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qu'enfin s'il avait appliqué la loi de 1791 dans toute sa rigueur, le mal eût été bien plus grand encore. Quoi qu'il en soit, M. Bouvier-Dumolard, après avoir été publiquement blâmé, fut remplacé purement et simplement comme préfet du Rhône, et révoqué, comme conseiller d'État, par ordonnance royale'.

VIII.

Dans les troubles qui ensanglantèrent Grenoble, peu de temps après, et qui eurent d'ailleurs un tout autre caractère, le préfet de l'Isère agit d'une façon différente. Aussi fut-il approuvé par le ministre de l'intérieur et loué par lui.

Nous ne saurions mieux faire, pour expliquer ce qui se passa, que de reproduire presque intégralement la déposition faite par le préfet de l'Isère, M. Maurice Duval, devant le premier président et le procureur général de la cour d'appel, qui avait évoqué l'affaire. Cette déposition a été faite et signée par le préfet lui-même :

<< Le 11 de ce mois (mars), averti que des masques devaient circuler dans la ville, contrairement à l'arrêté de M. le maire qui les défend lorsque le carnaval est fini; que même une mascarade dangereuse pour l'ordre public devait y figurer', je fis appeler les commissaires de police, je leur prescrivis de signifier à toute personne en contravention à l'arrêté susdit, d'avoir à se retirer, et dans le cas de résistance, de les faire arrêter et conduire au poste le plus voisin. Pour assurer l'exécution de ces mesures, j'écrivis à M. le lieutenant général commandant la subdivision la lettre suivante :

Monsieur le Lieutenant général,

Grenoble, le 11 mars 1832.

J'apprends qu'il circule dans la ville une mascarade qui pourrait y apporter du trouble; veuillez bien donner ordre aux casernes que les troupes soient prêtes à prendre les armes. Je les requerrai au besoin.

J'ai l'honneur, etc...

Le Préfet,

Signé MAURICE DUVAL.

1. Voir pour les détails et les citations, les numéros du Moniteur des 24, 25, 26, 27 novembre, 2, 18, 20, 21 décembre 1831, aux notes officielles et au compte rendu des Chambres.

2. Cette mascarade représentait le budget et les deux crédits supplémentaires par allusion aux nouveaux crédits demandés par les ministres aux Chambres, pour augmenter la liste civile du roi et doter sa fille.

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« Dans la matinée, des commissaires vinrent me faire le rapport que n'ayant été appuyés dans leurs réquisitions aux délinquants que par 25 hommes, eux et la troupe avaient été accablés de pierres et de mauvais traitements.

".....

Je donnai aux commissaires l'ordre de prendre de nouvelles troupes, pour que force restât à la loi. Je donnai les mêmes réquisitions par écrit à M. le commandant de place et à M. le chef d'escadron commandant la gendarmerie. Bientôt on me rendit compte que les masques avaient disparu.

« J'écrivis tout de suite à M. le maire, l'invitant à se rendre près de moi. Je lui exprimai l'inquiétude où j'étais que la même mascarade, en se reproduisant le soir, au bal masqué, ne fût l'occasion de graves désordres..... Je représentai à M. le maire que la scène du matin ayant déjà excité les esprits, pouvait se reproduire le soir; que, d'après son arrêté, l'apparition de masques au bal ne serait pas moins illégale qu'elle ne l'avait été le matin; qu'il convenait donc de convertir le bal masqué en bal paré, M. le maire se rendit à mon avis. Le directeur du spectacle fut appelé et la décision que nous venons d'énoncer dut être annoncée par lui au public. »>

Peu après, le directeur revint, dit que le bal paré lui serait onéreux, qu'il aimait mieux n'en pas faire. Le préfet l'invita alors à afficher qu'il n'y aurait pas bal. Les affiches furent déchirées, et la foule déclara qu'il y aurait bal tout de même. Le maire reconnut que le bal était impossible à empêcher. Nous reprenons la déposition :

« M. le maire, M. le lieutenant général se rendirent chez moi le soir. Le premier nous ayant dit que tout s'était passé avec calme au théâtre, se retira à minuit et demi.

« Le 12 au matin, je fus averti que des menaces violentes étaient faites contre moi; que le soir on devait se porter à la préfecture. Devant penser que ce n'était qu'un prétexte pour passer à d'autres troubles, je crus devoir prendre les précautions nécessaires au maintien de la tranquillité publique. J'écrivis à M. le maire la lettre suivante :

Monsieur le Maire,

Grenoble, le 12 mars 1832.

Je suis prévenu que des agitateurs se préparent à troubler l'ordre public ce soir. Je vous invite à vouloir bien donner l'ordre à M. le commandant de la garde nationale de cette ville, de réunir un bataillon de cette garde, et

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de le mettre à la disposition de M. le lieutenant général commandant la subdivision militaire.

J'ai l'honneur, etc...

« Il avait été déjà convenu entre lui, M. le commandant de la garde nationale et moi qu'un bataillon de cette garde serait convoqué pour la soirée. J'en donnais en même temps avis à M. le lieutenant général, mettant ce bataillon à sa disposition, et l'invitant lui-même à prendre les mesures propres à assurer le maintien de l'ordre. Voici cette lettre :

Monsieur le Lieutenant général,

Grenoble, le 12 mars 1832.

Je suis averti que des perturbateurs se proposent de troubler ce soir l'ordre public dans cette ville. Je viens d'inviter M. le Maire de Grenoble à faire réunir un bataillon de la garde nationale, qui sera mis sous votre commandement.

Veuillez de votre côté assurer le maintien de la tranquillité publique, en joignant à la garde nationale les troupes qui sont sous vos ordres.

