On peut se croire privé de la factio testamenti, qu'on possède réellement, non seulement par suite d'une erreur de fait mais aussi à raison d'une erreur de droit. Par exemple, un individu est condamné à la relegatio in insulam. Il croit que cette peine emporte capitis deminutio, et fait, cependant, son testament. Cet acte est nul, bien que le relegatus soit capable (1), uniquement parce que le testateur, par suite d'une erreur de droit, se croyait incapable. Cette règle que la capacité du testateur doit être certaine, non suspendue par une condition, et que le testateur doit la connaître sans concevoir sur elle aucun doute, paraît n'avoir soulevé aucune controverse entre les jurisconsultes romains. Paul et Ulpien l'énoncent comme un axiome de droit; ils se bornent à constater la règle sans essayer de la justifier (2). A-t-elle une base rationnelle? Nous n'en voyons aucune. Il semble que cette règle n'était qu'une manifestation du formalisme qui régnait, en droit romain, dans toute la matière des testaments. C'est ainsi, par exemple, que l'on décidait que les legs, les affranchissements, les nominations de tuteurs, contenus dans un testament où ne figurait pas une institution d'héritier, étaient nuls (3); qu'une (1) La relegatio in insulam, bien que, donnant lieu à la confiscation de tous les biens du condamné, n'emporte aucune capitis de minutio (L. 7, § 4 ; L. 14, § 1, de int. et releg., XLVIII, 22). (2) L. 14 et 15, D., XXVIII, 1. Ulpien, XX, § 11. (3) Gaïus, II, § 229. institution d'héritier était nulle, si elle n'était pas conçue dans les termes consacrés (1); que des charges n'étaient valablement imposées à un héritier que si elles étaient inscrites après l'institution (2). La preuve d'ailleurs que la règle qui nous occupe est arbitraire et ne tient nullement à la nature des choses, c'est qu'on l'écartait dans les testaments militaires. Ulpien nous dit que le militaire pouvait, quoique incertain de sa condition, faire un testament valable (L. 11, § 1, D., XXIX, 1). A l'origine, le testament était une loi que proposait au peuple le paterfamilias; à une certaine époque, le pouvoir de faire cette loi fut transporté au testateur lui-même. Cette concession était comme une délégation de la puissance publique, et c'est ce qui explique que, primitivement, on n'admettait qu'une seule formule conçue en la forme impérative et rappelant le style des lois : « Titius heres esto (3). » On comprend dès lors que le droit romain ait imposé pour l'exercice du droit de tester, considéré comme une délégation au père de famille de la puissance législative, des conditions tout à fait exceptionnelles, et qu'il ait exigé non seulement que la capacité existât réellement chez le testateur, mais encore qu'elle existât d'une façon ferme, c'est-à-dire sans être soumise à aucune condition suspensive ou résolutoire, et que le testaleur en eût la parfaite connaissance. (4) Gaius, II, § 229 et 230. (2) Gaïus, II, § 107. Ulpien, XXI. (3) Gaïus, II, § 107. Il y a une hypothèse d'erreur peu vraisemblable, mais qui devait pourtant se présenter, car les textes la prévoient c'est celle qui porte sur le nom même du testateur. Par exemple le testateur, qui se nomme Maricius a dit : « Sempronius Plotii heres esto. » Le testament est nul; on ne peut admettre qu'un testateur qui se trompe sur son nom soit capable de tester: l'état d'esprit que révèle cette erreur ne semble pas permettre que son testament soit l'expression d'une volonté libre et éclairée. Toutefois, l'institution serait valable si le testateur était lui-même héritier de Plotius, car il est évident que, par ces expressions, il a voulu instituer Sempronius pour héritier afin que, par l'intermédiaire de sa propre personne, celui-ci devienne à son tour héritier de Plotius (L. 14, C. De hered. instit., VI, 24). SECTION II De l'erreur sur la capacité des témoins. Le testament, qu'il fût nuncupatif ou mystique, exigeait la présence de sept témoins (1). Pour être capable de figurer comme témoin dans un testament, il fallait avoir la factio testamenti avec le testateur, et de plus n'être frappé d'incapacité par aucune loi (2). Lorsqu'un (1) Instit., § 3 et § de testam. ordin., II, 10. (2) Ulpien, XX, § 2; Instit., § 6, II, 10. témoin était incapable, le testament était sans valeur par suite du vice de forme dont il était entaché et à raison de son caractère d'acte solennel dans lequel « forma dat esse rei». Il est possible qu'un témoin passe pour capable alors qu'en réalité il est incapable. S'attachera-t-on à la réalité des choses et tiendra-t-on le testament pour nul comme irrégulier? Il est à remarquer que les Romains se départirent ici de leur formalisme et repoussèrent la nullité. Dans le § 7, De testam. ordin. aux Institutes, Justinien, supposant qu'un esclave, que l'on croyait un homme libre, est intervenu comme témoin, décide que le testament sera valable. Par faveur pour le testateur, on applique ici l'adage « error communis facit jus ». Il est fort vraisemblable qu'à l'origine, on aurait déclaré nul le testament fait dans ces circonstances: en droit romain, l'esclave n'étant qu'une chose, six témoins seulement au lieu de sept étaient intervenus. Aussi Justinien nous dit-il qu'une constitution d'Adrien fut nécessaire pour prononcer dans cette espèce la validité du testament. Cette décision ne suffit même pas pour faire cesser tous les doutes: elle dut être renouvelée par les empereurs Septime Sevère et Antonin Caracalla. La mème difficulté se présente en droit français. Le testament authentique doit être reçu par deux notaires en présence de deux témoins ou par un notaire en présence de quatre témoins (Code civil, art. 971); le testa ment mystique suppose l'intervention de six témoins (arl. 976). Ces témoins doivent remplir les conditions de capacité prévues par l'article 980 du Code civil, sinon le testament serait nul pour vice de forme. Que décider lorsqu'un témoin, qui passe pour capable aux yeux de tous, ne l'est pas en réalité? Par application de la maxime Error communis facit jus, la jurisprudence tient la capacité putative pour équivalente à la capacité réelle; on peut la considérer comme définitivement fixée dans ce sens (1). SECTION III De l'erreur sur la personne de l'héritier ou du légataire. L'erreur, qui porte sur le nom ou le surnom de l'héritier ou du légataire, n'entache pas la disposition de nullité, pourvu que quelque désignation fasse reconnaître d'une façon certaine la personne qui en est l'objet (2). Il n'en est plus de même si l'erreur du testateur porte, non pas seulement sur le nom de la personne gratifiée, mais sur son individualité même. Par exemple, l'intention. certaine du défunt était d'instituer son frère, et il a écrit: patronus meus heres esto. L'institution d'héritier est nulle. D'une part, en effet, le patron ne peut être considéré (1) Sirey, 1875, 1, 254; 1883, 1, 459; 1884, 2, 189. (2) Instit., II, 20, § 29. (3) L. 9, Dig., de hered. instit., XXVIII, 5. |