'il y eût plusieurs alignements en icelle, n'estant compté que pour un seul. »

Pour l'application de cet édit, le bureau de finances de la généralité de Paris fit, le 29 mars 1754, une ordonnance dont l'article 4 était ainsi conçu :

« Faisons défense à tous habitants, propriétaires, locataires ou autres ayant maisons ou héritages le long de nos rues, grandes routes et autres grands chemins, de construire ou reconstruire, soit en entier, soit en partie, aucuns bâtiments sans avoir pris alignements, ni de poser échoppes ou choses saillantes, sans en avoir obtenu la permission, lesquels alignements seront donnés par ceux de nous, commissaires du pavé de Paris et des ponts et chaussées, chacun en leur département, ou en leur absence par un autre de nous, conformément aux plans levés et arrêtés et déposés au greffe du bureau, ou qui le seront dans la suite; et les dits alignements seront donnés sans frais, ainsi qu'il s'est toujours pratiqué; à peine contre les particuliers contrevenants de trois cents livres d'amende, de démolition des ouvrages faits et de confiscation des matériaux et contre les maçons, charpentiers et ouvriers de pareille amende et même de plus grande peine, en cas de récidive. Défenses

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expresses sont faites à tous officiers de justice et aux prétendus voyers, si aucuns y a, de donner aucun des dits alignements. Ces défenses étaient renouvelées par l'arrêt du 27 février 1765, qui en généralisait l'application: elles étaient aussi textuellement reproduites dans l'ordonnance du bureau des finances du 30 avril 1772. Ainsi la loi dispose de deux manières : 1° préventivement, puisqu'elle exige que pour construire le long d'une voie publique, les riverains demandent l'alignement à l'autorité compétente et 2o répressivement, la loi ordonnant la destruction de tout ouvrage qui empiète sur la voie publique.

Des termes de l'édit de décembre 1607, il résulte qu'entre le bornage et l'alignement il y a une grande différence. Le bornage est fait par l'autorité judiciaire en appliquant les titres et en suivant les limites fixées par les actes, quelle que soit d'ailleurs l'irrégularité de la ligne séparative. Le redressement des sinuosités ne pourrait être exigé par aucune des parties séparément, et le consentement des intéressés serait indispensable. L'alignement, au contraire, est un bornage sui generis qui donne à l'une des parties intéressées le droit de faire le redressement et même l'élargissement de la voie. Ainsi l'administration, afin de procurer l'embellissement et l'élargissement des chemins, peut redresser les murs partout où il y a PLY ET COUde. Au reste, le mot alignement par lui-même emporte l'idée d'un redressement, et il y aurait contradiction entre la chose et son nom si l'alignement devait être fait suivant les règles ordinaires du bornage.

On distingue l'alignement général et l'alignement individuel. Le premier détermine la direction et la largeur du chemin; c'est un plan qui embrasse l'ensemble de la voie publique. L'autre est donné à un riverain qui le demande sur un point déterminé. Il doit être demandé bien qu'il y ait un plan général, et le riverain commettrait une contravention alors même qu'il se conformerait spontanément au plan général, s'il construisait sans prendre un alignement individuel. Le plan général une fois régulièrement approuvé est obligatoire pour tous, et l'administration est tenue de l'observer pour la délivrance des alignements individuels.

Les règles ne sont pas identiques dans tous les cas; il faut distinguer suivant qu'il s'agit de grande voirie, de voirie vicinale et de voirie urbaine.

Voirie urbaine. Le plan général d'alignement comprend l'en

1 Féraud-Giraud, Servitudes d'utilité publique, t. I, p. 24.

semble des rues d'une ville, et fixe la ligne de chacune d'elles, tantôt marquant les limites d'une rue à ouvrir, tantôt redressant, élargissant ou même rétrécissant, en quelques points, les voies déjà ouvertes. Ce plan a l'avantage d'éloigner le hasard de la direction des travaux à faire pour l'embellissement et la circulation. Surtout il prévient les caprices des administrateurs qui se succèdent aux affaires, et forme une tradition.

D'après l'article 52 de la loi du 16 septembre 1807, « dans les villes, <«<les alignements pour l'ouverture de nouvelles rues, pour l'élargis<«<sement des anciennes ou pour tout autre objet d'utilité publique, «< seront donnés par les maires, conformément au plan dont les pro« jets auront été adressés aux préfets, transmis avec leur avis au « ministre de l'intérieur et arrêtés en Conseil d'État. » Cette disposition ne parlant que des villes, on avait mis en doute que le plan d'alignement fût exigé pour les communes d'une population inférieure à 2,000 habitants. L'opinion affirmative a été adoptée, dans la pratique administrative, par ce motif que l'article 30, § 18 de la loi du 18 juillet 1837 met les frais du plan d'alignement au nombre des dépenses communales obligatoires, sans distinguer entre les villes et les communes. Il faut remarquer cependant que si la disposition est générale, en fait son application n'a pas été généralisée, et que dans beaucoup de communes il n'y a pas de plan d'alignement. L'administration supérieure ne force pas la main à toutes les communes et laisse à l'initiative municipale le soin d'agir suivant les besoins des localités 1.

