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retraite de M. de Lamoignon fut annoncée. Le 14 septembre, il s'amassa beaucoup de monde pendant le jour, dans la place Dauphine, et déja les polissons se disposaient à faire de l'artifice, et à exiger que les habitants de la place Dauphine missent des illuminations à leurs fenêtres, sur la menace de casser les vitres de celles qui ne seraient pasilluminées. Vers les deux heures de l'aprèsmidi, l'on commença à tirer des boîtes et des pétards qui augmentèrent à chaque heure de la nuit ; mais, ces polissons ne se bornèrent point à ces premières démonstrations de joie ; ils se livrèrent aux plus grands excès ; ils fouettèrent une femme qui avait blâmé leurs déportements, et ils commirent sur elle d'autres indécences: ils allèrent en foule casser la lanterne du commissaire. Les fusées et les pétards ne prirent fin que le mardi à quatre heures du matin, époque à laquelle cette furieuse populace, armée de bâtons et de flambeaux allu més, se porta dans divers quartiers de Paris, et notamment dans les places de Vendôme et de Louis XV, dont elle fit processionnellement le tour en criant : vive le roi ! Les curieux Parisiens, instruits de cette scène, se sont portés en foule toute la journée du mardi sur le passage de ces furibonds, et notamment sur le PontNeuf et dans la place Dauphine, lieux dont les issues étaient obstruées. Le corps nombreux des polissons s'est rassemblé devant la statue d'Henri IV, et là, partagés en deux bandes, ils ont eu l'audace d'arrêter toutes les voitures, d'ouvrir les portières, et de demander aux personnes qui étaient dedans, de l'argent pour acheter des fusées, et ils ont obligé les maîtres de mettre la tête hors de leur carrosse, et de crier vive Henri IV! au diable Lamoignon ! Les cochers et les laquais étaient obligés d'ôter leurs chapeaux et de répéter le même

cri.

Les polissons prirent goût à la cérémonie, et, non contents d'avoir fait ôter les chapeaux, ils contraignirent encore les domestiques qui avaient refusé de se rendre à leurs commandements, de se mettre à genoux, et de leur demander humblement pardon de leur désobéissance; aucune voiture de seigneur de marque ne fut exceptée, pas même celle de M. le duc d'Orléans : les cochers qui s'obstinaient à vouloir passer outre, ont reçu un nombre plus que suffisant de coups de bâtons, et on leur jetait de la poussière aux yeux; alors on les culbutait de leurs siéges, et on les chargeait de coups: plusieurs ont été dangereusement blessés. Les cochers de fiacre ont été particulièrement obligés de mettre un genou en terre devant la statue d'Henri IV, et de prononcer à haute et intelligible voix ce qu'on leur dictait.

Vers le soir, le feu a considérablement augmenté; les pièces d'artifice se sont succédées avec la plus grande rapidité. Sur les onze heures, cette cohorte effrénée est sortie de la place Dauphine, portant des flambeaux autour d'un mannequin d'osier, en habit de magistrat, qu'ils ont qualifié de M. de Lamoignon : ils l'ont porté rue de Grenelle où ils ont brûlé cette effigie; ils ont arraché la guérite placée devant la porte, et l'ont portée rue St.-Dominique, devant l'hôtel de Brienne ; déja ils se disposaient à mettre le feu à cette guérite, et à incendier l'hôtel, s'ils en avaient eu le temps, au moment où M. le comte de Brienne rentrait chez lui, et pour écarter cette populace, il alla à la caserne des gardes françaises, à qui il donna l'ordre de marcher contre les mutins, Les soldats se divisèrent en deux pelotons, et entrèrent, l'un par la rue du Bacq, et l'autre par la rue de Bourgogne, ayant la baïonnette au bout de leur fusil; ils blessèrent un nombre considérable de cette canaille, dont cinq, restés sur la place, furent portés.

à l'Hôtel-Dieu; il y en eut quatre de blessés qui ne purent prendre la fuite, et qui furent conduits à l'hôtel de la Force.

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pas,

Les soldats s'étant retirés après avoir balayé cette rue une trentaine de polissons sont revenus sur leurs et ont été ramasser leurs chapeaux qu'ils avaient laissés sur le champ de bataille.

Un instant après, sont arrivés des détachements d'invalides qui se sont emparés des hôtels de Brienne et de Lamoignon.