J'ai l'honneur, etc........

Les compagnies venues de la caserne furent, paraît-il, assaillies. « MM. les adjoints de la mairie vinrent peu de moments après, et me dirent que des citoyens avaient été percés de coups de baïonnette sans aucune sommation préalable. Je les invitai à suspendre toute opinion défavorable à des soldats français....., que, dès ce moment, l'enquête la plus solennelle allait commencer sur ces faits.

« Des ordres avaient été déjà donnés par M. le lieutenant général pour faire sortir toutes les troupes... J'allai avec lui sur la place SaintAndré, où l'on vint nous rapporter que les troupes, dans leur marche dans la ville, recevaient des maisons des pierres, etc.; que des barricades se formaient sur différents points. Ordre fut donné à deux bataillons de les enlever, ce qui fut exécuté pour les trois qu'il y avait. Aucunes voies de fait n'eurent lieu de la part de la troupe, qui avait toujours été accompagnée des commissaires de police, lesquels avaient fait à plusieurs reprises les sommations depuis le malheureux engagement de la rue du quai. Je restai avec l'état-major sur la place SaintAndré jusqu'à minuit; tous les rapports annonçant que la ville était rentrée dans le calme, je me retirai chez moi.

«Dans toute cette journée et la veille, pas un autre ordre que ceux

POUV. DE POLICE.

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que je représente et les deux donnés à la gendarmerie et au commandant de place ne sont émanés de moi par écrit ni verbalement.

« Le 13, de grand matin, sachant qu'une grande effervescence, suite naturelle des malheurs de la veille, régnait dans la ville, j'écrivis à M. le maire de Grenoble la lettre suivante :

Grenoble, le 13 mars 1832, 8 h. du matin.

Monsieur le Maire,

Les déplorables événements de la soirée d'hier et l'agitation qui règne dans la ville me font un devoir de prendre sans délai les mesures nécessaires au maintien de la tranquillité publique. Un des plus efficaces doit être d'appeler les citoyens à la défense de leurs droits, de leurs propriétés.

Aussitôt cette lettre reçue, je vous invite et vous requiers au besoin, de convoquer la garde nationale de cette ville, de lui faire prendre les armes. Aux termes de la loi, je la mets sous le commandement de M. le lieutenant général commandant la subdivision, que j'en préviens.

J'ai l'honneur, etc...

« Dans le même moment, je prévins, par la lettre suivante, M. le lieutenant-général que je mettais la garde nationale sous son commandement, et je l'invitai en outre à faire prendre les armes à l'instant même à la garnison :

Monsieur le Lieutenant général,

Grenoble, le 13 mars 1832.

Je viens de convoquer toute la garde nationale, prévenant M. le Maire de cette ville que je la mets sous votre commandement supérieur, aux termes de la loi.

Une grande effervescence règne dans la ville. On veut désarmer le poste que vous avez placé à la salle des concerts. Veuillez faire prendre tout de suite les armes à toute la garnison. Le conseil municipal étant en délibération, et devant avoir des rapports très fréquents avec M. le Maire, je crois qu'il serait de l'intérêt public que vous voulussiez bien établir votre quartier général à la préfecture, pour rendre nos rapports plus faciles et plus fréquents.

J'ai l'honneur, etc...

Des députés du conseil municipal vinrent demander au préfet, au nom de la population, que les postes occupés par le 35° de ligne fussent remis à la garde nationale. Le préfet répondit que cela était contraire à l'honneur et au droit du Gouvernement, mais que d'ailleurs

cela regardait le lieutenant général. Celui-ci accéda à la demande. La foule envahit la préfecture.....

« Sentant que ma présence dans la préfecture n'était plus qu'un embarras pour les magistrats de la ville, je sortis de chez moi et me rendis à la caserne de Bonne, afin que l'autorité du roi pût du moins conserver sa liberté et ne plus recevoir de nouvelles profanations..... «Lecture faite, j'ai signé :

« Maurice Duval1. >>

L'ordre fut rétabli quelque temps après; ajoutons qu'un peu plus tard la population de Grenoble obtint le départ du 35o de ligne qu'elle accusait d'avoir frappé des citoyens inoffensifs, sans avoir fait d'abord les sommations.

IX.

La conduite du préfet du Rhône et celle du préfet de l'Isère furent l'une et l'autre l'objet de vives critiques, formulées, il est vrai, en termes différents, et parties de camps tout à fait opposés.

Le préfet du Rhône avait eu d'autres préoccupations que celle du maintien de l'ordre public. Il s'était ingéré dans des questions qui ne sont pas de la compétence de l'administration. Sans doute, il avait eu les intentions les meilleures: c'est comme médiateur paternel qu'il intervenait. Il n'en avait pas moins prêté une oreille trop complaisante aux réclamations des ouvriers. Il avait trop pris en mains leurs intérêts. Il est vrai que le ministre de l'intérieur de 1831,. M. Casimir Périer, était, par tempérament même, enclin aux mesures énergiques. A la date du 1er décembre 1831, et à propos des troubles de Lyon, il adressa aux préfets la circulaire suivante :

"..... L'autorité départementale comprendra que, chargée de protéger des intérêts locaux et des droits privés, mais en les coordonnant avec les intérêts de l'État et les droits généraux des citoyens, sa mission, comme pouvoir social, autant que comme pouvoir politique, est une mission de résistance. Au delà de l'ordre légal, les concessions sont des lâchetés. Plus nos lois sont généreuses et nos institutions libérales, plus elles doivent se montrer jalouses et impérieuses, et plus aussi le

1. Moniteur du 24 mars 1832.

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