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sous la surveillance des assemblées administratives (aujourd'hui des préfets), sont..... de faire jouir les habitants d'une bonne police, notamment de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics ».

Le décret suivant des 16-24 août 1790 « sur l'organisation judiciaire porte ce qui suit : « Les officiers municipaux sont spécialement chargés de dissiper les attroupements et émeutes populaires (conformément aux dispositions de la loi martiale)', et responsables de leur négligence dans cette partie de leur service. »

La loi du 18 juillet 1837, sur l'organisation municipale, dispose (art. 10) que « le maire est chargé, sous la surveillance de l'administration supérieure: 1o de la police municipale; 2° de pourvoir à l'exécution des actes de l'autorité supérieure qui y sont relatifs ».

Les maires ont donc le devoir de maintenir la tranquillité publique dans leur commune. A côté de la responsabilité administrative qui leur incombe de ce chef, la loi du 10 vendémiaire an IV, « sur la police intérieure des communes de la République », a établi une responsabilité civile à l'égard des habitants des communes :

« Tous citoyens habitant la même commune sont garants civilement des attentats commis sur le territoire de la commune, soit envers les personnes, soit envers les propriétés. » (Tit. I.)

«Chaque commune est responsable des délits commis à force ouverte ou par violence sur son territoire, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit envers les personnes, soit contre les propriétés nationales ou privées, ainsi que des dommagesintérêts auxquels ils donneront lieu. » (Ibid., t. IV, art. 1er.)

Cette loi, bien qu'édictée dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, n'a pas été abrogée par les dispositions générales du Code civil sur la responsabilité civile, ni par aucune loi postérieure. Cela a été décidé par plusieurs arrêts de la Cour de cassation, notamment par celui du 24 avril 1831.

Le maire est donc obligé d'intervenir en cas de troubles dans sa commune. Il emploiera d'abord les moyens de persuasion qu'il jugera utiles, les proclamations, etc. Mais s'ils sont impuissants et si le désordre s'aggrave, il pourra requérir la gendarmerie, en vertu de l'article

1. Les mots entre parenthèses doivent être supprimés, la loi martiale du 21 octobre 1789 ayant été abrogée par le décret du 23 juin 1793.

6 de la loi des 26(27) juillet-3 août 1791. D'après l'article 15 de cette même loi, si les troubles étaient considérables, et que l'intervention de la troupe de ligne fût nécessaire, c'est au préfet qu'il appartiendrait de la requérir. Comme le maire est hiérarchiquement placé au-dessous du sous-préfet et du préfet, il nous paraît évident aussi que, dans les villes chefs-lieux d'arrondissement ou de département, le maire devra s'adresser à ces fonctionnaires pour requérir la gendarmerie. Enfin, le droit de réquisition des maires cesse à l'instant où les sous-préfets y auront eu recours, et ceux-ci s'abstiendront pareillement de toute réquisition, après l'intervention des préfets (art. 17, loi 26 (27) juillet3 août 1791).

VI.

Tels sont les principes généraux qui régissent la matière dont nous nous occupons. Ils sont applicables à tous les cas, qu'il s'agisse de grèves ou de conflits quelconques. La cause du désordre est indifférente en elle-même. L'intervention administrative est justifiée par la nécessité de prévenir ou de réprimer des troubles et n'est justifiée que par cela. Le préfet ne peut pas s'ingérer dans d'autres affaires. Que des conflits s'élèvent à propos de salaires ou de toute autre question, le préfet y restera étranger tant que l'ordre public n'est pas menacé. Et le jour où l'ordre public est menacé, le préfet n'aura que le souci de le garantir ou de le rétablir, sans se mêler à des questions qui s'agitent en dehors de l'administration, sous l'égide de la liberté. Cela est d'ailleurs expressément ordonné par l'article 3 de la loi du 17 juin 1793, en ce qui concerne les salaires d'ouvriers, et cela découle de l'essence même du rôle assigné à la puissance publique.

