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CHAPITRE PREMIER

LE CONTRAT LITTERIS

Le contrat littéral n'est en principe que l'enregistrement effectué par les deux parties d'une dette d'argent établie d'une autre manière c'est ce que prouvent les expressions: expensum et acceptum ferre. D'après son but originaire cet acte n'était qu'un moyen de preuve, puisqu'il ne faisait que reconnaître une obligation préexistante. Mais cette reconnaissance ayant une force probante absolue devint par la suite un mode particulier de s'obliger, indépendant de la conclusion de tout autre contrat : dès lors le contrat litteris put être classé parmi les actes solennels.

L'usage du contrat littéral remonte assez haut dans l'histoire de Rome: d'après Tite-Live (24, 18 et 35, 7) il existait déjà du temps des guerres puniques. C'était avons-nous dit, le dernier démembrement de l'antique nexum, servant de transition entre le formalisme rigoureux de l'époque primitive et les principes nouveaux sur l'effet du consentement.

Cicéron nous rapporte que de son temps chaque citoyen avait coutume de tenir des livres ou des registres domestiques (tabulæ, codex) sur lesquels il mentionnait jour par jour les opérations de toute nature relative à sa fortune. L'austérité et la foi des premiers Romains donnèrent à ces tables domesti

ques un caractère de sanction publique et presque religieuse; de là le soin que l'on apportait à leur tenue (Cic. pro Q. Roscio com. orat. III, §§ 1 et 2; Pro Cluentio § 30). Cette institution nationale est née du grand esprit d'ordre des Romains; les livres domestiques donnaient au propriétaire lui-même et, le cas échéant, aux tiers, un aperçu constant de la situation de ses affaires. Sans aucun doute ils eurent une grande influence sur le système du crédit personnel: la décadence de cette institution marque l'avènement du crédit réel.

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Les Romains tenaient deux sortes de livres les adversaria et le codex accepti et expensi.

Les adversaria correspondent à notre livre-journal: le père de famille y notait provisoirement ses opérations journalières telles qu'elles se présentaient en attendant qu'il les eut liquidées et réglées soit par une stipulatio soit par une mise au net sur son codex (transcriptio). Le dépouillement des adversaria avait lieu régulièrement tous les mois; seules les mentions qui devaient être consignées dans les tabulce y étaient reportées avec méthode. A cette différence de tenue correspondait une différence d'importance entre les adversaria et le codex: les premiers n'avaient aucune autorité en justice tandis que les énonciations portées sur le second contituaient des éléments de preuve dignes de confiance (Cic. pro Rosc. III § 2).

Le report sur les tabulæ des opérations mentionnées dans les adversaria n'était qu'un moyen d'en conserver le souvenir. Dans ce cas l'utilité du codex était à peu près semblable à celle de nos livres de commerce; placé dans la maison romaine à côté de la caisse (arca) il en était l'auxiliaire indispensable.

C'était non pas un grand livre, ce qui supposerait un grand mouvement d'affaires, mais un simple livre de caisse, servant à inscrire les recettes et les dépenses. Telle est aujourd'hui l'opinion la plus accréditée (1). D'ailleurs, un passage de Pline (Hist. nat., II, 7) indique assez clairement que dans les tabulæ il y avait une sorte de rédaction en partie double; une page pour l'acceptum et une autre pour l'expensum « Huic omnia expensa, huic omnia feruntur accepta: et in tota ratione mortalium sola utramque paginam facit.

On inscrivait dans le code, d'abord les créances de la caisse (nomina arcaria), puis les ventes, achats, stipulations, etc. Chaque fois qu'un citoyen romain touchait une somme à un titre quelconque, il la portait sur son livre à la colonne de l'acceptum, et inscrivait le nom (nomen) du débiteur ou du prêteur avec cette mention: Primis Kalendis janu. a Titio numerata S. centum: c'est ce qu'on appelait acceptum latum, acceptilatio. A l'inverse, chaque fois que de l'argent sortait de la caisse, le père de famille inscrivait sur son code à la colonne de l'expensum : Primis Kalendis jan. Titio numerata S. eentum; c'est ce qu'on appelait expensum latum, expensilatio.

