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regrets pour tous les cœurs français, que le crime commis dans la personne de cette malheureuse reine. Il y a une grande différence entre cette mort et celle de Louis XVI, quoique certes il ne méritât pas son malheur. Telle est la condition des rois, leur vie appartient à tout le monde; il n'y a qu'eux qui ne peuvent pas en disposer; un assassinat, une conspiration, un coup de canon, ce sont là leurs chances; César et Henri IV ont été assassinés, l'Alexandre des Grecs l'eût été s'il eût vécu plus longtemps. Mais une femme qui n'avait que des honneurs sans pouvoir, une princesse étrangère, le plus sacré des otages, la traîner du trône à l'échafaud à travers tous les genres d'outrages! il y a là quelque chose de pire encore que le régicide! .

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1. Mémoires d'un ministre du trésor public (le comte Mollien). Paris, 1845.- Tome III, p. 123.

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endant la journée du 15 octobre 1793, l'anxiété fut grande à Paris;

le procès de la reine préoccupait tous les esprits, mais peu de gens osaient laisser paraître les inquiétudes dont ils étaient assiégés. Le peuple parisien, si fier en 1789 d'avoir conquis la liberté et d'avoir pris la Bastille, tremblait en 1793, quatre ans après, devant Robespierre et quelques brigands rassemblés de tous les coins de la France pour faire marcher la révolution. Le peuple souverain avait peur; il osait à peine

penser, il craignait de voir, d'entendre, d'être vu et d'être entendu. La guillotine et le régime des prisons lui imprimaient une terreur salutaire; la Bastille n'existait plus, il est vrai, mais Paris tout entier, transformé en bastille, renfermait tremblant le peuple régénéré par la fameuse déclaration des Droits de l'homme. Le procès de la reine, commencé depuis le matin, agitait d'une sorte de fièvre sourde toute cette peureuse population, dont la majeure partie faisait des vœux secrets pour un acquittement impossible, car juges et jurés siégaient pour la forme; la condamnation avait été prononcée par Robespierre, sanctionnée par les comités, tolérée par la Convention, qui, parmi tant de libertés dont elle se disait la distributrice, usait largement de la liberté de la peur.

Il s'était répandu dans tous les quartiers de la grande ville qu'un envoyé de l'empereur d'Autriche offrait à la république française, en échange de Marie-Antoinette,

vingt mille prisonniers français et les représentants livrés par Dumouriez; et quoique les sections de Paris, convoquées pour se prononcer sur l'opportunité du jugement de la reine, eussent toutes lâchement acquiescé à la volonté de Robespierre, les ouvriers, les véritables ouvriers, ainsi que les bourgeois désillusionnés par quatre ans de liberté, osaient murmurer tout bas contre la volonté qui s'opposait à cet échange; on plaignait même la reine quand on se trouvait seul, le soir, portes et fenêtres fermées, au coin du feu, avec sa femme; mais on craignait d'avoir du courage, et l'on se disait l'honnête M. Le Tomm, le pro

que

priétaire du magnifique hôtel de France, rue de Bourbon-Villeneuve, gémissait dans les cachots de la Conciergerie pour avoir harangué trop courageusement la section de Bonne-Nouvelle, dont il faisait partie. Pourquoi, murmuraient les prudents, lui, citoyen établi, homme marié et commerçant estimé, a-t-il été risquer sa liberté, sa vie,

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