La populace n'a pas borné là ses désordres, rentrée à la place Dauphine, elle a présenté un mannequin qu'elle qualifiá du chevalier Dubois, et, armée comme la première fois, cette effigie a été portée à la demeure de ce commandant du Guet. Parvenue à la rue St.Martin, au coin de celle de Mêlée, elle a été chargée par un détachement du guet à cheval, qui était averti de l'arrivée de ces messieurs qu'ils ont reçus à coups de sabre, dont plusieurs ont été blessés.

Dispersés dans ce moment, ils se sont rendus mercredi, de grand matin, sur la place Dauphine et sur le Pont-Neuf; ils ont renouvelé la cérémonie de la veille; ils ont mis le portrait de M. Necker au bout d'une perche, et l'ont placé à côté de la statue d'Henry IV, en obligeant fous les passants de les saluer : ils avaient fait auparavant une procession où l'on portait sur une bannière la gravure de M. Necker. Ces cérémonies ont duré jusqu'à cinq heures du soir, que les Gardes-Françaises se sont emparées du Pont - Neuf et de la place Dauphine.

Ces événements ont été suivis, dans la nuit du vendredi au samedi suivant, d'un non moins fâcheux accident; quatorze Auvergnats revenaient de la guinguette, où ils avaient régalé un de leurs camarades nouvellement

arrivé, en chantant et poussant des cris de joie, suivant leur usage; ils furent rencontrés par le guet à cheval, rue St.-Nicaise, précisément celle où était leur gite. Le guet, voyant ce petit attroupement, leur ordonna de cesser leur bruit et de se séparer. Ces gens, la tête échauffée, répondirent des sottises: le guet avança sur eux pour les faire séparer; alors ils levèrent leurs bâtons, et en frappèrent quelques cavaliers, qui, se sentant frappés, tombèrent sur eux à coups de sabre, et en blessèrent quatre, dont un dangereusement, qui a été transporté à l'Hôtel-Dieu.

M. le chevalier Dubois a fait mettre le brigadier qui avoit donné ordre d'aller dessus, en prison, et il sera puni exemplairement, s'il ne peut pas pleinement justifier sa conduité.

Les obstacles de tous les genres s'élevèrent contre les vues du mimistère : ils forcèrent enfin à annoncer d'une manière positive la convocation des états-généraux. La première déclaration sur ce sujet est du 8 août.

N. V. (Page 12.)

Arrêt du conseil d'état du roi, du 8 août 1788, qui fixe au premier mai prochain la tenue des états généraux du royaume, et suspend, jusqu'à cette époque, le rétablissement de la cour plénière; extrait des registres du conseil d'état du roi.

Le roi, en ordonnant par l'arrêt de son conseil, du 5 juillet dernier, que les résultats prescrits audit

arrêt lui fussent remis dans les deux premiers mois de l'année 1789, sa majesté a voulu se mettre à portée de convoquer les états-généraux de son royaume, immé diatement après qu'elle se serait fait rendre compte desdits résultats; et elle ne pouvait choisir une époque plus rapprochée, puisqu'avant, et pour cette convocation, il était nécessaire d'assembler les états provinciaux dans les provinces où ils existent, de les rétablir dans quelques provinces où ils étaient suspendus, et de déterminer les préliminaires des élections, surtout dans les provinces réunies à la France depuis 1614; enfin, de prendre une saison plus commode que l'hiver pour le transport et la réunion des députés de toutes les parties du royaume. Depuis que cet arrêt a été rendu, sa majesté a pris des éclaircissements, tant sur le lieu que sur le temps auquel lesdits états - généraux peuvent être assemblés. Elle n'a pas encore déterminé le lieu où ils se tiendront; mais elle peut annoncer à ses sujets que leur assemblée est fixée au 1.er mai prochain, et c'est avec satisfaction que sa majesté envisage le moment où elle se trouvera environnée des représentants de la nation généreuse et fidelle qu'elle a le bonheur de gouverner. Assurée de recueillir les heureux effets de leur zèle et de leur amour, elle jouit d'avance du consolant espoir de voir des jours sereins et tranquilles succéder à des jours d'orage et d'inquiétude; l'ordre renaître dans toutes les parties, la dette publique être entièrement consolidée, et la France jouir, sans altération, du poids et de la considération que lui assurent son étendue, sa population, ses richesses et le caractère de ses habitants. Sa majesté a en même temps considéré que les étatsgénéraux devant être assemblés au 1. mai, cinq mois au plus s'écouleront entre cette époque et celle à laquelle est fixée l'assemblée de la cour plénière dont elle

er

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