Mais ce n'est là qu'un texte isolé : on rencontre au Code de nombreux rescrits, depuis Alexandre Sévère jusqu'à Justinien, qui prouvent que les empereurs essayèrent de lutter contre la croyance générale et persistante à la nécessité d'un écrit dans les actes juridiques les plus importants. Ces idées sur le rôle de l'écrit dans la formation des contrats trouvèrent leur expression dans les actes dressés par les notaires italiens; on voit figurer dans les actes du Ve au VIIe siècle une clause d'usage: consensi et subscripsi, je consens et je signe : c'est la preuve que les parties réservaient leur consentement jusqu'à la signature du contrat (1). Ainsi donc, dans le dernier état du Droit romain, l'instrumentum était devenu, lorsqu'il était exigé par la volonté des parties, un élément formel du contrat, de simple moyen de preuve qu'il était tout d'abord. Le mouvement qui emportait la pratique vers le formalisme de l'écriture eut son contre-coup sur la législation dans certaines hypothèses particulières, la rédaction d'un écrit était exigé par la loi elle-même, comme condition essentielle de la validité de l'acte. 2 Ces actes se rattachent pour la plupart à l'état des personnes; c'est en cette matière, en effet, que devait le plus se faire sentir la nécessité d'un titre écrit. D'ailleurs, la pratique antérieure poussait le législateur dans cette voie et justifiait son intervention: on sait que les principaux objets d'application de la juridiction gracieuse des préteurs étaient l'affranchissement des (1) Stouff, loc. cit. esclaves, l'adoption, l'émancipation; la cessio in jure, la missio in possessionem, la nomination des tuteurs et curateurs. Dans tous ces cas, l'office du magistrat consistait à donner le caractère de l'authenticité aux faits qui étaient accomplis oralement en sa présence. Mais quand l'habitude de conserver les jugements par écrit se fut introduite au temps des jurisconsultes classiques, elle s'appliqua aux décisions de la juridiction volontaire, aussi bien qu'à celles de la juridiction contentieuse. Chacun des actes passés devant le magistrat était consigné dans un procès-verbal et déposé ensuite au greffe du tribunal, apud acta. Les constitutions impériales ne firent que régulariser cette pratique en décidant que l'écriture serait indispensable en certaines matières; mais l'écrit n'était pas nécessairement public: lorsque la loi était muette sur la forme de l'acte un écrit privé suffisait. Ainsi l'ingénuité ne pouvait être prouvée que par écrit (Loi 2, C. 4. 20). Pour contracter mariage, il n'était pas nécessaire de dresser un acte dotal, excepté lorsque les époux relevaient leurs enfants de la tache originelle du concubinat (Inst. I, 10, § 13 et Cf 11. 10 et 11, C. V, 27). Toutefois ce principe variait suivant la qualité des personnes ; ainsi Justinien défendit aux grands dignitaires de se marier sans un acte dotal; les citoyens du rang immédiatement inférieur durent soit se conformer à la même prescription, soit se présenter devant le defensor ecclesiæ qui recevait la déclaration de leur mariage et en dressait acte avec l'assistance de trois ou quatre témoins choisis parmi les clercs; l'acte était ensuite déposé dans les archives de l'Eglise. Les laboureurs, les simples soldats et les pauvres furent seuls dispensés de ces nouvelles formalités (Novelle 74, ch. 4). Mais le clergé ne tint pas longtemps ces premiers registres de l'état civil; la Novelle 117, ch. 4, ayant apporté des restrictions à la Novelle 74. Pour divorcer il fallait toujours un acte de répudiation écrit (Loi 8 pr. C. de repud). La légitimation n'avait jamais lieu sans écrit, car elle ne pouvait se faire que par mariage subséquent dotalibus instrumentis compositis, par oblation à la curie avec inscription sur ses registres (Loi 3, C. de nat, lib.); par rescrit impérial, ou par testament du père confirmé par rescrit. L'adoption se faisait également par acte dressé en présence du magistrat actis intervenientibus apud competentem judicem, et l'adrogation par rescrit du prince