Toutes les inscriptions de créances portaient la désignation commune de nomina, expression qui, par la suite, désigna l'obligation elle-même; en outre, comme c'est de la caisse qu'est partie la somme et qu'est née la créance, celle ci porte le nom d'arcarium nomen. Mais Gaïus a grand soin de dire que les arcaria nomina servent non pas à former mais seu

(1) Gide, op. cit., p. 186.

lement à constater l'obligation « quæ arcaria vocantur in his enim rei, non litterarum, obligatio consistit, quippe non aliter valet quam si numerata sit pecunia; numeratio autem pecuniae re facit obligationem; qua de causa recte dicemus arcaria nomina nullam faeere obligationem, sed obligationis facto testimonium præbere (III, § 131). L'inscription des arearia nomina ne constitue donc pas le contrat litteris. La formation de ce contrat se lie intimement aux nomina transcriptitia, sorte de prêt fictif que nous allons expliquer.

Si en effet les deux parties s'accordent l'une à tenir la somme pour pesée et donnée (pecunia expensa lata) l'autre à la tenir pour pesée et reçue (expensa relata) et à la porter comme telle sur le codex, il se forme un contrat qui a sa causa civilis dans l'écriture, l'inscription seule crée l'obligation; on ne se réfère plus à un fait préexistant, mais à la pesée per ces et libram qu'on suppose accomplie. Peu importe que cette obligation soit valable ou nulle, réelle ou supposée, qu'elle ait eu lieu sans cause ou sur une fausse cause, il suffit qu'elle figure dans la formule écrite. Voilà l'inscription sur le codex qui porte le nom de nomen par excellence.

De même que dans la stipulation, il y a dans le contrat littéral deux parties, chacune avec un rôle distinct l'une inscrivant le nomen, l'expensilatio, en la formule consacrée, l'autre donnant l'ordre de l'inscrire ou tout au moins son consentement préalable. Mais à la différence de la stipulation, le contrat littéral peut avoir lieu entre absents. Gaïus (III, § 138) le dit positivement, et Cicéron (pro Roscio III § 3) le laisse entendre puisqu'il nous dit que le créan

cier peut faire cette inscription à sa convenance sans l'assistance ni de l'autre partie ni de témoins en effet, il pouvait arriver qu'il n'en prit note d'abord que sur son brouillon mensuel, et qu'il n'opérât l'inscription sur son codex que plus tard en faisant régulièrement le report de ses notes tous les mois (1).

Mais l'écriture est-elle indispensable de part et d'autre? Le contrat littéral exige-t-il pour sa perfection que le créancier écrive sur son registre et que le débiteur écrive également sur le sien, ce qui aurait pour résultat d'autoriser le créancier, pour s'assurer de sa créance, à vérifier les livres de son débiteur? L'analogie entre la stipulation et l'expensilation, et, mieux encore, le rapprochement que Gaïus (III, § 137) établit entre ces deux contrats solennels semblent nécessiter pour la formation de l'une comme de l'autre obligation deux actes réciproques des parties. Nulle part cependant cette inscription bilatérale n'est requise; les textes représentent toujours l'inscription du nomen comme un acte unilatéral du créancier et Cicéron parlant d'une inscription qui ne serait pas reproduite sur le livre du débiteur, en conteste non. pas la validité mais seulement la force probante (Cic. pro Roscio III § 1). D'ailleurs jamais dans les actes solennels la loi romaine n'attribue aux deux parties un rôle égal: le principal auteur c'est toujours celui qui acquiert. Dans la stipulation c'est lui qui prononce la formule obligatoire pendant que son adversaire l'écoute et se borne à répondre par un simple mot. Dans le contrat littéral c'est le créancier qui a

(1) Ortolan, Expl. des Instit., III, p. 249.

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