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chose léguée, soit sur son identité, soit sur ses attributs ou qualités.

Le testateur, par exemple, a pris pour une res in patrimonio une res extra patrimonium: le legs est nul comme étant d'une exécution impossible; ou, sous une autre forme, il est nul faute d'objet, car une res extra patrimonium ne peut faire l'objet ni d'un droit de propriété, ni d'un droit de créance, ni d'un legs. Ainsi, le testateur lègue le fils qu'il a sous sa puissance, croyant avoir le droit de faire une telle disposition, et daus la pensée que les prérogatives attachées à la puissance paternelle comportent le pouvoir de faire un pareil legs au profit d'autrui, son acte est évidemment nul.

Autre exemple. Un testateur, croyant avoir dix écus d'or dans sa caisse, mais n'en ayant en réalité que cinq, fait un legs ainsi conçu: « Je lègue à Titius les dix écus que j'ai dans ma caisse. » C'est là, en apparence, un legs de genre, mais, en réalité, c'est un legs de corps certain. Le testateur n'a voulu léguer ni cinq, ni dix écus; il a voulu léguer purement et simplement les écus qui se trouvaient dans sa caisse jusqu'à concurrence de dix. Si, au jour du décès, la caisse ne contenait aucun écu, le legs serait nul faute d'objet. N'y avait-il que cinq écus? le légataire pourra les réclamer (1).

Africain, qui donne cette décision, nous dit qu'une

(1) L. 108, § 10, Dig. De legatis, 1°.

autre opinion s'était manifestée, opinion d'après laquelle le légataire pouvait réclamer à l'héritier les dix écus légués, attendu que le legs devait être considéré comme un legs de genre, et non comme un legs de corps certain.

Dans cette opinion, l'indication de la caisse, où le testateur pensait que l'héritier pourrait trouver les écus, n'était qu'une mention d'une importance secondaire, dont l'inexactitude n'était pas de nature à entraîner. l'inefficacité du legs; cette mention n'était qu'une falsa demonstratio: or, il est de principe que « falsa demonstratio legatis non nocet ». Si les cinq écus d'or ne se trouvaient pas dans la caisse désignée par le testateur, l'héritier devait les trouver ailleurs; au besoin, il devait vendre des biens de la succession pour se les procurer.

La solution, donnée par Africain, nous paraît plus conforme à la volonté du testateur. L'indication que les écus se trouvaient dans la caisse n'était pas une simple demonstratio sans influence sur l'efficacité du legs en cas d'inexactitude: c'était la détermination même de l'objet légue; le légataire ne pouvait avoir droit qu'aux écus qui se trouveraient dans la caisse et cela seulement jusqu'à concurrence de dix (1).

De ce qu'il y avait dans cette hypothèse un legs, non de genre, mais de corps certain, on tirait très logiquement la conclusion suivante si postérieurement au

(1) Sic Pothier, De legatis, no 228.

décès du testateur, mais avant l'exécution du legs, la caisse était ouverte par un malfaiteur et les écus volés, le légataire ne pouvait rien exiger de l'héritier; celui-ci, débiteur d'un corps certain, se trouvait libéré par la perte fortuite de l'objet dû. Au contraire, s'il se fût agi d'un legs de genre, l'héritier n'en serait pas moins resté tenu: Genera non pereunt. C'est ce qu'Africain déclare dans les termes suivants : Quod si mortis tempore plena summa fuerat, et postea aliquod ex eâ deperierit, sine dubio soli heredi deperierit.

Au premier abord, cela paraît contredire notre interprétation et impliquer que le legs supposé est un legs de genre et non de corps certain. La contradiction n'est qu'apparente Africain sous-entend que l'héritier a été mis en demeure de restituer, et que c'est après cette mise en demeure que les écus ont été dérobés dans la caisse; or on sait que la demeure perpétue l'obligation mora perpetuat obligationem; en d'autres termes, que le débiteur d'un corps certain en demeure est responsable de la perte fortuite.

Le legs de la chose d'autrui est valable, car il n'a pas pour objet une prestation impossible: il est loisible à l'héritier d'acquérir la chose de celui qui en est propriétaire et de la livrer au légataire. Il y a lieu cependant de faire des distinctions.

L'héritier est dispensé d'exécuter le legs lorsque le testateur s'est trompé sur son droit de propriété, lorsqu'il a cru sienne la chose léguée, alors qu'en réalité elle

appartenait à autrui: dans ce cas, nous disent les textes, legatum inutile erit. Cette distinction se trouve exprimée dans un texte célèbre des Institutes de Justinien, ainsi

conçu :

«Non solum autem testatoris vel heredis res, sed etiam aliena legari potest, ita ut heres cogatur redimere eam et præstare, vel, si non potest redimere, æstimationem ejus dare..... Quod autem diximus alienam rem posse legari, ita intelligendum est, si defunctus sciebat alienam rem esse, non et si ignorabat; forsitan enim, si scisset alienam, non legasset. Et ita divus Pius rescripsit. Et verius est, ipsum qui agit, id est legatarium, probare oportere scisse alienam rem legare defunctum, non heredem probare oportere ignorasse alienam, quia semper necessitas probandi incumbit illi qui agit (1). >>

Ainsi le testateur a-t-il su que la chose appartenait à autrui? Le legs est valable. A-t-il cru que la chose lui appartenait à lui-même? Le legs est nul. Ce qu'on présume, c'est que le testateur croyait la chose sienne, et qu'il n'aurait pas légué, s'il avait su que la chose appartenait à autrui. Mais cette présomption admet la preuve contraire le légataire peut prouver que le testateur a légué la chose d'autrui en parfaite connaissance de

cause.

:

On présume donc l'erreur. Cette décision est très logique lorsque le legs a été fait per vindicationem. On sait qu'on ne lègue en cette forme que les choses dont on est

(1) Inst., § 4, De legatis.

propriétaire si le testateur a employé la formule per vindicationem, c'est qu'il se croyait propriétaire. Pour démontrer le contraire, le légataire devra établir que le testateur s'est trompé sur le droit, qu'il ignorait cette règle que la formule per vindicationem ne permet pas de léguer une chose dont on n'est pas propriétaire.

Ces deux preuves une fois faites, on relèvera le testateur contre son erreur de droit, en réputant, par application du sénatus-consulte Néronien, le legs fait per dam

nationem.

Si nous nous plaçons dans l'époque antérieure au sénatus-consulte Néronien, le legs per vindicationem d'une chose appartenant à autrui était nul d'une façon absolue le légataire ne pouvait fournir aucune preuve pour le faire valoir.

Cela tient à ce que le legs étant un acte formaliste, il faut prendre l'acte avec la forme que le teslateur lui a donnée. Or, dans l'espèce, elle ne convient pas; elle n'est bonne qu'à transférer la propriété au légataire, elle ne peut le rendre créancier. La disposition étant revêtue d'une forme impropre, c'est comme si elle n'avait aucune forme; par suite elle se trouve inexistante. Qu'importe après cela que le légataire démontre que le testateur savait très bien que la chose appartenait à autrui? Il n'en subsiste pas moins que la disposition aurait dû être conçue dans la forme per damnationem; n'ayant été émise en la forme régulière, elle ne constitue pas un legs véritable. A cette époque, la volonté ne pouvait produire

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