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orsque, après une étude attentive de l'histoire moderne, le lecteur

impartial se prend à réfléchir sur les événements qui s'y trouvent inscrits, sur la destinée des personnages dont la mémoire est demeurée historique et sur la portée des jugements qui leur assignent un souvenir glorieux ou peu sympathique, son esprit reste profondément étonné de la part inégale de justice, faite à deux reines dont les têtes, à deux siècles de distance, roulèrent dans le sang sous la hache d'un bourreau ou sous le couperet d'une guillotine.

Nous nous sommes, en effet, souvent demandé comment, malgré la prétendue

inflexibilité de l'histoire, l'une avec ses crimes avérés et la légèreté de ses mœurs non moins avérée, est encore aujourd'hui pour la légende et pour la poésie une belle et noble figure de martyre, tandis que l'autre avec ses malheurs et ses dévouements, son invincible courage en présence de ses ennemis, et son admirable tendresse pour tout ce qu'elle devait chérir, trouve sans cesse des flétrisseurs qui continuent, pour elle, l'œuvre des juges qui la condamnèrent.

Les noms de Marie Stuart et de MarieAntoinette, toutes deux reines de France, provoquent de tristes réflexions sur la légèreté des jugements humains. Ces deux noms, qui réveillent de si sanglants et de si dramatiques souvenirs, arrivent bien différemment escortés devant l'écrivain sérieux qui entreprend la tâche de les évoquer de nouveau, pour restituer à chacun d'eux avec équité, soit la louange, soit le blâme, soit la pitié, soit la rigoureuse sévérité de son jugement.

L'histoire de Marie Stuart est parvenue

jusqu'à nous sous le déguisement de la fiction poétique, qui s'en est emparée dès le XVIe siècle par la plume de Ronsard. Déjà neuf ans avant la mort de cette princesse, le poëte français, alors qu'elle était prisonnière d'Élisabeth, lui dédiait le second livre de ses poëmes, et lui adressait le sonnet suivant :

Encores que la mer de bien loin nous sépare,
Si est-ce que l'esclair de vostre beau soleil,
De vostre œil qui n'a point au monde de pareil,
Jamais loin de mon cœur par le temps ne s'esgare.
Royne, qui enfermez vne royne si rare,
Adoucissez vostre ire, et changez de conseil :
Le soleil se leuant et allant en sommeil
Ne voit point en la terre vn acte si barbare.
Peuple, vous forlignez (aux armes nonchalant)
De vos ayeux Renault, Lancelot et Rolant,

Qui prencient d'vn grand cœur pour les dames querelle,
Les gardoient, les sauuoient où vous n'auez, François,
Ny osé regarder ny toucher le harnois

Pour oster de seruage vne royne si belle.

La poésie prend Marie Stuart dans sa prison, requiert les chevaliers de France de revêtir le harnois pour tenter sa délivrance,

la légende commencée Marie Stuart lui appartient; elle perd sa vérité historique pour subir la transformation légendaire. Depuis 1587, bien des voix éloquentes ont non-seulement protesté contre l'iniquité du jugement qui la conduisit à l'échafaud, mais elles ont fait de la mémoire de cette reine quelque chose de doux, de poétique et de sacré qui la défend contre la vérité même..

Ses fautes et ses crimes se sont vainement dressés contre elle; l'histoire peut accumu ler les preuves les plus accablantes de sa liaison adultère avec son secrétaire Rizzio, de son consentement à l'assassinat de son mari Darnley, dont elle épousa le meurtrier trois mois après; elle peut ajouter à l'odieux de ce lâche homicide en constatant les précautions prises par Marie Stuart pour inspirer au pauvre Darnley une fausse sécurité, les hypocrisies d'une feinte tendresse prodiguées à ce jeune roi malade, qu'assiégeaient de funestes pressentiments; elle peut suivre pas à pas la complicité de la reine

d'Écosse et la montrer enlevant, la veille même du crime, de la maison de Balfour, où languissait Darnley, les objets précieux qu'elle y avait déposés !... Preuves inutiles, accusations plus inutiles encore, la vérité ne peut rien contre Marie Stuart.

Adoptée par la poésie, c'est sous l'auréole du martyre qu'elle se présente à l'imagination: nous ne voulons connaître d'elle que sa beauté, son esprit et l'émouvante catastrophe de son supplice. De nos jours elle trouve encore des amis enthousiastes qui la défendent contre l'implacable réalité, qui renient ses propres lettres, les aveux qu'elles renferment et les aveux de ses serviteurs ou de ses complices. Marie Stuart incarne en sa personne toute la grâce et toute la poésie du XVIe siècle.

Les haines protestantes de l'Écosse et de l'Angleterre se sont éteintes à son égard : deux siècles ont suffi; Marie Stuart l'épouse infidèle, Marie Stuart complice de l'assassinat de son mari, épouse de son meur

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