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internes, telles que les remords, l'approbation, &c.

à

T

« Il y a, dit-il, des idées attachées aux paffions, celle de leur objet, par exemple, de tout ce qui peut les nourrir, où les fatisfaire. Chaque paffions'occupe particulierement à fuggérer ces idées, à les mettre fans ceffe fous nos yeux; à exciter l'efprit à les concevoir. Qu nous fixons naturellement notre attention à ces idées; ou nous aimons y revenir fouvent... Lorsqu'on eft dominé par une paffion, la difficulté n'eft point de fe rappeller les objets qui y ont un rapport immédiat, mais d'empêcher qu'ils ne foient toujours préfens. Un homme irrité peut à-peine écarter l'idée de celui qui l'a offenfé & celle de l'injure qu'il lui a faite. Il fe peint avec plaifir les défagrémens, les malheurs que fon ennemi a effuyés. Il repaît fon imagination de ceux qui peuvent lui furvenir, de tout ce qui flatte fa colere, de tout ce qui s'y rapporte dire&ement ».

« La même paffion inspire plufieurs idées de différente espece. Elles fe préfentent tourà-tour à l'ame agitée, qui, fans s'y attacher, paffe rapidement de l'une à l'autre. L'incohérence des idées d'un homme fortement ému a fa fource dans cette fucceffion fubite ».

« Les objets, ajoute-t-il, étroitement liés à la paffion, le font également par un principe d'affociation, à d'autres objets qu'ils cherchent toujours à préfenter à l'ame. Or,

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comme il paroir que chaque paffion tend à fixer nos pentées fur les objets qui l'ont allumée, il semble qu'elle devroit rejetter l'idée de tout autre objet, & c'est ce qui arrive en effet. La paffion s'oppofe de toutes les forces à ce que l'ame apperçoive autre chofe que ce qui lui fert d'aliment à elle-même. Mais l'homme eft conftitué de manière qu'il ne peut fixer exclufivement fon attention for un feul. Il réfulte de ce conflict de la force de la paffion, & de celle de la conftitution' na turelle, que l'ame violen ée dans la sphere des objets qui peuvent l'occuper, s'attache, malgré elle, à ceux qui ont un rapport immédiat à la paffion, & qu'elle les contemple, comme par dépit fous tous les points de

vue ».

Les poëtes dramatiques, obferve M. G., tombent fouvent dans une grande faute. Aulieu de représenter leurs perfonnages euxmêmes agités de paffions vives, ils les peignent comme de fimples fpectateurs de ce qui fe pafle dans le cœur d'autrui, ou pour nous fervir des paroles mêmes de M. G., loin de donner un tableau naturel des paffions, ils n'en offrent qu'une defcription d'idée.

« Un objet étroitement lié avec une paffion, & préfenté à l'ame par elle, peut être confidéré fous ce point de vue, ou comme de une fimple perception. Son influence fur l'affociation eft très-différente fous l'un ou l'autre afpect. Lorsqu'il n'eft qu'une fimple per

ception, il fait naître dans l'ame toutes les idées qu'une quali affociatrice quelconque rapproche de lui; mais s'il eft préfenté à l'ame par la paffion, il en reçoit une teinte; il eft dans fa dépendance; il n'exerce fa force affociatrice qu'autant & de la maniere que la paffion le permet; il n'offre que

les idées qui lui conviennent, & empêche . Pame de s'en écarter. Si celle-ci ceffe de le contempler, ce n'eft que pour un inftant, pour en confidérer un autre auffi étroitement lié à la paffion, & pour revenir auffitôt au premier. Par exemple, un homme peut penfer à la détreffe d'un autre, fans fentir de la pitié. L'idée feule de la détreffe peut lui rappeller quelque action de ce malheu reux, quelqu'autre perfonne liée à cette action, ou avec la perfonne qui foufre, quelques particularités de leur vie & de leur fortune, & lui ouvrir ainfi un vafte champ d'idées. Mais lorsque la mifere infpire la pitié, cette paffion tendre, ce fentiment vif ne s'égare point en de vaines excurfions gil fixe toute notre attention fur l'objet qui le produit. Cette détreffe peut porter la vue fur quelques autres exemples avec lesquels ellea de la reffemblance, & par oppofition, fur des circonftances de la profpérité qui l'a précédée. Elle peut nous engager à réfléchir fur fes caufes, les fuites, &c; en un mot, elle peut faire.naître quelque idée étroitement liée avec la paffion; mais elle n'eft nullement

propre à en fuggérer d'étrangeres, à jetter l'imagination dans des fpéculations vagues & fuperflues. Si l'ame s'y livroit, la paffion la rameneroit bientôt à fon objet & à des - idées plus conformes à elle-mème ».

«Or, un poëte peu attentif a-t-il faifi quelque objet étroitement lié à une paffion? II ne le confidere qu'en général, & abftraction faite de la perception préfente. Il s'abandonne à cette chaîne d'idées que l'objec préfenteroit à l'ame, fi elle n'étoit pas affectée de paffion. Il fe livre à fon imagination froide, aux idées qu'elle lui fournit, & 'il prête celles-ci an perfonnage agité par la paffion, Il ne la fent pas lui-même; il n'a ni la force de génie, ni la fenfibilité d'ame néceffaires pour concevoir comment elle affecteroit la perfonne qui la fentiroit, ou pour prendre les fentimens qu'elle doit produire. Ceux qu'il exprime,conviendroient peut être dans une defcription; dans un ouvrage de difcuffion, daus une méditation fpéculative occafionnée par la vue de tel ou tel objet mais ils ne font pas naturels à un perfonnage entraîné par la paffion, Pour concevoir & exprimer ceux qui lui font propres, il faudroit que le poëte contemplât l'objet fous. le feul point de vue où il eft intimément lié à la paffion, & qui l'a excitée ».

Dans la Se. fection, il s'agit de la foupleffe de l'imagination, «Elle a lieu, dit l'au teur, jufqu'à un certain point, chez tous

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les hommes, mais plus ou moins chez les uns que chez les autres. Nul n'a l'imagination fi pefante, fi invariablement attachée à une forme, que l'habitude ou quelque caufe accidentelle ne l'affecte diverfement. Mais elle l'eft plus ailément dans deux efpeces d'hommes. Dans ceux qui n'ont pas un génie fupérieur ou caractérisé par quelque nuance particuliere, l'imagination eft facilement détournée de fa route ordinaire, & elle faifit promptement tout ce qui peut dévelop per fon énergie, & accélérer fon action. Dans ceux qui ont le génie élevé & tranfcendant, le même effet eft produit par une caufe différente. La vigueur, l'activité du principe d'affociation donne une grande délicateffe, une extrême vivacité à l'imagination, la rend fufceptible des plus fortes impreffions, & la foumet à toutes les caufes accidentelles. De tels hommes empruntent la force de toutes les caufes, & leur génie en reçoit une nuance paffagere. Leurs productions font marquées au coin de ces différentes caufes, d'où réfulte l'activité & la foupleffe de l'imagination. Les ouvrages des premiers n'ont point de caractere générique; mais ils ne fe reflemblent pas plus que ceux de différentes perfonnes. Ceux des autres, malgré la variété qui y regne, ont une empreinte particuliere à laquelle on reconnoit qu'ils font de la même main ».

Les ouvrages des hommes de génie dif

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