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trager la malheureuse souveraine qu'ils

conduisirent à l'échafaud.

PARALLÈLE DE DUBARRY ET DE LA REINE.

Ces deux femmes ne supportent point le parallèle. L'une avait les faiblesses et la bonhomie d'une fille, l'autre a les ardeurs de Messaline et la cruauté de Frédégonde. La première aimait l'argent pour le dépenser et en faisait l'instrument de sa parure; la seconde l'aimait pour le thésauriser et en fait le ressort de sa vengeance. Celle-là se prêtait avec peine aux intrigues qu'on lui disait nécessaires au soutien de sa faveur ; celle-ci vole au-devant de l'intrigue et en fait l'âme de sa turbulente existence. Enfin, l'une a presque honoré un état qui ne peut pas l'être, et l'autre en a prostitué un qu'on ne croyait pas même pouvoir être avili1.

1. Essai historique sur la vie de Marie-Antoinette. Paris, 1789.

e que Mme Campan a dit de la nous le répétons:

reine,

« Je n'ai pas vu de femme aussi héroïque dans le danger, aussi éloquente dans l'occasion. »

Dès que sa grande et noble figure apparaît dans l'histoire de notre révolution, l'héroïsme élève et sanctifie les victimes royales; dès que le pamphlet se voit contraint de céder la place à la véritable histoire, parce que tous les faits sont publics, le personnage de la reine prend les plus hautes proportions historiques; de 1789 à 1793, toute la dignité de la royauté réside

en elle, elle a pu se tromper en politique, elle était elle-même si souvent trompée ; mais, pendant ces quatre années, elle a déployé toutes les vertus qu'il est possible d'attendre de l'héroïsme humain.

Durant ces quatre années, l'épouse accusée de trahir la foi conjugale, la mère corruptrice de ses enfants, la Messaline moderne, se sacrifie pour son mari et pour ses enfants : elle a pour son mari le courage qui lui manque quelquefois; elle a pour ses enfants des tendresses sans borne, comme si un pressentiment envoyé par la Providence l'eût avertie qu'elle n'aurait plus longtemps à les leur prodiguer. Elle dissimule ses craintes et ses angoisses, elle attend la solitude de la nuit pour pleurer, car elle ne veut ni décourager sa famille, ni encourager ses ennemis, par le spectacle de ses spectacle de ses chagrins.

Le 5 octobre 1789, dans la soirée, le roi lui fit proposer de se retirer à Rambouillet :

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Je ne me dissimule pas, répondit-elle, le

péril où nous sommes, mais je n'en suis

pas

intimidée; ma place est auprès du roi et rien ne pourra me déterminer à le quitter, surtout dans ce moment dangereux.

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Le lendemain, lorsque la populace remplissait en armes la cour du château de Versailles et que cette populace qui venait de massacrer les gardes du corps, placés aux portes de son appartement, réclamait avec des hurlements sa présence au grand balcon des appartements royaux; le lendemain, lorsque tous les courages virils semblaient anéantis, qui fut plus grande, plus courageuse, plus héroïque que personne? qui se présenta seule? car les égorgeurs avaient crié :

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Qui se présenta seule, calme, énergique et dévouée à cette horde ivre de vin et de

carnage? qui ne baissa pas son regard de

vant tous ces fusils chargés pour attenter à sa vie 1?... La reine!

1. Procédure du Châtelet, déposition des témoins. Le sieur de La Salle dépose qu'à Sèvres, il a été arrêté par une troupe de gens mal vêtus, armés de pistolets, fusils et bâtons; que cette troupe l'a forcé de retourner à Versailles, en lui disant que personne n'on sortirait que tout ne fût fini; que trois de ces particuliers montèrent avec lui dans sa voiture, et plusieurs autres sur le siége du cocher et derrière ; que le déposant demandant à ceux qui étaient dans sa voiture ce qu'ils entendaient par ces mots que personne ne partirait que tout ne fût fini, ils répondirent qu'il fallait que la reine eût le col coupé et qu'ils se fissent des cocardes avec ses boyaux.

Le sieur Cavalier dépose que des femmes toutes mouillées et crottées, en secouant leurs poches où il y avait de l'argent, disaient : Voyez comme nous sommes arrangées, nous sommes faites comme des diables. Mais la bougresse nous le payera cher.

Le sieur Brousse Despaucherats dépose que le sieur Maillard et une douzaine de femmes arrivèrent, remirent une expédition des décrets dont on ordonna sur-le-champ l'impression; que toute cette troupe, épuisée de fatigue et de faim, ayant demandé des aliments, on rassembla tout ce qu'on put se procurer de viande et de pain, et on leur servit, dans la salle attenant à celle de l'Assemblée, un souper qu'elles

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