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fon amant heureux; mais la diverfité, & prefque l'oppofition de leurs caracteres jette encore des longueurs fur cette affaire. 1.e deuil fini cependant, on fe rapproche, & Mme de Rozane elle même paroit oublier les torts anciens du fils de fon mari, & con. fent à fon union avec fa fille,

Une longue converfation morale que tient Rozane, le lendemain de fon mariage, à fa femme, étonne fon efprit léger; cependant l'amour n'en fouffre point; Mme. de Rozane eft l'époufe la plus tendre & la plus fidelle; elle devient mere d'une fille; ce nouveau lien devroit refferrer encore plus étroitement les époux; mais l'humeur gagne la comteffe; fon mari s'en afflige; on le calme d'abord; mais on s'accoutume à regarder les petits chagrins comme des défauts de caractere: on conferve pour lui un fentiment de préféren ce, qui n'empêche pas que fa fociété ne perde fes charmes, & fes careffes leur enchantement; le monde redevient néceffaire; on recourt après les fêtes.

Le comte part pour fon régiment, & une nouvelle imprudence va perdre fon épouse: elle trouve dans le monde un parent de Mme. de Villeprez; on lui apprend qu'il eft attaché au char de Mme. d'Archennes, & elle conçoit l'idée d'enlever cet amant à sa mortelle ennemie: Cardonne a l'air de fe prêter à la fantaisie de la comteffe, & il avoit déjà fait du chemin dans fa tête, lorfque fon

mari revient. Il fe plaint des vifites de ce parent d'une méchante femme, & il en demande le facrifice, qui coute des larmes, dès qu'on n'a plus le mari pour témoin.

Cardonne continue de fecrettes intelligences avec la comteffe, à laquelle il a même fait agréer un moyen de fe voir dans une maifon tierce, qui fera pour eux un lieu fûr; mais la comteffe eft cruellement jouée. On a fait tomber aux pieds du comte, dans un jardin public, un paquet qui contient les lettres de fa femme à Cardonne, & c'eft encore une noirceur de Mme. d'Archennes.

Rozane a pris fon parti; il remet ces lettres à la femme, & y en joint une de lui, qui l'inftruit de fa fuite, & de fes ordres pour l'éducation de fa fille. La comteffe désespérée sent tous fes torts; mais, au lieu de fe jetter dans un couvent, ou d'aller implorer fa grace auprès de fon mari, elle s'enfuit à la campagne. Elle apprend que Mme. d'Archennes a eu le plaifir cruel de conter fon hiftoire, & elle fuit encore plus loin dans une terre qu'elle a en Bourgogne, près d'Autun; elle y fait bâtir, elle s'y meuble avec fafte; elle attire chez elle tous les voifins; &, comme elle le dit, le fracas du préfent étouffe le fouvenir du paffé.

Elle reçoit une lettre de fa mere, enlaidie, vieillie tout-à fait par la petite-vérole, & retirée au couvent, qui lui mande de venir la trouver, & elle fe met en route. Elle

apprend de fa mere que Rozane eft tombé dans une langueur effrayante; qu'il y a tout à craindre pour fa vie. Cette mere, devenue plus raifonnable par les épreuves où elle a paffé, confeille à fa fille d'aller revoir fon mari, & de tâcher de l'arracher au danger qui le menace. Confeffion de cette mere fur fa vie paffée, qui peut être une leçon excellente pour Mme. de Rozane, & pour les pareilles.

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La comteffe arrive à la terre de fon mari avec fa fiile, qui avoit toujours été fous la main d'une demoiselle de Salles, à laquelle le pere l'avoit confiée. Elle eft mieux reçue de fon mari que de tous les gens qui l'entourent, parce qu'on fçait qu'elle eft la cause de la mort du plus honnête & du plus vertueux des hommes. M. de Rozane, avant fa mort donne d'excellentes leçons à fa femme; tout ce tableau du roman eft intéreffant, & plein de la plus utile morale. Le comte mourt; fa femme eft défespérée; elle va le jetter, avec fa fille, fur la tombe de cet infortuné; mais elle revient à Paris, & ces larmes fi juftes que je croyois intariffables, dit elle, s'arrêtoient dans mes yeux, quand je les tournois vers la carriere fleurie où je pouvois rentrer.

Elle y rentre en effet. Des goûts paffagers qu'elle honoroit du nom de paffions, lui pro curent de l'amufement, des chagrins, quelques plaifirs, jamais le bonheur. Elle vieillit

fans s'en appercevoir, fans fe douter qu'elle ajoute au défordre le ridicule. C'eft à la fille & aux confeils de l'ami pour lequel elle vient d'écrire fa vie, qu'elle doit fon retour à la raifon : cette fille, élevée avec foin par Mlle. de Salles, fait rougir fa mere, l'humilie, la fait rentrer en elle même, ainfi que l'ami vertueux dont nous verons de parler; ami qu'il eft rare qu'une femme de fon caractere ait pu fe procurer.

Telle eft la chaîne des faits principaux de ce roman, un des meilleurs qu'on ait pu lire depuis le filence de Mme. de Riccoboni: on y trouve des caracteres bien deffinés & bien fuivis, des tableaux très-intéreflans, des fcenes touchantes, des détails utiles & agréables, & en général du ftyle. Nous foupsonnons que l'auteur eft une femme, à la décence de quelques fcenes, qu'un homme eût cru rendre plus piquantes, en les rendant moins honnêtes.

Pour donner à nos lecteurs une idée du ftyle & de la morale de l'auteur, nous tranf crirons ici ces leçons que donne Rozane à fa femme, après la célébration de fon mariage,& dont la nouvelle mariée ne fut pas d'abord auffi contente qu'elle auroit dû

l'être.

<< En recevant au pied de l'autel cette main que je ferre avec tant de fatisfaction, j'ai acquis des droits fur votre perfonne : des droits quelle rebutante expreffion! Eh

!

je pourrois en faire ufage avec mon épouse, mon amie?... Ah! garde-toi de le penfer.. Mitreffe abfolue de tes faveurs, ton amant, ton tendre amant les follicitera avec vivacité; mais ton mari ne les exigera pas. Quiconque réduit en dette exigible les marques touchantes de la tendreffe d'une femme, la dégrade, & fe trahit lui-même; il détruit l'illufion enchantereffe des defirs, ravit à fa compagne le pouvoir d'y ajouter, en les réprimant.... Mon aimable amie, pour être en garde contre moi-même, il me fuffit d'avoir étudié les hommes; fiers, altiers, ils fecouent leurs chaînes dès que l'ivreffe de leurs fens eft diffipée. Des ombres, des taches fe répandent dans leurs cœurs fur une image adorée, par cela feul qu'ils ont promis de ne l'en pas déplacer.... Les femmes, plus timides, plus faites pour la dépendance, font auffi plus portées à remplir leurs engagemens; mais elles ont des dégoûts, des langueurs, des inégalités.... Que n'avons-nous pas à redouter des défauts de mon fexe & des foibleffes du tien? Que feroit-ce, fi notre délicieuse exiftence fe changeoit en cet attachement d'habicude par qui l'ame eft engourdie?... Mais tirons un rideau fur une perspective plus affreuse à envisager que la mort; il n'arrivera pas ce malheur dont le nom me feroit horreur à prononcer... Je te chérirai comme ma premiere amie, quand le froid de l'âge viendra me failir. Tu rempliras la capacité

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