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Eh quoi! dans mon malheur, c'est moi qui vous

confole?

Qu'a donc de fi cruel l'honnête pauvreté ?
La fortune me quitte, & ne m'a rien ôté;
C'eft une onde qui fuit, un nuage qui vole,
Et je ne dépends point de fa légéreté.

L'auteur dit à fon ami de ne point prendre la peine d'affermir fon courage; il a vu, il a jugé tout ce qu'il perd; il compare les illufions du bonheur à ces taillis épais où l'on croit aller jouir d'un air plus pur, de l'ombre ou du filence, & où l'on rencontre d'humides vapeurs, & d'odieux reptiles.

C'est un tableau des illufions vaines :

On dit de loin, ah ! qu'on est heureux là! Nous y courons, & ce n'eft plus cela; Notre plus beau fuccès vaut rarement nos peines.

Il fe peint Socrate confervant dans Athenes fa noble pauvreté, fans orgueil & fans austérité.

Remarquez, difoit-il, l'alliance éternelle
De la douleur & de la volupté ;

Ce font deux fœurs, l'une à l'autre fidelle
Quand l'une vient,l'autre fuit...

Veut-on un fage plus auftere; il peint Caton, ce fier républicain.

Il s'enivroit, le fait eft très-certain,
Mais en caufant de quelque grande affaire;
Car à fa foif, il buvoit de l'eau claire;
A fes repas, il mordoit dans fon pain,
Son appétit cefloit avec fa faim. (*)
(*) Huic epula viciffe famem, &c.

LUCAIN.

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Le vil abri d'un mur où croiffoit l'herbe,
Un fimple toit, allongé d'un auvent,
S'il détendoit de la neige ou du vent
Lui paroiffoit une maifon fuperbe.
Un vieux manteau dont il se pût vêtir,
Etoit pour lui de la pourpre de Tyr.
Inébranlable en ce mâle fyftême,

De la vertu retranchant l'honneur même
Faifant le bien fans l'attrait du plaifir,
La volupté n'effleura point fon ame;
Et de Vénus quand l'appas triomphant
L'aiguillonnoit à careffer fa femme,
C'étoit un citoyen qui créoit un enfant.

Il paffe enfuite à l'examen des autres philofophes, fceptiques, épicuriens, cyniques, &c.

Ils ont fur le bonheur tout dit, tout réfuté.
Ils ont par cent chemins conduit à la fageffe;
Mais dans leur contrariété,
Quelques-uns ont craint la richeffe,
Aucun n'a craint la pauvreté.

Après s'être appuyé & de l'exemple & de la modération du jeune poëte auquel il écrit, il le transporte dans ces contrées du nord qu'il a parcourues, & qu'il peint comme Virgile auroit pu le faire.

Dans ces affreux climats où regnent les deux

ourses,

Où l'océan glacé par de plus froids hivers,
Eft immobile & fourd au fifflement des airs,
Où les fleuves fix mois s'enferment dans leurs
fources

Où la nuit d'un feul voile embraffe deux faifons, Quand les Lapons fous terre ont creufé leurs maisons,

Ils vivent, font heureux, & chantent fous la glace.

Cependant les zéphirs fortent d'un long fommeil,
Et l'onde blanchiffante annonce leur réveil;
Le jour, pendant fix mois, ne defcend pas fous
l'onde;

L'horifon tout entier fert de route au foleil.

L'automne & le printems confondent leurs tréfors; Tant les cieux ont verfé de bienfaits fur ces bords.

L'auteur revient à fa philofophie,prife dans fon caractere; dès qu'il a vu l'efpérance le fuir, il a dans un fort nouveau, pris un nouveau plaifir.

Heureux par cette humeur fagement inconftante,
C'est la facilité qui m'invite & me tente,
Quand de jeunes beautés m'ont pris dans leurs
filets,

En m'offrant, chaque jour, une vaine espérance
De leur facilité la trompeufe efpérance
Etoit le piege où je courois.

