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la grande voirie et, par conséquent, du domaine public'. Les uns appartiennent à l'État et sont exploités directement par ses préposés. D'autres, et c'est le plus grand nombre, ont été concédés à des compagnies pour un temps dont la durée est fixée par la concession (ordinairement 99 ans). A l'expiration du délai, le chemin fait retour à l'État qui peut, ou l'exploiter en régie ou le concéder de nouveau. Dans l'intervalle, l'État peut devancer l'arrivée du terme en rachetant la concession aux conditions fixées par le contrat. La construction de la voie (travaux d'infrastructure) ont été faits ordinairement par l'État, quelquefois par les compagnies, moyennant une subvention. La pose des rails et le ballastage (travaux de superstructure) ont pour les chemins concédés été faits par la compagnie concessionnaire avec ou sans subvention, suivant la bonté des lignes. Les chemins exploités ou concédés par l'État sont dits chemins de fer d'intérêt général. Les départements et les communes peuvent être autorisés à construire des chemins de fer d'intérêt local (loi du 11 juin 1880); mais qu'ils appartiennent à l'État, au département ou à la commune, qu'ils soient concédés ou exploités directement, ils font toujours partie de la grande voirie.

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Quelle est la nature du droit résultant de la concession? Plusieurs lois en ont fait, par des dispositions formelles, un droit réel susceptible d'être hypothéqué; car elles ont constitué des hypothèques au profit de l'État, pour la garantie des prêts consentis par le Trésor aux compagnies, et chargé l'agent judiciaire du Trésor de prendre inscription. Ce droit d'hypothèque ne peut cependant être qu'un droit sui generis et modifié par la nature de la concession, en raison du service public qui en dépend. Il est impossible, en effet, de décider que la transmission des dépêches ou le transport des voyageurs et des marchandises pourra être arrêté par les poursuites d'un créancier dans un intérêt privé. Les compagnies ne sont, du

1 Art. 1er de la loi du 15 juillet 1845.

2 A la fin de la concession, l'État prend le matériel de la compagnie concessionnaire avec la voie ferrée au prix fixé par l'estimation.

3 La compagnie pourra hypothéquer le chemin à d'autres créanciers qui viendraient après l'État, premier créancier inscrit. Mais cette hypothèque ne donnerait pas aux tiers le droit d'exproprier le chemin, parce qu'il est impossible d'admettre que l'exercice de l'action hypothécaire pourra interrompre un service public; ils auraient seulement le droit de se faire payer par préférence, suivant leur rang, dans le cas où le Gouvernement ferait vendre la concession. En d'autres termes, le créancier hypothecaire n'aurait pas un titre exécutoire, mais un droit de préférence qui recevra son exécution lorsque la vente sera faite à la requête du Gouvernement. Contrà un avis

reste, pas propriétaires du chemin, mais seulement de la voie de fer, du matériel d'exploitation et du droit de concession'.

Chemins de fer (Servitudes). T. V, p. 343 et t. VI, p. 43.

Nous avons vu que, d'après la loi du 15 juillet 1845, les chemins de fer font partie de la grande voirie (art. 1er). L'article 3 s'occupedes servitudes d'utilité publique qui sont applicables aux chemins de fer.

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<< Sont applicables aux propriétés riveraines des chemins de fer les servitudes imposées par les lois et règlements sur la grande voirie, et qui concernent : l'alignement, l'écoulement des eaux, - l'occupation temporaire des terrains, en cas de réparation, la distance à observer pour les plantations et l'élagage des arbres plantés, - le mode d'exploitation des mines, minières, tourbières, carrières et sablières, dans la zone déterminée à cet effet. — Sont également applicables à la confection et à l'entretien des chemins de fer les lois et règlements sur l'extraction des matériaux nécessaires aux travaux publics.

