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I

LA PUBLICITÉ

La publicité des relations juridiques est un trait fondamental de la première époque du droit romain. On peut citer comme particulièrement caractéristique la publicité des testaments, exigeant d'abord le concours du peuple assemblé dans ses comices, et se conservant ensuite quoique plus restreinte dans le testament per æs et libram. Nulle part cependant la publicité n'est plus gênante que dans les testaments et les Romains de l'époque postérieure le reconnurent eux-mêmes lorsqu'ils introduisirent les testaments secrets. Dans un ordre d'idées différent, les rôles du cens avaient pour but de porter à la connaissance des tiers la situation des fortunes privées et d'assurer ainsi le crédit personnel à défaut du crédit réel.

L'intervention de l'Etat dans les actes de la vie. civile est donc largement développée à l'époque antique elle n'est requise, il est vrai, que pour les actes qui dérivent du droit civil, c'est-à-dire du droit national. Quant aux actes qui ont leur origine dans le droit des gens comme la tradition, ils sont en dehors de la sphère des droits reconnus par l'Etat, et par suite ils ne sont soumis à aucune formalité.

A Rome, les droits les plus importants sont reconnus et sanctionnés par l'autorité publique. Cette reconnaissance est directe lorsque le peuple réuni dans ses comices donne solennellement son adhésion à

l'acte; elle est indirecte lorsque l'acte est simplement conclu en présence des magistrats du peuple romain ou des classici testes. De là cette division tripartite des actes, selon qu'ils exigent le concours du peuple lui-même, des autorités publiques ou des témoins, division qui, dans une certaine mesure, répond au développement historique des contrats.

I. Concours du peuple. Observons tout d'abord que dans ces actes nous trouvons les trois caractères de la forme la publicité, puisque tout le peuple assiste à l'acte; la solennité, car les formalités qui entourent ces actes sont nombreuses et le fait même de l'intervention du peuple en est la plus typique; enfin, le souvenir de l'acte est suffisamment assuré, puisque tous ceux qui ont été témoins de sa formation pourront au besoin le prouver.

Lorsqu'un acte exige le concours du peuple, il est conclu soit devant l'assemblée générale du peuple qui avait lieu deux fois par an à Rome, soit devant l'armée réunie au camp. Les actes qui sont ainsi portés à la connaissance de tous sont les plus importants de l'époque antique : le testamentum calatis comitiis et l'adrogation qui, lorsqu'ils requièrent la coopération de l'armée prennent les noms de testamentum in procinctu et d'adoptio pro concione. Grâce à cette large publicité, les créanciers d'un débiteur qui voulait se laisser adroger avaient l'occasion de faire valoir leurs prétentions en temps utile. La forme orale du testament rendait le même service aux parents du testateur. La publication de ses dernières volontés devant tout le peuple était en fait une sérieuse garantie contre l'abus de la liberté de tester en même temps qu'une preuve d'indépen

dance morale: il fallait au citoyen romain un certain courage pour faire ostensiblement de semblables dispositions qui, de son vivant même, étaient soumises à la critique des parents qu'il avait déçus dans leurs espérances.

La question s'est élevée de savoir si le peuple réuni dans ses comices devait voter ou, au contraire, se bornait à enregistrer les volontés du testateur et de l'adrogeant. La première opinion est aujourd'hui la plus accréditée (1). Dans le système contraire, le peuple romain tout entier est assimilé à un témoin ordinaire dont le rôle est de constater un fait. Or il est invraisemblable que l'on ait usé d'un procédé aussi incommode pour atteindre un but auquel on pouvait parvenir, d'une manière plus rapide, à l'aide de quelques témoins; on réduit ainsi le testament et l'adrogation à n'être plus que des actes de procédure. Il est probable que l'intervention du peuple était plus active Aulu Gelle (V. 19), nous dit que l'adrogation était confirmée par une lex; le peuple étant appelé à voter, il s'ensuit qu'il pouvait aussi bien refuser qu'accorder son approbation. Par raison d'analogie nous devons admettre la même solution pour le testament: en édictant une loi qui confirmait les dispositions du testateur et par suite en les plaçant sous la garantie publique, on prévenait les constestations qui auraient pu surgir après sa mort au sujet de la validité d'un tel acte manifesté seulement devant de simples témoins, dont le nombre, quelque grand qu'il fut, n'aurait jamais pu lui procurer la même sûreté d'exé

(1) Ihering, op. cit., I, § 13, p. 147; Mommsen, Rom. Geschichte, 1, p. 156, 4 édition.

cution ultérieure. Ce que nous savons sur les effets des testaments vient à l'appui de ces conjectures: ils dépassent, de beaucoup la force des actes privés et revêtent une autorité que l'on ne trouve que dans les lois ou les décrets du peuple. Il suffit de citer la célèbre disposition de la loi des XII Tables: uti legassit de pecunia tutelave suæ rei, ita jus esto; le légataire acquiert ipso jure la propriété de la chose léguée, ce qui n'arrive jamais que pour les concessions faites par le peuple ou ses mandataires; enfin, tout acte juridique de l'ancien droit produit ses effets sur le champ, le testament, au contraire, dispose comme une loi sur des rapports de droit futurs (1).

II. Coneours des autorités publiques. Les actes juridiques qui exigent le concours des autorités publiques se rapportent à l'état des personnes et à la transmission de la propriété; ils sont conclus en présence du Censeur ou du Préteur. Devant le Censeur, on ne peut citer comme acte formel relatif au droit privé que la manumissio censu, laquelle se rattache intimement à la confection des registres du cens par le même magistrat. Devant le Préteur : toutes les formalités de la procédure in jure, et en outre les actes de la juridiction volontaire sous la forme de l'in jure cessio. Ce mode de contracter n'a pas le caractère de rudesse qui distingue les actes des premiers siècles de Rome : il appartient à une époque où l'on savait déjà traiter les actes avec plus de liberté. Une fois établie, cette forme moins gênante pour les parties que le concours du peuple, se répandit de plus

(1) Ihering, loc. cit., p. 149.

en plus certains actes comme l'affranchissement se sont rajeunis au moyen de l'in jure cessio, tandis que d'autres y rencontraient pour la première fois une forme garantissant leur existence.

La manumissio vindicta semble être le plus ancien cas d'application de l'in jure cessio (Tite Live II, 5); elle présentait sur la manumissio censu, outre une plus grande commodité dans la forme, l'avantage d'être praticable en tout temps, et non pas seulement tous les cinq ans. Toutefois la forme ancienne ne fut pas éclipsée par la forme nouvelle, car la garantie qui résultait des rôles du cens était la plus forte qu'on put imaginer. L'émancipation et l'adoption ne se sont introduites qu'après la loi des XII Tables; cette loi avait ainsi réglé la dissolution de la puissance paternelle si pater filium ter venumduit, filius a patre liber esto. Une application détournée de ce principe fut imaginée pour arriver soit à l'émancipation des personnes alieni juris, soit au transfert de la patria potestas à un autre paterfamilias; du reste ce moyen si peu commode des trois ventes successives était en parfaite harmonie avec les liens si puissants de la patria potestas. Quant aux autres cas d'application de l'in jure cessio, on ne peut fixer d'une manière, même approximative, l'époque de leur apparition.

Le concours des autorités religieuses était également exigé dans les actes qui modifiaient la composition de la famille ou touchaient à la religion domestique. Un avis préalable du pontifex maximus ou du flamen dialis était requis dans le testament calatis comitiis et l'adrogation qui se trouvaient intimement liés aux sacra privata; il en était de même dans le mariage religieux, ou confarreatio. D'abord sérieux,

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