avait la même valeur que celle accomplie devant le peuple à l'époque antique (11.2, § 1 et 11, C. VIII. 48). L'émancipation anastasienne n'avait lieu que par écrit le père émancipateur devait obtenir un rescrit du prince et le faire insinuer apud acta (Loi 5, C. 8, 49); sous Justinien une simple déclaration devant le magistrat suffit désormais (Loi 6 eod.). En 316 Constantin autorisa les affranchissements dans les églises un écrit quelconque devait être dressé et revêtu du sceau des prêtres faisant fonctions de témoins (Loi 1, C. 1, 13). La rédaction d'un écrit était encore nécessaire pour la perfection des donations, toutes les fois qu'elles devaient être insinuées. La loi Cincia étant tombée en désuétude probablement dans la seconde moitié du troisième siècle (Nov. 162, cap. 1), on vit appa raître à la place une théorie nouvelle: celle de l'insinuation, c'est-à-dire la copie de l'acte sur les registres. du magistrat supérieur ou du juge local. Au reste, nous reviendrons sur cette institution à propos des acta publica. Dans certaines matières comme le testament, si l'écriture n'est pas imposée par le Droit civil, elle est du moins d'un usage très répandu : le testament nuncupatif n'existe plus qu'à l'état théorique, les textes le mentionnent seulement pour mémoire (Inst. II, 10, § 14 Loi 2, § 1, C. VI, 11). Enfin, dans d'autres hypothèses la loi ne faisait que consacrer implicitement une habitude de la pratique en ajoutant encore à ses exigences: ainsi dans la constitution d'hypothèque on accordait la préférence à un acte public ou publice confectum sur un acte privé en ce qui concerne le rang de l'hypothèque. Cette faveur aboutissait au même résultat que si la loi eût exigé directement un écrit dans la forme où il avait le plus d'autorité, c'est-à-dire un acte public ou dressé par un tabellion (Loi 11, C. 8, 18). II CLASSIFICATION DES INSTRUMENTA Les écrits probatoires romains sont de deux sortes: les écrits privés, les écrits publics. Les écrits privés comprennent eux-mêmes plusieurs variétés les instrumenta domestica, les instrumenta privata proprement dits; puis, formant une classe à part, intermédiaire entre les écrits privés et les écrits publics, les instrumenta quasi publice confecta et les instrumenta publice confecta. Par instrumenta domestica il faut entendre les notes que les Romains avaient l'habitude de prendre chaque jour sur les matières intéressant leur fortune ou leurs opérations commerciales: telles sont les inscriptions sur le codex accepti et expensi (rationes domestica) autres que celles qui constituaient le contrat litteris; les registres des banquiers (argentariorum codices); les pièces concernant l'administration des biens des pupilles et qui devaient servir de base aux comptes de tutelle (rationes pupillares): enfin une certaine catégorie de quittances (apocha) écrites par le créancier. C'étaient là des titres que l'on se donnait à soi-même, et qui par suite n'avaient que peu de valeur au point de vue juridique: en effet, l'acte émanait de la partie qui devait faire preuve et à laquelle il devait servir de preuve. Cette première forme d'écrits privés est le produit d'une période de transition entre le régime de la preuve testimoniale et celui de la preuve littérale : l'acte est simplement un memorandum à l'aide duquel on peut retrouver les témoins et leur rappeler ce qu'ils prétendent avoir vu ou entendu. Parmi les écrits rentrant dans cette catégorie, on peut citer celle des quittances découvertes à Pompeï en 1875, où il est constaté que le créancier « dixit se accepisse » (1). La comparaison de l'écriture de (1) Dans ce cas, le créancier se borne à signer la quittance rédigée par le débiteur, mais cette signature est purement facultative, (Cf. Bruns, p. 276), comme la présence des témoins. C'est ce qui fait qu'on a quelquefois appelé ces écrits professiones, la professio étant l'aveu fait devant témoins et servant de preuve, « pecuniæ solutæ professio collata instrumento gestæ rei probationem continet (loi 14, C. 8, 42). — Con |