En résumé, le préfet a le devoir de maintenir l'ordre dans le dépar tement. Le maire a, sous la surveillance du préfet, le même devoir dans la commune. Il appartient au maire d'agir le premier. Si les troubles s'étendent à plusieurs communes ou si le maire ne fait pas son devoir, le préfet interviendra. Il examinera s'il convient de requérir le maire d'agir, ou de nommer un délégué spécial pour agir au lieu et place du maire, ou encore d'agir en personne, comme préfet. Enfin, en ce qui touche les réquisitions et l'emploi de la force armée, il se conformera aux formalités prescrites par les lois.

Ces principes, qu'il semble aisé de poser en théorie, présentent quelquefois dans l'application des difficultés nombreuses. Il tient à peu de chose que le préfet dépasse les limites qui lui sont tracées. Tantôt, au lieu d'observer la réserve qui lui est dictée par la loi, il aura été obligé ou se sera cru obligé de prendre part à des questions étrangères à sa mission. Tantôt il aura négligé les formalités qui lui sont prescrites. Tantôt il aura employé la force, quand elle était inutile ou dangereuse. De là une très lourde responsabilité qui peut peser sur lui.

Le moyen le plus utile d'éclairer complètement la matière que nous traitons est de citer des exemples. Nous allons en développer deux. Nous avons choisi des faits assez loin de nous pour que nous puissions les étudier sans aucune autre préoccupation que celle du droit, et assez près de nous cependant pour être utiles et intéressants.

VII.

Nous sommes à Lyon, au mois d'octobre 1831. Les ouvriers en soierie, par suite de la baisse dont la concurrence étrangère a frappé la valeur des soies de Lyon, ne gagnent plus que 20 à 25 sous par jour, pour 18 heures de travail environ, alors qu'ils gagnaient auparavant 4, 5 et même 6 fr. par jour. Misère et mécontentement général.

Le 11 octobre 1831, le conseil des prud'hommes rédige une déclaration dans les termes suivants : « Considérant qu'il est de notoriété publique que beaucoup de fabricants paient réellement des façons trop minimes, il est utile qu'un tarif au minimum soit fixé pour le prix des façons. >>

Le préfet du Rhône, M. Bouvier-Dumolard, voulut donner suite à cette déclaration qui cependant avait été prise par le conseil des prud'hommes en dehors de ses attributions; et le 15 octobre, il réunit à cet effet, sous sa présidence, les quatre maires de Lyon et la Chambre de commerce. Il fut décidé que la Chambre de commerce et les ouvriers nommeraient, celle-là 22 fabricants, ceux-ci 22 ouvriers, qui rédigeraient en commun un tarif destiné à fixer le prix des salaires ; cette commission se réunirait le 25 octobre et à la préfecture. Ainsi fut fait; un tarif est discuté, adopté et signé par les délégués, qui donnent

en outre au conseil des prud'hommes mission d'en assurer l'exécution en condamnant ceux qui l'enfreindraient.

Ce tarif ne fut généralement pas observé. Il donnait une suffisante satisfaction aux ouvriers. Mais un grand nombre de patrons en étaient mécontents et n'en tenaient pas compte. Le conseil des prud'hommes était impuissant. L'agitation croissait. Le préfet du Rhône écrivit sur ces entrefaites (et à l'invitation du ministre de l'intérieur, M. Casimir Périer) une lettre rendue publique, dans laquelle il expliquait son intervention précédente, essayant peut-être d'en réduire la portée, et déclarant que « le tarif n'avait jamais eu force de loi, qu'il n'était obligatoire pour personne et pouvait, tout au plus, comme engagement d'honneur, servir de base aux transactions entre les fabricants et les ouvriers ». Mais l'agitation des ouvriers ne fit que s'accroître après cette lettre, et il ne fallut plus songer qu'à maintenir l'ordre public sérieusement compromis.

