DEUXIÈME PARTIE LES ÉCRITS Si en l'absence de l'écriture le formalisme présente des avantages incontestables et remplit dans la plupart des cas sa destination tutélaire, on peut à bon droit lui reprocher deux défauts qui lui sont inhérents ses dangers et son incommodité; ses dangers puisque les contractants avaient à redouter des vices. de forme sans nombre, son incommodité puisque le contrat le plus insignifiant exigeait tout l'appareil des formes juridiques. La nécessité d'un commerce rapide, et souvent aussi des considérations de convenances, devaient faire négliger les formes légales. Or les affaires ainsi conclues ne comportaient aucune sécurité; un acte informe était sans effet juridique: son exécution dépendait uniquement de la bonne foi de l'obligé et de sa crainte de l'opinion publique. Les Romains qui de bonne heure tendirent à se débarrasser du joug de la forme simplifièrent d'abord le cérémonial ancien et ensuite régularisèrent le système de la pratique : ainsi naquirent d'une part les contrats consensuels, si utiles pour les relations commerciales, et d'autre part les pactes qui dénués de toute action à l'origine furent à la longue reconnus par le Préteur et produisirent alors les mêmes effets qu'un acte solennel. Les cérémonies antiques, fondées sur l'expression orale furent peu à peu remplacées par des formalités nouvelles où l'écriture tenait la plus grande place. Nous avons vu en effet qu'un des avantages de la forme, était d'assurer la preuve ultérieure de l'acte. Or la rédaction d'un écrit présentait au point de vue de la preuve du contrat, plus d'utilité que sa conclusion en présence du peuple ou devant témoins. La mémoire ne conserve habituellement que le souvenir du sens de l'acte sans en retenir les termes précis; il est cependant des circonstances où il importe de fixer ceux-ci avec exactitude, surtout lorsqu'il s'agit d'un acte contenant des dispositions nombreuses et compliquées. De plus le souvenir de l'acte oral dépend de la mémoire et de la vie des témoins; enfin avec les formes orales il faut mettre les assistants au courant de ses affaires, tandis que l'instrumentum en assure le secret. Ces avantages de la forme écrite sur la forme verbale devaient amener insensiblement les Romains à substituer la première à la seconde, mais il leur fallut de longs siècles avant d'arriver aux instrumenta publica, tels qu'ils fonctionnèrent au Bas-Empire. A la vérité, dès l'époque antique, les Romains usèrent d'annotations écrites dans les actes importants du droit privé, comme pour les registres du cens; mais c'était à côté de la parole et non à sa place. L'écrit dressé à la suite de la conclusion orale d'un acte n'avait par lui-même aucune importance, c'était un simple memorandum. Dans un cas particulier, la forme écrite concourait avec la forme orale le testa ment privé, par écrit, permettait au testateur de cacher son contenu; celui-ci se bornait à affirmer solennellement en présence des témoins que les tablettes cachetées qu'il tenait à la main contenaient l'expression de ses dernières volontés (Ulpien, Reg., 20, § 9). Pareille faculté existait à propos des contrats; on pouvait promettre de donner ce qui était désigné dans un document scellé (loi 18, § 3, D. 45, 3- loi 47, § 1, D. 46, 1). Mais cet état de choses date d'une époque relativement avancée: dans le droit ancien le simple renvoi à un écrit sans en reproduire le contenu n'était pas permis et l'on devait procéder à la lecture de l'acte entier (1). L'écriture servit donc dans le principe à suppléer aux inconvénients de la forme orale en facilitant la preuve des conventions: il est un cas cependant où dès lors que lle intervient ad solemnitatem c'est celui du contrat litteris. Mais le contrat litteris ne conserve pas ce caractère au-delà du droit classique; sous Justinien, si tant est qu'il existe encore, il a perdu sa forme solennelle. La simplification graduelle de ce contrat et l'emploi de plus en plus fréquent des chirographa donnèrent naissance dès l'époque classique, à un ordre de choses nouveau: entre le formalisme oral et les instrumenta publica il existe une période intermédiaire où l'écrit dressé à l'occasion d'un acte solennel et pour le prouver tient lieu de cet acte; il n'est pas nécessaire que l'écrit soit public mais il faut qu'il soit reconnu vrai par celui auquel on l'oppose; la preuve de l'acte équivaut à sa formation, quand bien (1) Thering, op. cit., III, p. 278, § 154. même il n'aurait jamais existé. En fait, le lien de droit se forme par l'écriture: le formalisme de l'écriture remplace celui de la parole. L'influence de l'écriture sur la formation des contrats s'exerça par trois ordres de faits différents qui se développèrent parallèlement sans avoir l'un sur l'autreaucune action. Dans quelques hypothèses le droit prétorien et les constitutions impériales, considérent l'écrit comme un élément essentiel du contrat, mais les formes nouvelles ne rappellent en rien celles du contrat litteris, elles sont beaucoup plus simples. En second lieu, les parties peuvent subordonner l'existence de la convention à la rédaction d'un écrit. Enfin, quand il s'agit de la stipulation, la pratique assimile l'écrit à l'acte qu'il sert à constater, peu importe en fait que les formalités légales n'aient pas été accomplies, on présume qu'elles ont eu lieu. L'obligation découle de la mention écrite de la stipulation, comme elle résultait autrefois de l'inscription sur le Codex. Ainsi, en dehors du contrat litteris, l'écriture s'introduit dans la pratique à l'occasion de la preuve, tient lieu ensuite des solennités orales; enfin, avec les actes insinués aux archives, assure la publicité des contrats. |