Hélas! vous le fçavez, échappé de mes fers,
J'aime le fouvenir des maux que j'ai foufferts;
Ce que je crains, c'est l'ennui du rivage.

Un jour, une actrice fameufe

Me contoit les fureurs de fon premier amant; Moitié riant, moitié rêveuse

Elle ajouta ce mot charmant :

Oh! c'étoit le bon tems, j'étois bien malheureuse. Mais revenons à mon adverfité,

Que j'oubliois.

Le poëte revient à fa pauvreté, qui ne fut jamais un obftacle à la gloire & à l'im mortalité.

Ulyffe nud, dépouillé par Neptune,
Eft immortel; un pauvre l'a chanté.

Il fe fouvient alors de fon ami, l'abbé Chappe, devenu immortel fans fortune & fans appui, & mort en Californie, après avoir tracé le cours de Vénus éclipfée. Les vers que M. de Rhulhieres confacre à la mémoire de cet ami célebre, honorent fon ame autant que fon efprit. Il s'adreffe enfuite aux mufes, auxquelles il doit tout.

Si j'obtins le fuffrage

De ce miniftre heureux & regretté, (1) Honneur du miniftere, & que l'exil honore Que pendant fa faveur je n'ai jamais chanté: Ce fut un de vos dons.

M. de Rhulhieres doit encore à fes talens une protection 'plus élevée, & c'eft par le fentiment de la reconnoiffance qu'il en a, que fon épître eft terminée. Son cœur, ditil. en fuivant les confeils d'Horace, s'affer miffoit contre la perte qu'il avoit faite des bienfaits de fon premier Mécene.

Mais un jeune immortel m'a pris fous fon égide; Un prince (2), ami des arts & de la vérité, Accorde à ma muse timide

Un bienfait non follicité;

La fortune revient, à fa voix fouveraine,
Fixer de mes deftins la balance incertaine
Les vents ne l'agiteront plus,

Et lorfque j'ai perdu Mécene,
J'ai retrouvé Germanicus.

(1) M. le duc de Choifeul. Cette épître étoit faite depuis plus d'un an, puisqu'on y parle encore de l'exil de ce miniftre.

(2) Monfieur, frere du roi,

Nous avons confidérablement accourci cette épître, où l'auteur des Difputes nous femble encore avoir élevé fon ton par la fierté des images, la nobleffe des idées, & les charmes de la poéfie. Quelle différence d'une pareille épître à ce jargon trop familier de nos épitres familieres,qui ne difent rien à l'imagination, qui ne laiffent rien à la poéfie, & qui ne font que des niaiferies cadencées, nugæque canora.

CLÉOPATRE, tragédie en

I

ades. Par M. L...,

avocat. A Paris, chez Piffot. 1775.

L paroit certain que ce fujet fi rebattu & toujours fi malheureufement traité, ne peut réuffir fur notre théâtre. Qu'y-a-t'il en effet de moins digne de la fcene qu'un romain, un vieux guerrier, qui vient de fe couvrir d'opprobre, en abandonnant la victoire à fon ennemi, pour fuivre une femme, & une femme telle que Cléopâtre nous a été peinte par tous les hiftoriens? Mais ce nom romain, toujours fi impofant, les caracteres, les intérêts des principaux personnages de cette époque, pouvoient aumoins fournir de beaux détails; & dans ce cas, on auroit applaudi aux talens de l'auteur, en le plaignant d'avoir choifi un pareil fujet : on n'éprouve point ce fentiment de commifération pour M. L., avocat, quel qu'il puiffe être. Cette lettre initiale du nom de l'auteur, eft, fans doute, un piege tendu au public. Nous ignorons fi le célebre avocat M. L., le véritable M. L. ne s'eft prefque point occupé de vers & de théâtre ; mais nous fçavons qu'il penfe & la fingularité de quelques-unes de fes opinions prouve plus ou moins heureusement qu'il penfe

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