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tous ces ennemis de la reine que nous venons de passer en revue,

et que l'ambition, la jalousie, l'a

mour-propre froissé, avaient faits, nous devons encore joindre ceux qui le devinrent pour s'épargner le fardeau de la reconnaissance, et qui payèrent de la plus noire ingratitude les élans de sa bienfaisance. Ce n'était point assez pour l'implacable ressentiment de ces haines odieuses d'inventer des crimes à Marie-Antoinette; il fallait aussi tourner contre elle ses vertus, les lui imputer à crimes et les lui faire reprocher par des populations égarées avec une perfide adresse. Le peuple de Paris et celui de Versailles sa

vaient les nombreuses charités de la reine. Longtemps ils furent sourds à la voix de ces calomniateurs choyés dans les salons, qui entreprenaient de la lui peindre comme une Messaline, et longtemps ils répondirent à toutes les accusations lancées contre elle par les récits de ses bonnes œuvres, par l'éloge de l'ardente charité de son cœur.

C'est alors que sa charité lui fut tournée à opprobre, et que Camille Desmoulins osa imprimer dans ses Révolutions de France et du Brabant :

« Cette prétendue charité est le crime de Manlius, qui distribuait au peuple du blé pour régner, ce qui le fit précipiter de la roche Tarpéienne. Mais de telles aumônes pourraient bien être pour Marie-Antoinette, non pas les degrés du trône du despotisme, mais l'échelle de l'échafaud. ›

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A aucune époque de l'histoire du monde, il n'a été plus de mode de se targuer de sensibilité, qu'à la fin du XVIIIe siècle; c'é

tait au nom de la sensibilité que Camille Desmoulins inventait contre les souverains le crime de la bienfaisance, comme plus tard Jullien de Paris devait inventer le crime de négociantisme contre le commerce de France. Les ingrats, qui récompensaient la reine de ses bontés par la calomnie et l'outrage, vantaient sans doute aussi leur sensibilité républicaine. Cette sensibilité, cependant, si souvent invoquée, n'était qu'une menteuse parure; et Mme Élisabeth en faisait bonne justice, lorsqu'elle écrivait à Mme de Causan le 29 avril 1786 :

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Quoique notre siècle se pique de beaucoup de sensibilité, elle est plus dans les discours dans les cœurs 2. que

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1. Bordeaux est un foyer de négociantisme. — Lettre de Jullien fils à Saint-Just, 25 prairial an II. — Rapport fait au nom de la commission chargée de l'examen des papiers trouvés chez Robespierre et ses complices, par E. B. Courtois, député du département de l'Aube, séance du 16 nivôse an ш.— - P. 355. 2. Éloge historique de Mme Élisabeth, par A. Ferrand. - P. 300.

Nous n'insérerons point ici la liste complète de ceux qui, quoique nés sensibles, suivant le langage du temps, furent odieusement ingrats envers la reine'; nous choisirons seulement dans leur nombre trois exemples qui feront comprendre à nos lecteurs comment la royauté dut succomber dans une lutte où ses ennemis recrutaient contre elle, pour la calomnier et l'abattre, jusqu'aux hommes couverts de ses bien

1. Dès le jour même de l'évasion du roi, il passa pour constant que M. Loustellot, capitaine dans la garde nationale de Marseille, appelé à Paris pour les affaires de sa ville, avait été prévenu par une des femmes de garde-robe de la reine, nommée Rochefeuille. C'était celle en qui elle avait le plus de confiance, et avec qui elle avait le plus de rapports; car c'est dans sa chambre que cette princesse (par crainte du poison) faisait faire le potage dont elle mangeait ordinairement. Il est des événements où la vérité perce d'abord, et où il est important de la recueillir. Ce trait infâme de trahison était bien, au surplus, suivant l'esprit dominant de la révolution. (Mémoires particuliers pour servir à l'histoire de la révolution, par le marquis de Clermont-Gallerande, pair de France. Tome III, p. 71.)

faits, jusqu'à ceux qui auraient dù considérer le sacrifice de leur vie comme un noble moyen de s'acquitter envers elle.

« C'était la reine qui avait non-seulement fourni généreusement à l'éducation des Lameth, mais avait procuré un riche mariage à l'un d'eux, et favorisé l'avancement militaire de tous1. »

La part prise aux événements de la révolution par MM. de Lameth est mentionnée dans l'histoire, personne n'ignore leur inimitié contre la reine; mais ce que tout le monde ne sait peut-être pas aussi bien, c'est le mouvement de colère que leur faisait éprouver tout témoignage d'intérêt donné à la famille royale.

« La veille de la fédération du mois de juillet 1790, les députés des gardes nationales, émus au plus haut point des senti

1. Mémoires secrets de 1770 à 1830, par le comte d'Allonville. Tome II,

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