Avant le décret de décentralisation du 25 mars 1852, la jurisprudence administrative faisait une distinction entre les plans dans les villes et les plans dans les autres communes, au point de vue de leur approbation. Pour les premiers, elle exigeait l'homologation par décret en Conseil d'État, l'article 52 de la loi du 16 septembre 1807 prescrivant cette formalité. Quant aux secondes, la jurisprudence n'appliquait pas la loi de 1807, qui ne parle que des alignements dans les villes; elle se contentait d'une délibération du conseil municipal, approuvée par le préfet. Car l'article 19, § 7 de la loi du 18 juillet 1837 (art. 68, no 7 de la loi du 5 avril 1884) appelle le conseil municipal à délibérer sur les plans d'alignement, et, d'après l'article 20, les délibérations du conseil sont en général exécutoires en vertu de l'approbation préfectorale. Cette distinction n'a plus le

Art. 68, no 7 de la loi du 5 avril 1884.

même intérêt depuis que le décret du 25 mars 1852 a mis dans les attributions des préfets les plans d'alignement des villes, et conséquemment à fortiori les plans d'alignement dans les communes ayant moins de 2,000 habitants. En n'attribuant aux préfets que les plans d'alignement dans les villes, le décret de décentralisation suppose même et reconnaît qu'avant 1852 l'homologation des plans, pour les petites communes, appartenait au préfet et que, sur ce point, il n'y avait pas à décentraliser 1.

Recherchons maintenant quels sont les effets d'un plan général d'alignement. Il arrivera souvent que, d'après le plan, le propriétaire riverain sera obligé de reculer et de céder du terrain au domaine public. Cette cession ne sera pas gratuite, et le propriétaire riverain aura droit à une indemnité. Par qui l'indemnité sera-t-elle déterminée? D'après l'avis précité du Conseil d'État, en date du 1er avril 1841, elle sera fixée conformément à la loi générale sur l'expropriation pour cause d'utilité publique sous les distinctions

suivantes.

Dans les parties de la ville où le plan d'alignement trace les lignes d'une rue nouvelle, l'ouverture de cette voie projetée ne peut être faite qu'en remplissant les formalités de l'expropriation, avec décret déclarant l'utilité publique, jugement ordonnant la cession des terrains, fixation de l'indemnité par le jury et paiement préalable. En cas d'élargissement d'une rue ancienne, les deux premières formalités ne sont pas exigées. Mais la fixation de l'indemnité par le jury et le paiement préalable n'ont rien d'inconciliable avec la servitude d'alignement, et c'est pour cela qu'elles doivent être appliquées.

Si les lignes tracées par le plan d'alignement atteignent les propriétés riveraines, on dit que ces propriétés sont, pour portion ou pour le tout, situées sur la partie retranchable. Cette position assujettit les propriétaires à une servitude fort onéreuse, par suite de laquelle ils ne peuvent faire au mur de face aucune réparation sans demander l'autorisation au maire. Le maire a la faculté d'autoriser les réparations qui ne sont pas confortatives. Il ne doit pas permettre celles qui, en prolongeant la durée du mur de face, perpétueraient l'existence d'un bâtiment dont la suppression est nécessaire à l'élargissement de la voie publique. Quant à la question de

1 Quant aux formalités à observer pour la préparation des plans d'alignement, voir un avis du Conseil d'Etat en date du 1er avril 1841 et une circulaire du 23 août suivant.

savoir si une réparation est confortative on non, c'est un point de fait à juger suivant les circonstances. L'exemple suivant montre bien que cette distinction dépend des circonstances de chaque cause. On s'est demandé si une réparation faite au premier étage peut être confortative, lorsque du reste elle ne touche pas au rezde-chaussée. Au premier abord, il semble (et on l'a décidé plus d'une fois) qu'elle ne peut pas réconforter la façade, puisque la réparation au premier étage ne prolongera pas la durée du rez-dechaussée et que le mur ne durera pas plus que sa base. Cependant il pourrait se faire que le rez-de-chaussée fût en bon état et que le délabrement du premier étage rendît nécessaire la réfection du mur en entier. En cas pareil, la réparation au premier aurait un caractère confortatif, puisqu'elle prolongerait la durée du mur de face. Nul exemple mieux que celui-là ne prouve que la distinction est tout entière dans le fait, et qu'il est impossible d'établir une règle invariable. Du moins il n'y en a pas d'autre que celle-ci on recherchera dans les circonstances de la cause si la réparation aura pour effet de prolonger la durée du mur de face.

Quelle que soit la réparation au mur de face, elle ne pourra être faite qu'avec l'autorisation du maire, et la contravention, soit que la réparation ait un caractère confortatif, soit qu'elle ne l'ait pas, sera punie de l'amende. D'après la jurisprudence de la Cour de cassation, les tribunaux de simple police, qui sont compétents pour connaître des contraventions de petite voirie, doivent aller plus loin et ordonner la destruction de tous les travaux confortatifs ou non. Ainsi la destruction de la besogne mal plantée serait ordonnée dans tous les cas, en même temps que l'amende serait prononcée'. Cette jurisprudence s'explique par la faiblesse de l'amende que prononce l'article 471, no 5 (de 1 fr. à 5 fr.). La Cour de cassation a pensé que la loi serait inexécutée, par suite de l'insuffisance de sa sanction, si la destruction des travaux n'était pas ordonnée.

Cependant lorsqu'un propriétaire riverain d'une voie publique a construit sans demander l'alignement individuel, la Cour de cassation fait la distinction suivante. Dans tous les cas, l'amende doit être prononcée; mais la destruction de la besogne mal plantée ne doit être ordonnée que s'il y a empiètement sur le domaine

1 C. cass., Ch. cr., arr. des 26 juin 1845; 17 décembre 1847; 6 mai 1848; 14 octobre 1853; 28 août 1860; 8 décembre 1860; 14 février 1863.

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