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de mon ame dans tous les tems, & fous tous les titres imaginables ».

« Ufons d'économie dans les témoignages publics de notre tendreffe. Ne dédaignons point de montrer les égards, les préférences, la politeffe la plus attentive... Soyons & paroiffons être ce que nous refpe&tons le plus.. Je te propose l'exemple des amans heureux; on les devine, mais ils ne fe dévoilent pas... Que l'habitude de vivre enfemble n'éteigne point en nous le defir de plaire, & ne nous en fafle pas négliger les moyens : ils font de tous les tems, de tous les âges. Ils doivent entrer dans toute la conduite de notre vie... Rien dans ce foin flatteur ne fçauroit nous être pénible. Quoi de plus délicieux que de pouvoir nous dire chaque jour: c'eft pour lui, c'eft pour elle que je conferve précieufement les avantages qui m'en ont fait aimer, que je combats tel défaut, que je m'enrichis d'une qualité nouvelle... J'ajoute à notre commun bonheur, en ajoutant à la fomme de mes perfections &c. ».

Ce morceau, que nous avons encore abrégé, doit prouver, à ce qu'il nous femble, ce que nous avons dit & des principes fages & de la maniere d'écrire de l'auteur, dont le but utile dans ce roman, eft de montrer combien l'être frivole qu'on appelle fouvent dans le monde une jolie femme, peut fe caufer de maux à elle-même & à ceux qui ont la foibleffe de s'y attacher.

P

Almanch des Mufes. 1775.

DERNIER

EXTRAIT.

Armi les différentes fables qui fe trouvent dans ce recueil, nous n'oublierons point de remarquer celle qui a pour titre l'Anon, par M. de Fumars. Elle a du naturel, de la précision dans le style, & un grand fens dans fon objet."

L'ANON. Fable.

Tout eft joli dans la verte jeuneffe.
Un ânon bondiffant

Déployoit dans une pré fa vive gentilleffe.
Pour l'approcher, venoit-on doucement;
Notre efpiegle aux aguets, le nez sur la prairie,
Vous laiffoit arriver, mordant l'herbe fleurie,
Et zefte! le malin partoit en gambadant.
Voyoit-il un courfier; il alloit au-devant,
Le faluoit des deux pieds de derriere,
Même parfois un peu trop poliment.
Bref, il étoit un très-aimable enfant;
Sa mere l'admiroit; & quoique d'ordinaire
Une âneffe ne manque guere,
D'amour-propre, de bonne foi,

Elle croyoit avoir fait plus joli que foi.
Mon fils eft un cheval, il eft bien davantage;
Qui fçait ce qu'il fera? Que dieu lui prête l'âge,
Et nous verrons : les ânes d'alentour

Gens très-galans, & qui faifoient leur cour, Exagéroient encor, & la grace légere,

Et l'air vif du mignon, & ne manquoient de braire

Qu'il étoit un zéphir, un prodige, un amour. Meres, fur vos enfans vous ne fçauriez vous taire;

Et votre fot babil a d'abord son effet : On vous l'affure, ils font, ils feront des merveilles :

Hé! croyez-moi, l'ânon eft leur portrait. Le zéphir devient lourd, l'amour prend des oreilles, Et le prodige eft un baudet.

Nous parlerons encore d'une fable de M. l'abbé le Monnier, qui dans ce genre appro che quelquefois de la naïveté de La Fontaine. Ses fujets font toujours intéreffans, philofophiques, & d'une morale utile. Celle-ci a pour titre le Ruiffeau.

Dans fon cours tortueux le paifible Laizon
Arrofoit d'immenfes prairies;

Sur les bords les herbes fleuries
Parfumoient le plus verd gazon.

Sur un fable doré fes ondes argentines
S'échappoient entre les ruines.

Des faules, des tilleuls, des aulnes, des ormeaux.
Ces arbres, uniffant tendrement leurs rameaux,
A mille oifeaux divers offroient un doux afile.
A leur ombre un bouvier tranquille
Contemploit de loin fes troupeaux,
En répétant, fur les pipeaux,

Le refrain de la chanfonnette >

Qui doit charmer la groffe Annette.

Pendant le chaud du jour, les bœufs, fans s'émou

voir,

Avançoient à la file, alloient à l'abreuvoir;
Ils y reftoient au frais, tandis qu'à la barriere
Les vaches, en meuglant, couroient vers la fer-
miere,

Qui venoit d'un pas lourd, balançant à la main
Une large cruche d'airain.

Chacune vouloit la premiere

Offrir fon pis gonflé de lait.

Doux Laizon! vous deviez être bien fatisfait.

Falloit-il que l'ambition

S'en vînt vous mettre dans la tête

De vaftes projets de conquête ? Conquête fignifie auffi deftruction.

Laizon s'adreffe aux vents, ardemment il les prie;
Ne la rappellons pas cette priere impie;
Amis, elle feroit horreur.

Les vents l'ont entendue.

Le doux Laizon devient un torrent désfastreux:
Il dédaigne fes bords; les flots tumultueux
Ont détruit, ravagé les fertiles campagnes:
Arbres, bergers, troupeaux, pêle-mêle entraînés,
Montrent de toute part aux humains confternés
La mort qui s'applaudit, & leve un bras terrible.
Laizon avec le tems devint calme & pailible;
Mais ce fut vainement que le calme revint;
On ne l'aima plus, il fut craint.

Ces deux fables nous conduisent naturellement à des vers ingénieux de M..Fréron fur Elope & fur La-Fontaine; les voici.

Je t'aime, ô vérité! mais ton éclat me bleffe;
Elaire moi, fans m'affliger;

Que ton flambeau, propice à ma foibleffe,
Ne brille qu'a travers un nuage léger.

Ainfi penfoit le fage Efope.
D'un tiffu délicat de voiles tranfparens,
Cenfeur adroit, il enveloppe

La morale du peuple & la leçon des grands.
La-Fontaine! Dieux! La Fontaine,

Dès qu'il parut au double mort,

On vit tous les lauriers qui bordoient l'hypocrene, S'agiter, fe pencher & couronner fon front.

A la nature, à la raison fidele,

Toujours peintre, jamais auteur,
Il eut Elope pour modele
Et n'aura point d'imitateur.

Leurs fables font des comédies;
Les acteurs font des animaux.

Mortels, accourez tous, & dans leurs parodies,
Venez voir vos erreurs, vos vices, vos défauts.
Ici paroit l'agneau timide,
Victime d'un loup raviffant;

Cette fcene eft pour l'homme avide,
Lâche oppreffeur de l'innocent.

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Tantôt après des efforts & des cris

Que renvoyoient au loin mille échos emphatiques, Une montagne en couche enfante... une fouris, Rimailleurs bourfoufflés, profateurs hydropiques, Ou je me trompe, ou voilà vos écrits.

C'est par cette heureuse magie,

Que prêtant notre efprit aux animaux divers,
La-Fontaine & l'Efclave, honneur de la Phrygie,
Dans leurs drames charmans inftruisent l'univers.

Nous terminerons cet extrait par une épitre adreffée à M. de Chamfort, par M. de Rhulhieres,fur le renversement de fa fortune. Nous la regardons comme le morceau le plus important du recueil. On y trouve le ton d'Horace & celui de Chaulieu ; c'eft la philofophie, c'eft la raifon parées des attraits de la poéfic. Sa longueut ne nous permet pas de la tranfcrire entiere; mais nous en fuivrons le fil avec le plus d'exactitude qui nous fera poffible.

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