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Indépendamment des servitudes de grande voirie qui sont déclarées applicables aux chemins de fer, la loi a créé un certain nombre de charges spéciales à raison du voisinage des chemins de fer. D'après l'article 5 de la loi du 15 juillet 1845, « aucune construction, autre qu'un mur de clôture, ne peut être établie dans une distance de 2 mètres d'un chemin de fer. » Il est naturel que la loi ait fait exception pour les murs de clôture, puisque, d'après l'article 4, tout chemin de fer doit être clos des deux côtés et sur toute l'étendue de la voie. Le mur de clôture satisfait à cette prescription mieux qu'une haie sèche ou palissade. Si la loi écarte les constructions autres que les murs de clôture, c'est de crainte que par les ouvertures des maisons habitées ne soient jetées des matières qui pourraient encombrer la voie.

du Conseil d'État du 5 novembre 1874, et Aucoc, Conférences, t. III, p. 328, et Revue critique, 1876, p. 81. M. Aucoc considère l'hypothèque comme inconciliable avec le domaine public. Mais nous ferons remarquer que c'est la concession du droit d'exploiter et non le domaine public qui serait l'objet soumis à l'hypothèque. Le droit résultant de le concession appartient à la compagnie pour le temps qui lui a été assigné et ne fait pas, étant une propriété privée, partie du domaine public.

1 C'est parce qu'elles ne sont pas propriétaires du sol que les compagnies ne paient pas la taxe de main-morte. - Il est vrai qu'elles sont soumises à l'impôt foncier, et le cahier des charges met ordinairement cette dépense parmi les obligations qui leur incombent. Elles sont imposées par analogie de ce qui a été fait pour les concessionnaires de canaux, qui doivent l'impôt foncier d'après la loi du floréal an XI.

B, — VIII.

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Quant au point de départ qui doit servir à calculer la distance de 2 mètres, il est fixé par l'article 5 de la loi du 15 juillet 1845 : « Cette distance sera mesurée soit de l'arête supérieure du déblai, soit de l'arête inférieure du talus du remblai, soit du bord extérieur des fossés du chemin, et, à défaut, d'une ligne tracée à 1 mètre 50 à partir des rails extérieurs du chemin de fer. »

L'interdiction s'applique-t-elle aux constructions qui existaient déjà au moment où le chemin de fer a été établi? L'article 5 a prévu le cas dans le § 3, qui porte: « Les constructions existantes au moment de la promulgation de la présente loi, ou lors de l'établissement d'un chemin de fer, pourront être entretenues dans l'état où elles se trouvaient à cette époque. »>

Le propriétaire ayant le droit d'entretenir les constructions dans l'état où elles étaient avant l'établissement du chemin de fer, comment constatera-t-on l'état des constructions et fixera-t-on le droit du propriétaire? L'article 5, dernier paragraphe, dispose que les formalités à remplir par le propriétaire pour fixer l'état dans lequel les constructions pourront être entretenues, seront déterminées par un règlement d'administration publique.

Une autre disposition de la loi du 15 juillet 1845 (art. 7) défend d'établir, à une distance de 20 mètres d'un chemin de fer desservi par des machines à feu, des dépôts de matières inflammables, à l'exception seulement des récoltes pendant la moisson. Cette servitude a pour but de prévenir les incendies, qui n'auraient pas manqué d'arriver fréquemment, notamment dans les pays où il existe encore des couvertures en chaume.

L'interdiction de construire dans les 2 mètres et celle de déposer des matières inflammables à moins de 20 mètres sont absolues; le préfet ne pourrait pas dispenser de leur observation. Les distances déterminées pour ces deux servitudes, comme pour celles dont nous allons parler, peuvent être réduites, mais seulement par décrets rendus après enquête (art. 9). Indépendamment de la réduction des distances, les servitudes dont nous allons parler ont ce caractère que le préfet peut, par un arrêté, lever les interdictions d'une manière complète.

Ainsi l'article 6 dit que les localités où le chemin de fer se trouvera en remblai de plus de trois mètres au-dessus du terrain naturel, il est interdit aux riverains de pratiquer, sans autorisation préalable, des excavations dans une zone de largeur égale à la hauteur verticale du remblai mesurée à partir du pied du talus. L'excavation pour

rait donc être faite moyennant une autorisation préalable. Cependant l'article 6 ajoute que cette autorisation ne pourra pas être accordée sans que les concessionnaires ou fermiers de l'exploitation aient été entendus ou dûment appelés.