Le préfet du Rhône se rendit, accompagné des maires de Lyon et des commandants militaires, auprès du lieutenant général comte Raguet, commandant supérieur des deux divisions militaires, pour se concerter avec lui sur les mesures à prendre. Le lieutenant général qui, pour des raisons personnelles, avait rompu déjà toutes relations avec le préfet, refusa de le recevoir. Tant est-il que le préfet délibéra à part avec les commandants militaires, et que, de son côté, le lieutenant général donna des ordres contraires aux troupes.

L'émeute éclata le 21. Les dispositions prises par le lieutenant général n'avaient pu l'étouffer. Le préfet fut saisi par les ouvriers, fort maltraité, menacé de mort, puis relâché par eux. La mêlée fut générale. Des ruisseaux de sang coulèrent le 21 et le 22. Le 22 novembre, à minuit, les autorités réunies, militaires et civiles, déclarèrent par une proclamation publique que, pour arrêter l'effusion du sang, les troupes et les autorités se retireraient hors des murs, et que le préfet du Rhône seul resterait à son poste.

Les insurgés qui avaient déjà remporté sur la troupe de nombreux avantages s'établirent en maîtres à l'hôtel de ville. Le préfet publia le 23 une nouvelle proclamation, signée de lui et des maires, constatant que « la désorganisation la plus complète régnait dans la ville, que l'insurrection dominait tous les pouvoirs, que les lois, les magistrats étaient sans force ».

Un simulacre de pouvoir insurrectionnel s'était organisé à la mairie.

Le préfet chercha à semer la division parmi les ouvriers et leurs chefs. Il y réussit, tant par audace que par habileté. A une délégation qui vint lui demander, le fusil sur la poitrine, le désarmement de la première légion de la garde nationale qui avait combattu avec les troupes contre les insurgés, il parla un langage tantôt énergique, tantôt pathétique, tantôt insinuant; et loin d'accorder ce qu'on lui demandait, il fit signer par les insurgés une déclaration de paix et une trêve. Il gagna ainsi du temps. Enfin, le 3 décembre, le prince royal et le maréchal Soult entrèrent à Lyon, à la tête de toutes les troupes et des renforts attendus. L'insurrection était finie.

La conduite du préfet du Rhône fut loin d'obtenir l'approbation du Gouvernement. Une note officielle, insérée au Moniteur du 26 novembre, expliquant les premiers événements, disait, à propos de la fixation du tarif à laquelle avait participé le préfet : « Cette mesure était illégale, puisque les lois ne permettent point de taxer le prix du travail et que ce prix doit toujours être le résultat d'un accord entièrement volontaire entre le fabricant et l'ouvrier. » Le ministre de l'intérieur, à la séance de la Chambre des députés du 20 décembre 1831, interpellé à propos des troubles de Lyon, déclara que le Gouvernement n'avait pas été prévenu assez tôt par le préfet de la part qu'il avait prise à la rédaction du tarif, qu'il n'avait donc pu interdire aux autorités de s'en occuper. Il ajouta : « Les autorités locales ont cru prévenir des malheurs par les moyens mêmes qui les ont amenés : c'est une erreur grave. » Après lui et à la même séance, le ministre du commerce dit que, lorsqu'il apprit tardivement la fixation du tarif dont le préfet aurait au moins dû le prévenir, comme ministre du commerce, il écrivit à ce fonctionnaire : « la loi du 17 juin 1791 prohibe expressément les réunions d'ouvriers, les altroupements et les demandes collectives pour obtenir des augmentations de salaires. L'article 3 de cette loi défend particulièrement aux administrateurs d'avoir égard à de telles pétitions, loin de les souffrir. » Le ministre du commerce ajouta que le conseil des prud'hommes était sorti de sa compétence et que le préfet aurait dû réprimer cet abus de pouvoir, conformément à l'article 415 du Code pénal.

.....

M. Bouvier-Dumolard répondit, il est vrai, par la voie de la presse, que le Gouvernement avait été informé par lui de la fixation du tarif et de sa conduite dans cette circonstance; que le Gouvernement l'avait approuvé; qu'il était intervenu, lui préfet, comme médiateur paternel;

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