moins préconstitués (testes alligati) étaient appelés à déposer de ce qu'ils avaient vu; c'était même une obligation stricte pour eux. En même temps pour aider leur mémoire, on notait par écrit les principaux faits qui s'étaient accomplis devant eux; mais ces annotations écrites n'avaient d'abord aucune valeur au point de vue juridique, elles ne se rattachaient en aucune manière à la forme de l'acte. Peu à peu, cependant, on accorda à ces écrits une plus grande autorité, surtout lorsque la rédaction eût été soumise à des règles précises et confiée à une classe spéciale de personnes quasi-publiques la pratique finit même par considérer l'écrit comme l'équivalent, des solennités orales qu'il mentionnait avoir été accomplies et qu'en réalité il contribuait à faire négliger de plus en plus. En fait, si non en droit, la rédaction de l'écrit était devenue un élément essentiel de l'acte. Cet élément formel une fois réalisé, si l'acte était en outre confirmé par la déposition des témoins, il devenait inattaquable. Enfin, dans le dernier état du droit romain, on sentit le besoin de donner aux tiers certaines garanties contre le secret des dispositions contenues aux actes: c'était la publicité, comme dès l'origine du droit romain, qui renaissait à son déclin sous une forme nouvelle, celle de l'insinuation des actes dans les archives des magistrats ou des municipes. En résumé, l'ordre suivi dans le développement des éléments de la forme littérale est inverse de celui qui eut lieu pour la forme verbale. Nous suivrons à peu près le même ordre pour le très ancien Droit français : nous étudierons successiment les divers systèmes en usage aux époques bar bare, franque et féodale. Dans la première, l'insinuation est réservée aux Gallo-Romains, tandis que les contrats germaniques, où les formes orales étaient requises pour la solennité de l'acte, s'appliquaient seulement aux vainqueurs. La publicité unie à la solennité se retrouve dans les actes accomplis dans les assemblées publiques et judiciaires. Mais ce n'est là qu'une période de transition. Dès l'époque mérovingienne, la fusion se produit entre les éléments romain et germanique: sous l'influence romaine, l'écriture s'introduit dans la pratique, aussi bien pour les actes des tribunaux que pour les contrats entre particuliers. La plupart des conventions sont à l'époque franque conclues suivant les formes germaniques, mais on prend de plus en plus l'habitude de les rédiger par écrit ; dans cette formalité nouvelle, on voyait tantôt un moyen de faciliter la preuve par témoins, comme dans les actes privés faits en justice, tantôt un élément de formation du contrat comme dans les contrats par la charte. Peu à peu, l'écriture prend un tel développement que dans les premières années du IXe siècle, on voit se produire une remarquable tentative d'organisation des actes authentiques. Mais le commencement de la féodalité est marqué par un retour en arrière : l'écriture devient presque inconnue, et pour répondre aux besoins de la pratique, de nouvelles formes orales apparaissent, qui, il est vrai, n'eurent jamais la même importance que les premières. Au XIIe siècle, le mouvement reprend avec une nouvelle vigueur: avec les lettres obligatoires reparaît la notion encore imparfaite de l'authenticité, en même temps qu'on attache une autorité de plus en plus grande aux actes rédigés par les chanceliers des tribunaux. C'est cette dernière forme d'écrits qui devait engendrer le système du Droit moderne après que saint Louis, séparant la juridiction volontaire de la justice contentieuse, eût constitué un corps d'officiers publics chargés spécialement de conférer l'authenticité aux conventions privées. Telle est, dans son ensemble, l'évolution historique accomplie par la forme. Pour suivre ce plan, nous devrons donc étudier successivement les actes publics et les actes privés, ceux-là se rapportant à la publicité et à la solennité, ceux-ci à la preuve; mais nous accorderons une plus grande place aux premiers parce que la forme y est mieux caractérisée. En un mot, nous étudierons tous les actes relatifs au droit privé quelles que soient les formalités qui président à leur formation ou à leur rédaction. DROIT ROMAIN PREMIÈRE PARTIE LES FORMES VERBALES CHAPITRE PREMIER LE FORMALISME Jusqu'au septième siècle de Rome, l'écriture fut sinon inconnue, du moins fort peu répandue; les Romains ne se familiarisèrent que fort lentement avec son usage raræ per ea tempora litteræ erant, nous dit Tite-Live (VII, 3). La loi des XII Tables qui fut promulguée à la fin du troisième siècle de Rome ne fait aucune allusion aux écrits, pas même à l'occasion des testaments. Certes les Romains ne sont pas restés trois siècles sans soupçonner l'usage de l'écriture: dès l'époque antique on usait d'annotations écrites à côté de la parole; cependant ce n'est qu'à l'époque des grands jurisconsultes classiques que l'instrumentum prend une place importante dans la vie juridique, au moment même où les derniers vestiges du formalisme vont définitivement disparaître. De cet état de choses résulta pour les Romains la nécessité de recourir aux signes extérieurs et sensibles pour donner un corps perceptible à la pensée : si en effet la parole est la manière la plus naturelle d'exprimer les conventions, elle est insuffisante à elle seule pour leur assurer une pleine efficacité; pour rendre certaine la volonté des parties, il faut des règles fixes et précises. Les Romains pourvurent à ce besoin de la pratique par l'emploi des formes solennelles. L'acte juridique de cette époque porte en lui le caractère d'une individualité fortement marquée; deux éléments concourent à sa formation, bien qu'à des degrés inégaux le contenu concret et la forme. A ce double point de vue, la volonté est soumise à de nombreuses restrictions dans le choix de ses moyens d'expression. Ce sont ces restrictions qui, dans leur ensemble constituent la notion des actes solennels (1) ou légitimes (2). Il est difficile de donner a priori les règles générales sur la manière dont la volonté doit se manifester dans les actes solennels; la forme à employer varie suivant l'état des mœurs et le développement de la civilisation, la nature et le but des actes: il existe cependant un certain nombre de prescriptions (1) Solemnis, solemnitas (de solere) veut simplement dire usité, sans que l'on y doive attacher la même idée qu'à notre mot solennel, solennité. (2) L'expression actus legitimus, très rarement employée en droit romain, n'a aucune valeur technique: elle signifie tout simplement un acte conforme au jus civile ou produisant des effets juridiques. |