D'un autre côté, d'après l'article 8 de la loi du 15 juillet 1845, dans une distance de moins de 5 mètres, aucun dépôt de pierres ou objets non inflammables ne peut être établi sans l'autorisation du préfet. L'autorisation une fois accordée est toujours révocable. La prohibition établie par cet article comporte deux exceptions. L'autorisation n'est pas nécessaire: 1° pour former, dans les localités où le chemin est en remblai, des dépôts de matières non inflammables, dont la hauteur n'excède pas celle du remblai du chemin. En ce cas, il n'y a pas à craindre que le dépôt de pierres s'écroule et encombre la voie publique; 2° pour former, que le chemin soit en remblai ou en déblai, des dépôts temporaires d'engrais et autres objets nécessaires à la culture des terres. Cette seconde exception est faite dans l'intérêt de l'agriculture, comme celle que l'article 7 fait à la prohibition de déposer des matières inflammables. Mais l'exception ne s'applique qu'aux dépôts temporaires, et, s'il était permanent, le dépôt à moins de 5 mètres des fumiers ou autres obets nécessaires à la culture ne pourrait être fait qu'avec l'autorisation du préfet.

Au reste, il pourrait se faire que la sûreté publique exigeât la suppression d'une construction, d'un dépôt, d'une excavation, de couvertures en chaume, et que la loi des 16-24 août 1790 ne donnât pas des pouvoirs suffisants à l'administration. En effet, cette loi n'a pas pu prévoir les précautions que rendrait nécessaires le voisinage d'un chemin de fer. Aussi la loi du 15 juillet 1845 a-t-elle, par son article 10, armé l'administration de pouvoirs qu'elle n'aurait pas trouvés dans la loi générale sur la police.

«Si, hors des cas d'urgence prévus par la loi des 16-24 août « 1790, la sûreté publique ou la conservation du chemin de fer « l'exige, l'administration pourra faire supprimer, moyennant une "juste indemnité, les constructions, plantations, excavations, cou<«<vertures en chaume, amas de matériaux ou autres existant dans « les zones ci-dessus spécifiées. >>

L'indemnité est fixée par le jury toutes les fois qu'il s'agit de suppression de constructions. La loi du 3 mai 1841 n'est au reste applicable que pour la partie qui est relative au règlement de l'indemnité et il n'y a ni décret déclarant l'utilité publique ni jugement qui

prononce l'expropriation. La suppression est ordonnée par un arrêté: du préfet. Lorsqu'il n'y a pas suppression de construction, mais seulement suppression d'un dépôt, d'une excavation ou d'une plantation, le jury n'est pas compétent pour régler l'indemnité; elle est fixée conformément à la loi du 16 septembre 1807, c'est-à-dire par le conseil de préfecture.

Les contraventions à la loi du 15 juillet 1845 sont constatées, poursuivies et réprimées comme en matière de grande voirie. Elles sont punies d'une amende de 16 à 300 fr., sans préjudice de l'application des peines portées au Code pénal et au titre III de la loi de 1845. Le contrevenant est de plus condamné à la suppression des travaux faits en contravention et, s'il n'obéit pas à cette condamnation, la destruction est faite d'office à ses frais. Le montant de la dépense est ensuite recouvré contre lui par voie de contrainte, comme en matière de contributions publiques (art. 11 de la loi du 15 juillet 1845).

Aucun article de la loi de 1845 ni des lois postérieures n'attribue aux concessionnaires de chemins de fer le droit de poursuivre la répression des contraventions. Comme ces compagnies n'ont qu'un caractère privé, la poursuite ne pourrait leur appartenir qu'en verta d'une disposition formelle. Du silence de la loi il faut donc conclure que cette faculté ne leur appartient pas en principe, sauf, par exception, les concessionnaires qui, par une disposition analogue à celle du décret du 22 février 1815, article 67, relatif aux compagnies des canaux d'Orléans et du Loing, ont été investis du droit de poursuivre les contrevenants. Ce décret fournit même un raisonnement à contrario pour établir que le droit de poursuite n'appartient pas aux concessionnaires s'il ne leur a pas été formellement conféré. Ici l'argument à contrario a une grande force, parce qu'il corrobore le principe général, en vertu duquel le droit de poursuite est l'attribution normale de l'autorité publique'. Nous croyons cependant qu'il y a sur ce point une lacune dans la loi, et que la collation du droit de poursuite aux compagnies n'aurait eu que des avantages pour l'intérêt général. Elle aurait assuré plus efficacement la répression des contraventions et mieux garanti la sûreté publique. La loi

1 Arr. du Cons. d'Ét. des 12 janvier 1858, Tourblain; 18 août 1862, Duval; 21 décembre 1872, d'Ayroles, et 7 août 1874, Duluat. Elles n'ont même pas le droit d'intervenir dans les instances engagées par l'administration. Arr. du Cons. d'Ét. des 12 mai 1853, Chauvin, et 14 mars 1863, Chemin de fer de Ceinture.

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